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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, l’Islam se noie dans le Protokoll.

 

À la sortie de « Radio Muezzin » du Suisse Stefan Kaegi, le malaise est perceptible parmi les spectateurs. Mais ne l’était-il pas sur scène alors que l’un des acteurs fut pris d’un fou rire contagieux, signe d’un cadre qui ne contient plus mais qui enferme? Comme à son habitude, Stefan Kaegi, issu du collectif Rimini Protokoll nous propose son théâtre documentaire dont il a seul le secret. Pour la troisième fois depuis 2006, il est l’invité du Festival d’Avignon. Cette année, c’est l’Egypte et ses « muezzins », hommes sélectionnés sur concours et dont la mission est d’appeler à la prière. Il y autant de muezzins que de mosquées sauf que l’État Égyptien prévoit une « radiodiffusion systématique ». « Que devient l’aura de cette cérémonie ? », s’interroge Stefan Kaegi.  Il a donc invité quatre muezzins et un technicien à monter sur scène pour y raconter leur art, ponctué de témoignages sur leur quotidien, d’appels à la prière et de chants religieux.

 

Aux corps souvent statiques et lourds des invités (le poids de la religion et l’enjeu d’être en Avignon n’y sont pas étrangers), répond une mise en espace classique et sans créativité de Stefan Kaegi. Suffit-il de projeter des images vidéo de circulation au Caire pour créer le mouvement ? Suffit-il de reproduire l’éclairage des mosquées pour nous immerger ? Suffit-il d’accompagner la présentation des muezzins par un diaporama de photos personnelles pour créer l’intimité ? À toutes ces insuffisances, vient s’ajouter un malaise sur le propos lui-même. Si la métaphore de la mondialisation qui uniformise et fait disparaître le singulier a toute sa place ici, il en est tout autrement du sens implicite qui parcours la pièce. À la frontière de la fiction et du réel, le spectateur joue l’équilibriste, sur un fil, faute d’une mise en scène qui transcende le propos.

C’est la faiblesse de Kaegi qui jongle avec les limites pour ne pas s’engager et faire supporter aux amateurs le poids de leurs fragilités.  Comment écouter ces hommes qui réduisent la visibilité du féminin à une présence derrière un paravent, femme remplacée ce soir par un matériel d’haltérophilie? Comment entendre ces chants religieux sur la scène d’un théâtre dans un pays laïc ? Comment ne pas réagir quand ces hommes font du prosélytisme comme au bon vieux temps du théâtre catholique en France d’avant 1905 ? Mais le plus troublant, c’est l’utilisation des ficelles d’un théâtre propagandiste, utilisées en leur temps par les socialistes dans les années cinquante : créer la communion entre la salle et les acteurs ; orienter le propos vers des principes moraux ; susciter l’amitié entre acteurs et spectateurs ; mettre l’accent sur la pauvreté des moyens du peuple.  

Stefan Kaegi a probablement le souci d’ouvrir le théâtre vers un réel que nous ne voyons plus. Mais il doit éviter absolument de nous cacher la vue sous prétexte de vouloir inventer (ou de réinventer) un théâtre à lui tout seul.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Radio Muezzin” de Stefan Kaegi du 22 au 28 juillet 2009 au Festival d’Avignon.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

En mars dernier, à Berlin, la critique de Stéphanie Pichon.