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FESTIVAL D'AVIGNON LES EXPOSITIONS OEUVRES MAJEURES Vidéos

Au Festival d’Avignon, Sophie Calle: la traversée d’un continent intérieur.

Dés les premiers jours du Festival d’Avignon, la rumeur se susurrait à mes oreilles: Sophie Calle fait une exposition sur sa mère disparue…Une question me revenait: comment recevoir ce deuil? Comment Sophie Calle à la réputation “d’impudique”, d’artiste égocentrique pour les uns, allait-elle nous étonner? J’étais aussi à l’écoute des inconditionnels de ses propositions, qui parlaient d’intelligence, de finesse…Il y a quelques mois, j’avais feuilleté un magnifique ouvrage, qu’elle avait adressé au regard des aveugles. Cette oeuvre m’avait déjà beaucoup troublée. Je décide de m’y rendre. J’ai peur…C’est avec deux hommes que je vais y pénétrer, peut-être pas tant par hasard.

J’ai découvert l’Église des Célestins en 2011, lors de l’exposition de William Forsythe. Cet espace m’est donc familier. C’est un lieu dépouillé, aux proportions hautes et étroites, sans rénovation récente, restée dans son “jus”, avec une belle lumière de par la taille des ouvertures, qui crée une atmosphère de respiration et d’authenticité. Quelques ruines éparses appuient le contexte de recueillement.

De lourds rideaux de velours verts s’ouvrent à l’entrée, tel un écrin. Nous sommes accueillis par une magnifique photo de Monique Rachel, la mère de Sophie Calle, décédée il y a quelques années d’un cancer. Assise sur une tombe, jambes croisées, naturelles et libertines, elle semble nous dire: “Elle ne passera pas par moi!“. Elle pose sur cette dalle de pierre, toute sa force de séduction et de présence…La clarté directe de son regard s’attache à mes épaules pour me soutenir. Toutes les parties de mon corps vont faire cette traversée.

Des galets sont disposés à différents endroits, comme pour nous accompagner. Je me sens “Petite Poucette”, dans un mouvement de bien-être, proche de cette mère charnelle et de la mer. Je ressens le même plaisir que dans les cimetières marins de croix sculptées de pierre ou de fer forgés, où l’étendue bleue devient notre lit éternel, où les bouées fleuries des marins disparus sont nos bijoux de famille…Pas à pas, lentement, j’avance. Le blanc du «souci» (dernier mot prononcé sur son lit de mort, «Ne vous faites pas de souci») m’éblouit comme une étendue de neige et brûle mes doigts. Le froid les engourdit. Je plonge dans ce sentiment de fond intérieur et le mot glisse entre mes cheveux à chaque inspiration.

Une icône m’arrête et je souris devant cette image de Joconde minérale. Mon bas ventre frémit en repensant au lieu de ce premier émoi. Ma pupille s’élargit pour distinguer plus nettement  la nuit de mon intime. Des photos, illustrées d’un journal, suivent. Un voyage à Lourdes, une voyante…Ma langue goûte ce souvenir de l’imaginaire de l’enfant, qui dans ces derniers voeux pieux se tourne vers l’irrationnel. On veut y croire, tout en sachant que c’est désespéré. Mais on s’accroche. Ma tête immergée sous l’eau, cherche à sortir, mais l’appel du fond est plus fort et je continue ma nage intérieure.

Le sol rougi de Forsythe est encore là. Il rend éclatant le nouveau Souci; le rythme mensuel de la femme coule; j’aperçois une perspective par la meurtrière ouverte sur le tumulte de la rue. Une chaleur m’envahit. Nous sommes protégés dans ce contenant utérin.

Bruisse au dessus de ma tête, la légèreté de ces duvets doux. Les soucis m’enveloppent, mais ne m’empêchent pas de dormir comme cette petite sculpture, qui magnifie la sérénité du grand sommeil. Mon nerf optique force, pour traduire le texte blanc sur blanc et la lecture en devient plus lisible. Comme une aveugle lisant le braille. Dans le choeur de l’église, mon estomac se tord devant les dalles grises de marbre. “MoTher!“, “mAman!“, ma grand-mère, ma mère, mes enfants…Je ressens dans mes narines l’odeur de ma chair.

Les petits rideaux de dentelle font danser le Souci brodé. La fatigue plombante se loge dans mes mollets, tout en excitant mes nerfs autour de cet objet du passé, des fenêtres de mes grands-parents. Le tic tac coloré d’un cercueil nous rappelle à l’heure. À qui le tour? La mort devient plus prégnante. Le film sur le corps de cette femme allongée ne ressemble plus à celle de l’entrée. Elle est vaincue. Je l’embrasse de lèvres humides et me souviens de la froideur de ces joues effleurées. Froid comme un bois sec, au sentiment si tendre.

La loge de Sophie Calle est vide de sa présence (elle vient quelques heures dans la journée, lire les journaux intimes de sa mère), mais habitée de ses objets usuels: robe sur un cintre, cigarettes, verre à pied, carnet…Je respire un univers qui me ressemble. Les papillons du Souci volettent au dessus de nous, près de l’oeil frondeur d’une grande girafe, échappée de l’atelier de Sophie Calle. La douceur de l’enfance resurgie. Sur ma main, une larme mélancolique s’écrase.

Je distingue l’autre rive. Celle de l’Antarctique, à travers le hublot de ce brise-glace…Les bijoux, la photo, le recueillement, tout est là pour ce dernier voyage. Pour l’éternité, la banquise va figer cette vie. La conserver pendant des millénaires, des générations et ressurgir un jour, grâce à des explorateurs inconnus. 

La mer et ses fragments de glace ont raison de moi. Mon visage est ruiné de larmes, mon souffle est coupé. Ma glotte étouffe un sanglot. La traversée de Sophie est aussi la mienne. Je reverrai encore longtemps un mausolée comme celui-ci…Je refais un tour dans cet espace, puis un autre. Je reprends peu à peu vie, mais mon corps restera tatoué.

En sortant, je me retourne et me retrouve rassurée, car, devant ce tas de pierres, objet de chaos, magnifié également cette an
née par McBurney, mon regard porte au loin de mes pensées, et apaise mes souvenirs.

Mon iris devient bleu, inondé par cette immensité arctique du grand monde.

Je retrouve la lumière extérieure, apaisée…et grandie entre mes deux amis, accompagnateurs respectueux.

Sylvie Lefrere de Vent d’art vers le Tadorne.

« Rachel, Monique » de Sophie Calle à l’Église des Célestins jusqu’au 28 juillet 2012.

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ETRE SPECTATEUR PETITE ENFANCE

Le Grand Off du tout petit et des professionnels de la petite enfance.

En 2012, peut-on imaginer un festival sans les enfants? Est-ce possible encore d’ignorer la frontière de plus en plus poreuse qui existe entre artistes, professionnels et parents? Comment rendre compte de la fantastique richesse artistique des propositions pour tout-petit et de l’engagement des professionnels de la toute petite enfance à promouvoir l’art au sein des crèches comme ressort de leur créativité et des processus de coéducation avec les parents?

Le mardi 10 juillet 2012, des professionnelles de la petite enfance des villes de Martigues, Fuveau, Vitrolles, de la Maison de la Famille; des programmateurs (Théâtre Massalia à Marseille, Théâtre de la Guimbarde à Charleroi), des spectateurs et des artistes se sont réunis au village du OFF pour échanger dans le cadre des « Offinités du Tadorne» présentées par Pascal Bely et Sylvie Lefrere. Cet événement s’inscrit dans une démarche ambitieuse de formation qui vise à créer une dynamique régionale autour de «l’art et les tout-petits». Après une journée très dense passée au Théâtre pour Enfants à Monclar, nous nous sommes donné rendez-vous au Village à 17h lors de la tribune critique quotidienne organisée par le festival Off.

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Chacun a pu visualiser son paysage de la petite enfance en partageant son regard sur trois spectacles. Cela a fédéré un collectif représentatif d’un monde ouvert, engagé vers une démarche artistique. Nous avons tous été réunis autour de ce vaste territoire à explorer, en friche à bâtir, entre vallons et montagnes. Des contes ont été coécrits en ateliers afin de faire un retour créatif au public présent et aux artistes pour donner un ressenti singulier et global. Une grande poésie s’en est dégagée. A vous de juger…

 «Un échange plein de poésie et d’inventivité en présence des artistes des spectacles vus (Plume, Un papillon dans la neige, ventre à l’air, Lapin) et d’un public ravi que les petits trouvent leur place parmi les grands ».

Maryline Laurin, Revue Marseillaise de Théâtre.

 

«Lapin» de la Compagnie du Dagor; 9h45.

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«Il était une fois une histoire étrange, amusante, comme sortie de l’antre d’un lapin. Deux corps en mouvement se retrouvent dans un labyrinthe de sons, de langages, de musiques, de papier, de bois et de lumières. Cela peut paraître bizarre et décousu: des poissons volent, des bonbons sont croqués, les arbres s’entremêlent, les oiseaux s’y nichent et les cerfs y passent. Les matières et les corps apparaissent, disparaissent, comme le voyage de la vie : on saute d’un sentiment à l’autre comme un lapin».

«Il était une fois un funambule suspendu au-dessus du vide, jouant avec son ombre. Il aimait jouer avec elle, car elle savait le surprendre, lui faire peur, le faire rire. Sous lui, un paysage de montagnes, de vallées où parfois son ombre disparaissait ou grossissait. Cet univers étrange provoque chez lui des mouvements doux et pourtant saccadés qui laissent le funambule déconcerté».

« Un papillon dans la neige » – Compagnie O’Navio – 9h50 et 15h30

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« Il était une fois une page blanche comme la neige, comme un ballon, comme un nuage. Blanc, vierge Blanc de début du monde Enfance. Une femme au pinceau chapeau bouche rouge fait son autoportrait: une petite fille au chapeau. C’est plus facile d’être grande dans un petit carré. Est-ce un livre? Est-ce que les livres parlent? Est-ce qu’ils chantent? La petite fille au chapeau peut-elle bouger? Elle bouge en grandissant de dehors et du dedans, comme un dessin qui devient image puis peinture, mobile et immobile. Elle voyage, son coeur est tendu sur les fils de couleurs qu’elle manipule et qui la manipulent. Et cette petite graine dans nos chaussures, c’est la vie qui reste à inventer.»

«Petite fille papillon qui voyage à bord du cocon

Douceur et légèreté

Où vas-tu nous emporter?

Par le vent

Par la mer

Dans les airs

Dans les eaux

Gros poissons, ou dans les ailes

Tu t’envoles sur un fil

Sur des notes mélancoliques

Tes rencontres plumes de couleurs

Égaye ta gourmandise

Et font germer les petits pois!»

 

«D’une feuille blanche apparait en deux traits de crayon un papillon qui nous transporte sur un nuage de coton et nous fait planer au fil des saisons. Tout en musicalité, nous voyageons à travers les mers, l’espace et le temps. Au seul regret de n’avoir pu partager son instant gourmand. Feuilles, vent, mouvements, doux méli-mélo d’un spectacle pour enfants».

Avignon, le 10 juillet 2012. Les professionnels de la toute petite enfance  des villes de  Martigues, Fuveau, Vitrolles, Martigues, de la Maison de la Famille et du Théâtre Massalia.

Crédit photo Offinités: Maryline Laurin.