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EN COURS DE REFORMATAGE

Heureux qui comme le danseur.

Et si les processus de « Marseille 2013 » s’étaient joués ce soir, dans cette petite salle des « Bancs Publics », à partir d’un maillage pour le moins complexe? Le public coloré, divers et bruyant est là pour  « LosT&Founds », fruit d’une collaboration de quatre chorégraphes (Haïm Adri de la Compagnie Sysiphe Heureux, Helena Berthelius du tenerifedanzalab, Talin Büyükkürkciyan et Ömer Uysal du collectif çati) venus de trois pays (France, Espagne, Turquie).

Chacun est allé recueillir des témoignages d’histoires familiales, pour les métamorphoser en mythes et les articuler les uns aux autres afin de former cette oeuvre totalement inclassable. Il en aura fallu de l’écoute, de la créativité, des tensions, voire même des encouragements et des désillusions pour arriver à un tel résultat ! Il faut du respect envers le public pour lui faire confiance à ce point : le spectateur n’a de toute manière plus le choix. Il doit y aller aussi, lâcher de tout son corps, pour entrer dans cet univers où la métaphore tient lieu de langage, où le corps véhicule tout ce qu’il peut supporter, où les objets se transforment peu à peu en objet d’art. Car pour opérer ces processus de transformation, il faut des danseurs hors pair (ils le sont tous) capables de créer la turbulence afin qu’un seul battement de cils provoque la propagation. Il faut aussi contenir l’espace de l’imaginaire partagé à partir de tableaux bibliques et orgiaques, d’histoires de l’enfance, où le rôle du fou crée la démesure, l’apocalypse pour que cohabite toutes ces identités. La famille est bien l’espace où nous avons fait nos premiers pas d’acteurs, où nous aurions approché la dramaturgie, où notre corps devait déjà entrer dans la danse pour « faire corps ». Ici, l’identité n’a plus rien de « nationale » : elle puise ses ressorts dans le chaos psychologique (cris, peurs, replis, désirs,…) et les mythes familiaux transmis de génération en génération à l’image de ce landau qui, tel une caisse de résonnance, propage l’onde de choc sur le plateau.

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Cette plongée dans l’identité vous perd parfois, comme une séance de psychanalyse où vous auriez oublié « l’autre » resté là-bas.  Ces différents tableaux ne nous dispersent pourtant jamais car en interrogeant le mythe (qu’il soit celui d’une famille ou d’un pays), ces douze danseurs créent en même temps le collectif qui nous permet de l’introspecter : l’acte technique est artistique (à tour de rôles, chacun est éclairagiste),  les mots du danseur sortent du corps de l’acteur, le décor est « porté » par les acteurs (et non transporté vers eux). La scénographie entre dans la danse, fait saigner cette humanité dans laquelle je plonge pour y puiser la force de la regarder.

« Los&Founds » est un moment de partage qui aurait pu se prolonger après la pièce avec Haïm Adri et ses camarades de « je ». Car l’homme est généreux et je me prends à rêver de le retrouver en 2013. Il pourrait créer avec d’autres l’oeuvre mythologique des temps modernes qui manque temps à Marseille, ville éclatée par les discours usés et fatigués sur l’identité nationale.

Pascal Bély-www.festivalier.net

« Los&Founds » a été joué les 20 et 21 janvier 2010 aux Bancs Publics à Marseille.