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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Pavillon Noir, le temps d’’une soirée, Les Ballets Preljocaj mélangent les genres.

 

 

 

Ce mercredi 20 décembre, le Pavillon Noir d'Aix en Provence accueille deux créations des Ballets Preljocaj : « Empty Moves (part I) » et « Noces ». Je me sens prêt pour cette soirée tant attendue : je n'ai jamais eu l'occasion de voir ces ?uvres en tournée en France. Toutefois, rien ne se passe agréablement dès que j'entre dans cet illustre bâtiment ! Prévu à 20h30, « Empty moves » débute à 21h15. Au préalable, nous avons droit à un discours humanitaire à la sauce culturelle de l'artiste plasticien Jean-Michel Bruyère, accompagné d'Angelin Preljocaj, qui prend son temps pour nous expliquer les missions de la Maison ? clinique ? école, « Man ? Keneen ? Ki ». Des photos d'enfants abandonnés dans les rues de Dakar sont projetées. Les recettes ou bénéfices de la soirée (on ne sait plus) sont reversés à cette association. À mesure que l'exposé confus de Bruyère avance, deux niveaux se mélangent : le projet humanitaire et l'?uvre culturelle. Qui finance qui ? Pour avoir vu l'exposition de Bruyère lors du Festival d'Avignon en 2005, je me pose légitimement la question sur ses intentions. On apprend que la banque BNP ? PARIBAS est sur le coup, mais pas un mot sur la société TOTAL, pourtant présente au Sénégal et qui entretient la misère de ces enfants. Je m'éloigne de la danse, mais le Pavillon Noir a décidé de nous imposer cette confusion, sans distance, avec complaisance et qui entretient le regard misérabiliste français à l'égard de l'Afrique.
empty.jpg« Empty moves (part I) » commence.
Je suis un peu tendu, mais pas pour longtemps : cette chorégraphie de vingt-huit minutes atteint le sublime. C'est sans aucun doute la plus belle ?uvre d'Angelin Preljocaj. Quatre danseurs s'articulent au rythme des paroles et phonèmes lus par John Cage au Teatro Lirico de Milan enregistrés en décembre 2007. Le contexte chaotique de son intervention (on entend le public italien manifester tout à la fois sa colère et sa joie) est traduit à partir des mouvements du quatuor. On frôle la pureté tant cela devient indescriptible. Je me sens touché physiquement : mon corps tremble comme si la proximité du sublime reliait à toute allure tous mes organes vitaux. Le chaos prend sens sous nos yeux : loin d'être réduit au désordre, Angelin Preljocaj réussit la prouesse de chorégraphier l'intention artistique de John Cage. L'art se danse et c'est majestueux : tout est articulé avec délicatesse, légèreté, créativité. Ils sourient parfois, se perdent, se retrouvent pour nous aider à approcher ce sublime que nous cherchons souvent sans jamais l'atteindre. « Empty Moves » est un chef-d'?uvre. Je vibre encore.


image.jpgL'entracte de quinze minutes n'y fait rien. Je me sens sonné par ce que je viens de voir. Il devient alors difficile d'écrire sur « Noces », la deuxième proposition indigeste d'Angelin Preljocaj, créée en 1989. Dix danseurs sont à la fête sur la musique envahissante d'Igor Stravinski. Nous sommes dans les Balkans : tout est joyeux, en apparence. Pourtant, le mariage évoque cet acte tragique qui fait de la mariée (symbolisée par des poupées) une monnaie d'échange. Mais pourquoi tout ce vacarme ? Pourquoi cette chorégraphie approximative réduite la plupart du temps à du mime ? Le sens est noyé dans ces gesticulations caricaturales qui enferment les danseurs dans des rôles réducteurs. Où est la danse ? Pourquoi cette pièce est-elle accolée à « Empty Moves »? Que peuvent vouloir dire les applaudissements enflammés pour cette ?uvre qui sent la naphtaline et leur réserve pour le moins surprenante à la fin d' « Empty Moves »? Mais quel est donc ce nouveau public, qu'il me semble n'avoir jamais rencontré, même au temps du feu Festival « Danse à Aix » ? Je n'attends plus la fin de ces applaudissements. Seul dans l'allée, je pense aux enfants de Dakar, aux femmes mariées soumises, et à ce quatuor sublime. Le marketing humanitaire et culturel a encore frappé. Le public de danse est-il lui aussi une monnaie d'échange. À la recherche d'une cohérence, je ne ressens que du désordre.
À mesure que je marche, j'entends la voix de John Cage. Le quatuor m'ouvre la voie.