Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Pour que commence un propos sur la (de)colonisation au Festival d’Avignon.

La (dé)colonisation traverse le Festival d’Avignon avec deux propositions. Cela paraît étonnant de rapprocher deux spectacles aux formes et propos si différents. Tentative.

Le premier « Chouf Ouchouf » des Suisses Zimmermann et de Perrot a séduit une grande partie du public d’Avignon. Alors qu’un spectateur m’interrogeait à la sortie sur mon ressenti, je lui précisais que cette succession d’acrobaties n’avait pas de sens. Ce à quoi, il répondit : « s’il fallait voir du sens partout ». Cette remarque m’a longtemps habité. Comment une telle réponse est-elle possible dans le cadre d’un festival où la question du sens est centrale? « Chouf Ouchouf » est spectaculaire. Interprété par douze performeurs du Groupe acrobatique de Tanger, plusieurs cubes en bois sur roulettes dessinent la ville tandis que le jeu des acteurs métaphorise certains aspects de la culture marocaine. On se cache, on se fait peur, on se regroupe, on s’isole… Les formes pyramidales se succèdent et des saynètes imagées aux propos souvent réducteurs rassurent sur le versant « culturel » de l’oeuvre. Progressivement, les processus dynamiques d’un parc d’attractions finissent par provoquer les applaudissements du public.

L’espace est une aire de jeux (avec des emprunts évidents à «Sutra» du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui présenté en 2008) effaçant toute chorégraphie (d’où le fait qu’il soit suspect d’y déceler du sens. Le corps musclé de ces acrobates est préféré au corps « intranquille » prolongement du politique). Qu’importe l’histoire entre la France et le Maroc. L’essentiel est de rassurer le public sur ses représentations : on peut observer une culture de son siège, en touriste avec son appareil photo. Ainsi, au coeur du Festival d’Avignon, une culture est réduite à des prouesses physiques et à des marqueurs (ah, le célèbre sac à carreaux et la jeune fille voilée !). Dit autrement, ce colonialisme là appliqué aux Corses, nous aurait probablement proposé une performance cagoulée.

berenice.jpg

Le deuxième spectacle ne reproduit pas les mêmes processus puisque la chorégraphie y est au centre, que le sens voudrait traverser toute la pièce. «Pour en finir avec Bérénice» de Faustin Linyekula est une tentative de porter sur scène un propos sur la décolonisation. Mais rien ne fonctionne sauf le tableau final qui, par sa fonction de sidération, provoque les applaudissements nourris d’un public tout à coup réveillé. En transposant Bérénice (reine de Palestine qui s’exila à Rome par amour pour Titus, son colonisateur) dans son pays (le Congo), Faustin Linyekula tente de démontrer qu’entre les mots et les corps, il y a le chaos produit par la colonisation. Ainsi, le public d’Avignon comprend qu’entre le verbal et le non verbal, qu’entre la danse et le texte, il y a le processus d’acculturation (précisément celui qui fait souffrir certains spectateurs qui réclament – à “corps” et à cri – un théâtre de texte!). Mais avec une dramaturgie cruellement ennuyeuse, une scénographie minimaliste, mais efficace (ah, le café moulu qui s’envole avec le mistral !), une superposition de langages qui ne s’articulent pas (Faustin Linyekula danse pour illustrer le jeu des comédiens), «pour en finir avec Bérénice» crée des espaces où le sens se perd. À aucun moment, les acteurs ne s’engagent physiquement dans leur propos, préférant produire des effets d’images. On peut bien nous proposer deux enregistrements sonores d’une classe récitant une fable de la Fontaine (l’un en 1962, l’autre en 2010), je ne vois pas sur scène où l’on veut m’emmener. Faustin Linyekula dénonce, mais n’énonce rien si ce n’est d’appeler le sociologue Stuart Hall à la rescousse à la fin du spectacle qui rappelle, fort justement, que les immigrés continuent le processus de colonisation que nous n’avons finalement pas stoppé (« Chouf Ouchouf » en est l’illustration).

Je formule l’hypothèse qu’il ne faut pas laisser seul Faustin Linyekula avec un sujet qui le dépasse. D’autant plus que la colonisation culturelle vers les pays du Maghreb se poursuit avec la complicité des institutions qui trouvent avec « Chouf Ouchouf » un spectacle divertissant et économe sur le sens de l’Histoire.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Chouf Ouchouf” de Zimmermann et de Perrot au Festival d’Avignon du 8 au 13 juillet 2010.

“Pour en finir avec Bérénice” de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon du 17 au 24 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.