
En quittant l'exposition, j'entends du bruit dans un jardin. Là, un miracle se produit sous mes yeux . Edward Bond en personne, assisté pour la traduction par le jeune metteur en scène français Jérôme Hankins , donne une leçon de théâtre à trois jeunes pris dans l'assistance. Une couverture est posée sur la scène. Chacun doit s'approcher d'elle en ayant peur. Parfois, la consigne se complexifie : ils doivent prendre un verre posé par terre et la mettre sur la couverture. L'acteur a peur des deux objets, mais ne sait pas lequel des deux est le plus impressionnant. Les trois adolescents se prêtent à cet exercice non verbal, délicat, difficile, devant une assistance attentive et bienveillante. Un jeune homme avec son t-shirt siglé OM (le football rencontre le théâtre !) s'avance de ce verre tout en faisant bouger son corps. Edward Bond le soutient du regard. Une énergie se dégage de ce duo. « Vous êtes un très bon acteur » lui dit Bond. Émouvant.

Viv est une jeune fille toute seule dans un squat. Elle a tout abandonné pour s'isoler et surveiller un point sur le sol : « C’est le point qui tient le monde en équilibre. Si quelqu'un marchait dessus l’équilibre disparaîtrait. » Nelson, son ami, tente de l'alimenter en lui apportant des chips. Peine perdue. Viv meurt dans les décombres. Malgré l'aide d'un chef de chantier expert en démolition, il ne retrouve jamais Viv. C'est alors que la pièce bascule dans la farce la plus corrosive (la scène où l'assistante sociale en chef questionne et soupçonne Nelson de meurtre est criante de vérité sur le positionnement moralisateur de certains travailleurs sociaux ! Photo ci-contre!). Nelson va errer, trouver sur sa route un faux unijambiste, mais un vrai voleur, sa fausse mère, mais une vraie forte femme. Il finit par atterrir dans l'appartement du chef de chantier. Celui-ci est atteint de la même obsession que Viv. Il se fixe sur un point d'équilibre (symbolisé par la poussière accumulée dans la cuisine depuis trois ans). Sa femme menace de faire le ménage ; il l'a tue. Le tout finit par une explosion de l'appartement.
« Le numéro d'équilibre » est une puissante métaphore sur nos obsessions, nos mensonges, nos désirs de destruction, nos velléités de domination dès que nos avons un peu de pouvoir (chef, mari,?). C'est une pièce qui touche et prend le spectateur à son propre jeu. La mise en scène arrive subtilement à articuler la farce et la profondeur psychologique des personnages sans s’annuler. Jérôme Hankins n'oublie jamais le sens, là où d'autres plongeraient dans le burlesque. Le public ne s'y trompe pas, ne lâchant jamais son attention malgré les cigales et les bruits de la route. Il s'appuie sur des comédiens de tous âges, exceptionnels dans leur jeu, peut-être parce qu'ils ont appris les leçons d'Edward Bond. Outre d'être un traducteur, Hankins est un passeur. D'un numéro d'équilibre (le cours traduit aux adolescents) à l'autre (la mise en scène), Jérôme Hankins et ses comédiens font trembler les murs invisibles de ce théâtre de plein air pour nous donner une belle leçon entre l'art et le social.
Contre Courant est un joli numéro.
Pascal Bély
www.festivalier.net
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