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EN COURS DE REFORMATAGE

Michel Kelemenis, chorégraphe.

Après avoir suivi le processus de répétition de « Viiiiite » et d’« Aléa » au cours du mois de janvier, la générale au Pavillon Noir m’impressionne. Je ressens la tension des corps après tant d’heures de travail. Nous sommes une cinquantaine dans la salle, comprenant les étudiants de Coline, structure menacée de disparition par les pouvoirs socialistes locaux. À la veille de la grève du 29 janvier, les trois ?uvres de Michel Kelemenis sont un espace protégé où il me plaît de me ressourcer. Avec lui, la danse est un propos. C’est l’un des rares à faire cette recherche « fondamentale », à communiquer par la danse pour la danse, avec sérieux, créativité et empathie.

Les étudiants de « Coline » sont derrière moi, visages fermés. Le dialogue s’amorce sur leur sort et la place que pourrait jouer internet pour sauver leur structure de formation Peu de répondant. J’ai envie d’échanger avec eux  sur la danse de Kelemenis…

« Viiiite »: Avec élégance, ils se présentent à nous, tout de blanc vêtu. Caroline Blanc et Michel Kelemenis font quelques pas, s’engagent dans des mouvements si harmonieux que l’on peut aisément étendre ses jambes et relâcher la pression. Mais à les voir enfiler de longs gants tout blancs, on comprend vite que le corps n’est plus qu’une apparition fugace, une émergence confirmée par la lumière d’un gyrophare. Il y aurait-il urgence tandis que les compagnies de danse sont priées d’entrer dans le moule d’une culture uniformisée ? Alors que notre société fait de la vitesse une échappatoire au sens, la force de « viiiiite » est d’en faire une forme en soi. Soucieux de nous accompagner dans ce processus « spiralé » descendant et ascendant, Kelemenis joue avec la figure du clown ou du Pierrot de la Comédia del’Arte pour enrichir le propos et tapisser notre imaginaire d’images tout aussi fugaces, mais ancrées.

Cette danse-là, forme le regard, c’est le moins que l’on puisse dire. Alors que la lumière fait apparaître puis disparaître, elle est à son tour un mouvement comme l’odeur évanescente, symbolisée par le rapprochement des deux corps dans une sphère intime. Ainsi, « viiiiite » est une danse concentrique qui finit par vous englober. Avec Michel Kelemenis, la danse est avant tout l’art de la reliance.

Pause. Je me retourne. Je cherche avec eux quelques mots qui ne viennent pas. Étonnés par mes questions, apeurés aussi. Il leur est difficile de franchir les barrières entre danseurs-étudiants et spectateur.

« Tatoo » : Vingt minutes de plaisir à l’état pur, comme si le spectateur pouvait enfin jouer à cache-cache avec la danse, qu’elle soit contemporaine ou classique. Michel Kelemenis s’amuse, nous aussi. En s’appuyant sur les codes (dont les pointes), il déséquilibre le clivage en huilant les mécaniques de nos représentations. Cela en deviendrait presque subversif. Cette danse accueille, ouvre les verrous, se repose sur la fragilité de l’humain pour consolider l’articulation entre classique et contemporain. Le plaisir vous contamine même si l’on regrette les corps pas totalement habités des danseurs. À danser au-dessus des parties, il n’en faudrait pas plus pour être déstabilisé.

Pause. Les étudiants sont toujours là, derrière moi.  Nous échangeons sur la technique des danseurs. J’évoque le plaisir de voir une ?uvre au dessus des clivages. Étonnés, comme s’ils n’entendaient jamais cette parole de spectateur. Pour Coline, on fait quoi ?

« Aléa » : La dynamique des sept danseurs impressionne. Elle est danse. Michel Kelemenis ne se perd pas dans des effets de style ou des figures conceptualisés : ne compte ici qu’une recherche entre l’autonomie de l’individu, l’émancipation du groupe et un désir collectif qui prend forme. Ce n’est pas une danse qui impose, elle propose. À sept, ils dessinent avec leurs costumes de couleurs, la toile du peintre où vient résonner la musique électronique de Christian Zanési, tumulte de nos sociétés contemporaines. Et je m’étonne d’entrer au c?ur de leur tresse, de n’en perdre aucun, de me mouler avec eux. « Aléa » est si fluide que chaque espace nous laisse une place. Le final, où chacun improvise dans le chaos, est le triomphe du « nous » sur le « je » concurrentiel, de l’art sur le « vide», de l’émancipation sur la soumission. C’est aussi une invitation pour le spectateur à entrer dans la danse, simplement. Sincèrement.

C’est fini. Ils sourient. Ils me tendent leur pétition papier pour les soutenir. Je signe, mais je les invite à constituer leur comité de soutien sur Internet. J’aurais bien envie de créer un collectif spectateur – danseur – chorégraphe. Comme un “Aléa” …juste  pour gripper.


Pascal Bély

www.festivalier.net

“Viiiiite”, “Aléa”, “Tatoo” ont été joués du 29 au 31 janvier au Pavillon Noir d’Aix en Provence.


A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/3) !
Le deuxième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !
Le troisième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).