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Au Festival d’’Avignon, « Combat de nègre et de chiens » résonne.

Festival d’Avignon, le 13 juillet 2006,

Au Gymnase Aubanel, le metteur en scène Arthur Nauzyciel présente « Combat de nègre et de chiens » de Bernard- Marie Koltès. Assis au dernier rang, je suis surpris par cette scène très profonde et ce voile très fin qui la sépare du public. Nous sommes en Afrique sur un chantier de construction qui emploie de la main-d’oeuvre locale. Horn, le patron, est l’ami-amant de Léone. Ils arrivent d’un long séjour à Paris. Alboury cherche le corps de son frère mort mystérieusement sous les yeux du contremaître Cal. Pendant deux heures trente, j’assiste, médusé, à la confrontation de deux mondes (L’Afrique et l’Occident), à la violence des rapports amoureux hors norme (Léone et Alboury finissent par s’aimer) et au racisme le plus ordinaire. Ce sont tous des acteurs américains magnifiques. À quatre, ils tissent patiemment la trame dramatique de cette histoire qui résonne pour tous les peuples colonisateurs, dont les Français.

Le début surprend certains spectateurs qui n’hésitent pas, au bout d’une heure, à quitter la salle. Mon corps est lourd et je lutte : vais-je tenir tant cela me paraît long ? La mise en scène entretient cette lourdeur: lumière tamisée, lenteur des déplacements, dialogues sur mesure pour signifier le poids du passé et des clichés. Elle suggère par petite touche la montée en puissance de ce combat: Alboury qui parlemente derrière le voile, Cal qui prend sa douche pour se laver de la (sa) boue, Léone et Horn qui échangent leurs lointaines impressions. Cette distance, voulue par le metteur en scène, se réduit au fur et à mesure de l’intensité des relations. Et puis, tout se craquelle : Cal devient de plus en plus violent, Alboury qui ne peut aimer Léone sans trahir les siens, Horn qui trompe la confiance d’Alboury. On s’attache à chacun de ces personnages, car rien n’est survolé. Le langage analogique est puissant (le sol qui devient boueux alors que tout s’écroule pour Leone, le décor qui s’embellit à mesure que l’histoire d’amour se construit, le son qui nous plonge dans la nuit africaine). Rien n’est totalement dévoilé pour laisser au spectateur la possibilité d’interagir avec chacun des protagonistes.

J’ai l’impression de voir un film de cinéma, d’assister à une chorégraphie, de ressentir la profondeur du décor comme du texte, tant cette mise en scène est intelligente. Elle ne fait pas appel à la compassion du spectateur, mais elle lui permet d’avoir la bonne distance émotionnelle pour l’inviter à réfléchir, à faire les liens avec le contexte français. Car le racisme est un processus complexe qui ne peut-être réduit à des jugements à l’emporte-pièce. Nauzyciel rend profond ce qui ne l’est pas à première vue. Son travail de l’espace scénique suggère le dedans- le dehors, seule posture capable d’appréhender le racisme.

Arthur Nauzyciel m’a offert un très beau moment de théâtre. Il l’a rendu possible alors que mon corps s’apprêtait à flancher. Je n’ai pas abandonné la partie. Les menaces qui pèsent sur notre société et le monde ne le permettent pas.

 Pascal Bély, Le Tadorne.

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EN COURS DE REFORMATAGE

En Avignon, Marcial Di Fonzo Bo et Copi font leur festival.

La présence de Marcial Di Fonzo Bo au Festival d’Avignon est en soi un événement. C’est un grand acteur, aujourd’hui metteur en scène et membre du collectif « Le théâtre des Lucioles ». Mais surtout, il affirme son positionnement en programmant trois œuvres de Copi, « La Tour de la Défense », « Les poulets n’ont pas de chaises » et « Loretta strong ». Il rend ainsi hommage à cet auteur et dessinateur du Nouvel Observateur, décédé en 1987. Pour cela, Martial Di Fonzo Bo investit le Lycée Mistral. Comme pour Olivier Py l’an dernier, je retrouve l’ambiance de la troupe de théâtre installée dans la durée : les enfants qui courent, le public au bar, et un magnifique chapiteau crée par le Théâtre Dromesko. Cette atmosphère contribue à soutenir l’œuvre de Copi.

« La tour de la Défense » se joue dans le gymnase du lycée. Le dispositif bi-frontal met l’appartement au centre et permet de l’apprécier dans toute sa complexité à partir du regard horizontal. Luc et Jean vivent ensemble dans cet appartement avec vue panoramique sur la capitale. Tout paraît transparent (leur mode de vie gay et les excentricités qui vont avec) mais leur solitude individuelle ne fait aucun doute. Ils semblent vivre l’un à côté de l’autre. Daphnée, leur voisine de palier, leur rend régulièrement visite. Sous acide en permanence, elle n’assume plus son rôle de mère à l’égard de sa petite fille, âgée de 3 ans. Micheline, travestie la nuit, est invitée pour ce réveillon du jour de l’an. Elle est là par hasard, mais rien n’est moins sûr. Ahmed fait irruption comme amant présumé de Daphnée et « arabe » de son état. Il s’engage avec courage et détermination à préparer ce réveillon de folie. Entre un énorme serpent qui sort des toilettes (il finit au four farci avec un rat), les évanouissements répétés de Daphnée, les engueulades du couple, et la découverte macabre de la petite fille dans une valise, rien ne nous est épargné. L’absurdité des situations est portée par une mise en scène exceptionnelle. Elle repose sur le jeu des acteurs (cela peut paraître évident, mais méfions-nous des évidences !) : Marina Foïs est sublime, touchante et Pierre Maillet est criant de vérité en travelo. L’ensemble de la troupe porte l’œuvre de Copi comme un défi qu’il faut relever dans ce Festival. Je le vois, je le sens. Aucun ne se positionne en meneur du jeu parce que l’enjeu n’est pas là : ce qui est central, c’est leur isolement, leur solitude affective et la fonction de la provocation comme seul mode d’expression de leur sentiment. Le rire du public traduit la tension souterraine de l’histoire, mais aussi la gêne que provoque le comportement déviant. Pourtant, Martial Di Fonzo Bo arrive à jouer l’homosexuel comme vous et moi ! Une performance d’acteur ! Au final, « La tour de la Défense » est un beau moment de théâtre qui positionne Copi comme un auteur d’Avignon. Le Festival finira bien par lui faire la cour.

Le deuxième spectacle, « Les poulets n’ont pas de chaise » se joue un soir de finale de la coupe de monde de football. Décidément, tous les matchs de l’équipe de France m’ont poursuivi de Marseille à Montpellier, jusque dans la cour du Lycée Mistral ! Si la France a perdu ce soir-là son idole et son trophée (belle image que ce sale coup de tête qui finalement vaut de l’or…Futé ce Zidane !), Martial Di Fonzo Bo a gagné le public ! « Les poulets.. » est un bijou de créativité et de croisement des arts. Les dessins de Copi sont à la fois projetés sur un fin tissu blanc qui sépare la scène du public, mais joué par une troupe d’acteurs exceptionnels. Les dessins provocateurs de Copi, publiés la plupart par Le Nouvel Observateur dans les années 60 – 80, deviennent vivants ! L’alternance des saynètes, leur appui par la vidéo, l’orchestre musical en direct, donne au tout l’impression de voir un dessin animé, un film au ralenti. Martial Di Fonzo Bo est magistral et mène son groupe comme un coq dans un poulailler. C’est drôle, instructif pour qui ne connaît pas l’univers de Copi. Mais surtout, la mise en scène est d’une telle créativité qu’elle positionne Martial Di Fonzo Bo comme le crayon de Copi. Ces poulets ne sont décidément pas prêts de passer à la casserole !

L’entracte permet de se remettre de ces émotions et de goûter à l’ambiance si calme de la cour du Lycée (sic). Le dernier spectacle de cette soirée, « Loretta Strong » déçoit. C’est l’histoire du cosmonaute qui vient d’apprendre par la radio que la terre a explosé. Seule, elle se retrouve au milieu du chaos à devoir survivre, à devoir aimer (quitte à ce que cela soit avec un rat !). Martial Di Fonzo Bo est suspendu au dessus du public, à la mort. J’ai du mal à rire, à me laisser aller. Le texte est lourd comme Loretta au-dessus de ma tête. Je m’ennuie comme une farce un peu longue dont on attend la fin pour applaudir et dire merci, soulagé. C’est peut-être la pièce de trop, jouée sur un coup de tête. Sacré Zidane !

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