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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival Contre Courant, la belle leçon d’’Edward Bond.

Au c?ur du Festival d'Avignon, existe un petit havre de convivialité et de lien social. Il faut traverser le pont de l'Europe (tout un symbole), se rendre sur l'Ile de la Bartelasse et suivre la ligne droite. Elle nous mène à Contre Courant. Animée par la CCAS (le Comité d'Entreprise des personnels EDF ? GDF), cette manifestation joue la carte d'une programmation de qualité (Edward Bond, Marcial Di Fonzo Bo, Hamid Ben Mahi entre autres). Plutôt que d'être en concurrence, Contre Courant crée une complémentarité avec le Festival d'Avignon en s'appuyant sur les metteurs en scène phare de la 60ème édition, en invitant des compagnies plus confidentielles, pour des spectacles proposés gratuitement, le tour relié à un projet. Il consiste à positionner le théâtre au c?ur du lien social et du monde du travail. D'ailleurs, en arrivant sur les lieux, nous avons la possibilité de visiter une exposition consacrée aux congés payés. C'est bien fait, instructif et les petites tentes posées sur du sable fin font fonctionner l'imaginaire. Je me suis souvenu de la première fois où j'ai vu la mer. Émouvant.
En quittant l'exposition, j'entends du bruit dans un jardin. Là, un miracle se produit sous mes yeux . Edward Bond en personne, assisté pour la traduction par le jeune metteur en scène français Jérôme Hankins , donne une leçon de théâtre à trois jeunes pris dans l'assistance. Une couverture est posée sur la scène. Chacun doit s'approcher d'elle en ayant peur. Parfois, la consigne se complexifie : ils doivent prendre un verre posé par terre et la mettre sur la couverture. L'acteur a peur des deux objets, mais ne sait pas lequel des deux est le plus impressionnant. Les trois adolescents se prêtent à cet exercice non verbal, délicat, difficile, devant une assistance attentive et bienveillante. Un jeune homme avec son t-shirt siglé OM (le football rencontre le théâtre !) s'avance de ce verre tout en faisant bouger son corps. Edward Bond le soutient du regard. Une énergie se dégage de ce duo. « Vous êtes un très bon acteur » lui dit Bond. Émouvant.
À peine remis de cette leçon, « Le numéro d'équilibre » d'Edward Bond mis en scène par Jérôme Hankins, accompagné par une armée de cigales, va faire l'effet d'une déferlante dans ce petit jardin.
Viv est une jeune fille toute seule dans un squat. Elle a tout abandonné pour s'isoler et surveiller un point sur le sol : « C’est le point qui tient le monde en équilibre. Si quelqu'un marchait dessus l’équilibre disparaîtrait. » Nelson, son ami, tente de l'alimenter en lui apportant des chips. Peine perdue. Viv meurt dans les décombres. Malgré l'aide d'un chef de chantier expert en démolition, il ne retrouve jamais Viv. C'est alors que la pièce bascule dans la farce la plus corrosive (la scène où l'assistante sociale en chef questionne et soupçonne Nelson de meurtre est criante de vérité sur le positionnement moralisateur de certains travailleurs sociaux ! Photo ci-contre!). Nelson va errer, trouver sur sa route un faux unijambiste, mais un vrai voleur, sa fausse mère, mais une vraie forte femme. Il finit  par atterrir dans l'appartement du chef de chantier. Celui-ci est atteint de la même obsession que Viv. Il se fixe sur un point d'équilibre (symbolisé par la poussière accumulée dans la cuisine depuis trois ans). Sa femme menace de faire le ménage ; il l'a tue. Le tout finit par une explosion de l'appartement.
« Le numéro d'équilibre » est une puissante métaphore sur nos obsessions, nos mensonges, nos désirs de destruction, nos velléités de domination dès que nos avons un peu de pouvoir (chef, mari,?). C'est une pièce qui touche et prend le spectateur à son propre jeu. La mise en scène arrive subtilement à articuler la farce et la profondeur psychologique des personnages sans s’annuler. Jérôme Hankins n'oublie jamais le sens, là où d'autres plongeraient dans le burlesque. Le public ne s'y trompe pas, ne lâchant jamais son attention malgré les cigales et les bruits de la route.  Il s'appuie sur des comédiens de tous âges, exceptionnels dans leur jeu, peut-être parce qu'ils ont appris les leçons d'Edward Bond. Outre d'être un traducteur, Hankins est un passeur. D'un numéro d'équilibre (le cours traduit aux adolescents) à l'autre (la mise en scène), Jérôme Hankins et ses comédiens font trembler les murs invisibles de ce théâtre de plein air pour nous donner une belle leçon entre l'art et le social.
Contre Courant est un joli numéro.
Pascal Bély
www.festivalier.net

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Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!