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THEATRE MODERNE

Ados Ré Mi, ados unies.

Elles sont quarante adolescentes à la voix de cristal (elles appartiennent au Vocal Theatre Carmina Slovenica) à entrer sur la scène du Théâtre de la Ville de Paris. Leur silence fait un bruit assourdissant. On dirait une révolte, une invasion. Peu à peu, elles occupent toute la scène pour la métamorphoser à l’image de ce passage escarpé de l’adolescence au monde adulte. Le metteur en scène Heiner Goebbels leur offre l’espace dont nous rêvions à leur âge: tout peut se dire tant que l’écoute est là; tout peut se jouer pourvu que la liberté soit célébrée; tout peut changer parce que rien n’est inéluctable. «When the mountain change its clothing» est un spectacle qualifié de musical par le Festival d’Automne. Il est avant tout, une ?uvre délicate, envoutante, émouvante et pour tout dire, utile. Oui, utile, car à l’heure où l’enfance est maltraitée (souvenons-nous d’Enfant, chorégraphie de Boris Charmatz au Festival d’Avignon qui dénonçait nos agissements envers les plus petits), où elle peine à être au c?ur des politiques publiques, il est capital qu’une scène lui soit offerte. Après «…du Printemps » de Thierry Thieû Niang, danse pour séniors engagés présentée le mois dernier, le Festival d’Automne nous permet de poursuivre ce voyage poétique en traversant les âges de la vie.

Car «When the mountain change its clothing» est avant tout un long poème musical où chaque scène est une strophe, chaque mouvement du corps est une rime, chaque chant un alexandrin. Le plateau est un espace mental où défilent les rêves, le bruit et la fureur, les utopies de l’adolescence. Je me surprends à y retrouver des images enfouies par le temps et la peur de se souvenir de cette époque où la rage d’en découdre pansait mes enchantements blessés.

Ce soir, elles bouleversent l’ordre établi du théâtre. Le décor, elles le montent elles-mêmes. Les chaises, symbole de la place, sont l’objet d’un magnifique ballet, comme un hommage sincère à Pina Bausch qui n’est plus là pour écouter leurs rêves dansants. «Chantez, sinon vous êtes foutus» semble lui répondre en écho Heiner Goebbels qui offre à ces jeunes filles toutes les scènes qu’il est encore possible d’imaginer. Là un carré de gazon pour évoquer ses rêves, ses révoltes, revivre tous les rituels du collectif et convoquer la scène de l’écoute. Tout autour des tables pour délimiter l’ici et l’ailleurs, mais surtout pour y jouer la petite Barbie, fantasme d’adultes d’une enfance formatée. Au milieu, une grande toile de cinéma où défilent différents décors, comme autant de tableaux (du paysage bucolique pour une enfance bien sage aux rêves joliment normés, à la forêt vierge pour y cacher leurs cabanes à désirs, vers des arbres hivernaux dont les formes évoquent le réseau et l’ouverture vers le monde). Il y a même l’envers du décor où nos jeunes filles se métamorphosent?

C’est ainsi que pendant quatre-vingts minutes, j’écoute. Profondément. Sans jamais me faire tomber dans la niaiserie parce que chaque scène est percutante. On apprend, non sans humour, que  l’école du savoir à l’heure du Google ne fait plus rêver, qu’elle est une mécanique pour formater. Je découvre médusé la lecture d’un superbe texte de Jean-Jacques RousseauÉmile, ou se l’éducation») qui commence par une interrogation qui va chercher loin («-Vous souvenez-vous du temps que votre mère était fille ?»), très loin: être jeune fille n’a pas d’âge si l’on veut bien s’inscrire dans la lignée et le questionnement du sens («-Qui est-ce qui vivait avant vous? ?Mon père et ma mère ?Qui est-ce qui vivra après vous? ?Mes enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants ?Vivrez-vous toujours? ? Oui!»).

Ces jeunes filles sont au travail?dans tous les sens du terme, jusqu’à déchiqueter leur peluche d’enfant et théoriser sur la pauvreté et les riches. L’utopie n’est plus à chercher de ce côté-là?mais à raisonner autrement, à changer de paradigme, celui où tout serait lié et non compartimenté. Elles n’en peuvent plus de cet environnement qui formate plus qu’il n’émancipe. En témoigne le magnifique passage écrit par Gertrude Stein qui clôt ce voyage en adolescence : «…les gens croient qu’ils s’intéressent à la bombe atomique, mais pas du tout, ça ne les intéresse pas plus que moi. Mais alors là, pas du tout. Ils ont peut-être un peu peur, moi pas trop, il y a tant de choses qui font peur, alors à quoi bon se faire peur, et si on n’a pas peur, la bombe atomique n’a aucun intérêt. On reçoit tant d’informations à longueur de journée qu’on en perd le sens commun. On en écoute trop, du coup on oublie d’en être naturel. Voilà une bien belle histoire

Retrouver le naturel, c’est probablement se ressentir sur un passage.  De l’adolescence à l’âge adulte?de l’adulte à nous autres.

Pascal Bély ?Le Tadorne

« When the mountain change dits clothing » d’Heiner Goebbels avec le Vocal Theatre Carmina Slovenica au Théâtre de la Ville à Paris dans le cadre du Festival d’Automne du 25 au 27 octobre 2012.

Heiner Goebbels sur le Tadorne:

Au Festival d’Avignon, la terre patrie d’Heiner Goebbels.

– L’apocalypse d’Heiner Goebbels emporte le Festival de Marseille.

– Le Festival de Marseille fait tomber les murs de La Criée avec « Eraritjaritjaka, Musée des Phares »

 

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON Vidéos

Cupidon Dave St Pierre danse pour Pina.

Cette pièce n’a pas de titre (elle ne s’appellera “Foudres” que plus tard). Juste une caractéristique : «Création 2012» pour la Biennale de la Danse de Lyon. Le chorégraphe canadien Dave St Pierre ne peut donc nommer son travail. Je ne m’y aventure pas car je peine à qualifier, à projeter ce spectacle dans une appellation qui pourrait l’enfermer et cataloguer un peu vite la vision qu’il m’en donne.

Dave St Pierre est un des enfants de Pina Bausch. Ils sont peu nombreux à revendiquer cette  filiation. De ma place de spectateur, je ressens ce lien. C’est indéfinissable. Ce soir, il va l’incarner avec ses dix-huit danseurs et mettre en mouvement cette phrase mythique prononcée par la grande dame: «Longtemps, j’ai pensé que le rôle de l’artiste était de secouer le public. Aujourd’hui, je veux lui offrir sur scène ce que le monde, devenu trop dur, ne lui donne plus: des moments d’amour pur.»

Avec Dave St Pierre, ces moments sont là. Fulgurants. Poignants. À l’état brut.

Cet amour pur est un geste de danse, toujours imagé, si rarement chorégraphié: tomber amoureux. Seize cupidons tombent alors comme des mouches, avec fracas. Sur ce champ de mines, j’y vois des partisans qui entonnent en choeur: «Amis entends-tu les cris sourds des corps qu’on enchaîne ?». C’est d’une violence et d’une beauté inouïes.

Cet amour pur est une danse où se livre une guerre sans merci, une armada de cupidons déterminés, sans gêne, parfois conventionnels, souvent culottés contre nos corps égarés, nus, qui ne savent plus où aller entre pulsions mortifères imposées par la société de consommation du sexe et ces figures mythiques qui peuplent nos imaginaires («Roméo et Juliette», «Cendrillon”, …).

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Cet amour pur est un bouquet de fleurs blanches explosé dans le sang des veines de ceux qui n’en sont pas revenus.

Cet amour pur, ce sont les gestes d’une mère qui tout en nous habillant, nous glissait au creux de l’oreille,  «ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid».

Cet amour pur, c’est une  solitude qui s’invite…«Je sais que tes amours sont mortes, Je suis revenue, me voilà». Elle ne tarde  pas pour  appeler en renfort une machine qui lave le sol souillé par nos fleurs ensanglantées et vous déguerpit pour libérer le passage…pour ceux qui attendent leur tour d’être transpercé par nos flèches empoisonnées et recyclables.

Avec Dave St Pierre, cet amour pur vous saute à la gueule lorsqu’avec les tables d’opérations à coeur ouvert, seize cupidons et deux amoureux se livrent à une longue bataille pour créer LA scène de nos amours mortes. C’est interminable. Il n’y a ni vainqueurs, ni vaincus: juste une danse aux accents guerriers pour apprendre à se prendre dans les bras sans se lâcher. Car nous avons tant perdu. Aux «bonnes manières» d’antan se sont substitués des gestes obscènes empruntés à la publicité pornographique des communicants qui collent sur les murs de nos villes et de nos campagnes leurs  sauts de femmes-objets et de corps pénétrés par nos désirs de possession. Nous devons nous soigner et prendre exemple sur ces cupidons qui, lors d’une thérapie de groupe hilarante, convoquent un spectateur d’ici bas pour expulser leurs pulsions dévastatrices!

Nous sommes donc devenus de grands malades de l’amour consumériste. Il nous faut réapprendre à danser, à nous habiller de nos costumes de bal pour nous entrainer à nous lâcher au bon moment, à nous reprendre quand le rythme l’impose. Il nous faut retrouver «la classe», l’élégance, et nous enivrer d’images de danse, de celles offertes par Dave St Pierre. Cette création généreuse nous en offre : à côté des guerres…il y a ces moments d’amour pur, généreux…vers le public…

Où elle et lui s’enlacent et leurs corps colorés par le jus d’orange nous envoient une salve d’odeurs de coeurs pressés.

Où des terriens-cupidons apprennent à danser leurs rêves dansants sous l’oeil vigilant et bienveillant de Pina.

Où elle et lui dansent leurs premiers gestes puérils où «toi c’est moi», ou «moi dans toi».

Où nos terriens-cupidons habillés et habités par Pina, nous saluent lentement, en reculant vers les coulisses, comme un au revoir provisoire pour le plus beau salut qu’il m’est été offert sur un plateau de théâtre.

Mais je le sais : il y a dans ce geste de la main, la disparition d’un amour fou.

Pas d’une utopie.

Pascal Bély, Le Tadorne

“Foudres” à Biennale de la Danse de Lyon le 30 septembre 2012.

Dave St Pierre sur Le Tadorne: “Dave St Pierre: pile-poil”

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DANSE CULTE ETRE SPECTATEUR

Sur ma table de nuit, la fleur volée à Pina.

Savez-vous d’où vient cette fleur? Sa photo fut postée par Francis Braun sur la page Facebook du Tadorne. Je lui ai demandé de nous raconter son histoire. Mémoire de spectateur…

Pascal Bély

Arthur Plasschaert a travaillé longuement avec Maritie et Gilbert Carpentier à la télévision. Il a été le chorégraphe de Chantal Goya. Dans les années 80, il venait régulièrement avec sa soeur à Saint-Rémy, et nous parlions souvent de music-hall, de théâtre et de danse et même parfois de spectacles dont il était le chorégraphe….J’y allais sur la pointe des pieds, car Chantal Goya et ses lapins ne me passionnaient pas outre mesure.

Un jour,  il a évoqué certains chorégraphes. Il en parlait avec beaucoup de discernement, de rigueur et d’impartialité. Sa connaissance de la danse ne me laissait pas indifférent et j’étais persuadé que parmi ses choix, certains devaient être passionnants. J’en connaissais certains, et d’autres m’étaient totalement inconnus. C’est en juin 1980, qu’il me conseille d’aller voir ABSOLUMENT un spectacle d’une chorégraphe allemande au Théâtre Municipal d’Avignon pendant le Festival. Ce nom m’était inconnu comme à beaucoup d’autres à cette époque-là. Il me dit d’un ton professoral: «va voir PINA BAUSCH et tu verras !».
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J’ai  hésité à suivre son conseil. Mais vu son insistance et sa conviction à défendre cette danseuse, je pris des places au Bureau du Festival. Je réservais alors un rang entier pour ma famille et mes amis. Nous étions au 8 ° rang….et ce fut LA Révélation.
Pour retracer l’événement, il faut se souvenir…Ce fut en 80, un nouveau départ, une nouvelle démarche pour la direction du Festival…Un bouleversement pour moi aussi, mais également pour de nombreux spectateurs :
“La nouvelle génération du théâtre comme de la danse faisait une entrée en force : Daniel Mesguich (Le Roi Lear), Jean-Pierre Vincent (Les Dernières nouvelles de la peste de Bernard Chartreux), Georges Lavaudant (Les Céphéïdes de Jean-Christophe Bailly), Jérôme Deschamps (Les Blouses), Manfred Karge et Matthias Langhoff (La Cerisaie, Le Prince de Hombourg), Philippe Caubère (La Danse du diable), Pina Bausch (Kontakthof, Walzer, Nelken), Jean-Claude Gallotta (Daphnis et Chloé, Yves P), Maguy Marin, etc.”(Dixit le Festival d’Avignon).
Pina avait conquis les festivaliers sauf, bien entendu certains, qui outrés, scandalisés ou heurtés  avaient quitté la salle en hurlant….
D’abord au Théâtre municipal, EIN STUCK VON...” dansé, orchestré, dirigé, amené avec surprise par une dame, longiligne, cigarette au bec, cheveux longs, maigreur terrible, une dame sortie de Wuppertal, du noir profond de la  lugubre Allemagne, une ombre sortie d’une mine de charbon, une ombre allemande sortie de toutes les Tragédies, une dame sublime dans sa rigueur, dans le geste de ses bras, dans l’abime de son regard.
Pina, Pina, Pina…il fallait l’appeler par son prénom…ainsi elle entrait chez les spectateurs, comme le membre essentiel de notre famille, un gourou, un emblème, la chef de file d’autres spectacles…avant elle, après elle, tout allait, à présent devenir différent.
Notre enthousiasme fut immense. Nous mimions même les farandoles des comédiens qui passaient dans les rangs et faisaient semblant d’offrir du thé aux spectateurs étonnés et ravis. A qui voulait l’entendre, j’affirmais : «il y a un avant et un après Pina». Tout allait changer.
Ein Stuck von” ; “Kontakthof” ; “Café Muller“;  “Bandonéon” ; “Nelken“…
Puis cette fleur, et ses ?illets que j’ai volés sur le Plateau de la scène du Palais des Papes…Mais je m’en foutais, je devais les avoir; quitte à me faire attraper, j’étais devenu l’enfant, celui qui bravait l’interdit. Je les  voulais, je les ai volées et depuis je les aie.
Je les aime bien ces  fleurs….elles n’ont  jamais fané depuis, car c’est évident, c’est l’éternité et c’est peut-être la magie de Pina…
Francis Braun, Le Tadorne.

Alors, d’où vient cette fleur? Vos réponses en commentaires, ci-dessous.

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Mon cinéma avec Pina.

Le bonheur m’inonde lorsque je repense à ces quarante jeunes danseurs, d’horizons et de cultures si différents. Une danse à l’unisson qui a fait son chemin et ne les quittera plus. «Les rêves dansants», le très beau documentaire sur la création de «Kontakthof»,de Pina Bausch nous plongent au coeur de l’acte créatif et de la difficulté d’être quand on a quinze ans.

Travail douloureux que l’apprentissage du corps, le toucher, le sensible, le cru et le cuit. La danse de Pina Bausch leur offre cet espace avec son lot de questionnements. Rien n’est évident. Et pourtant, avec la vigueur et l’affirmation de soi, chacun trouve sa place dans ce groupe à diverses facettes. Cette belle image donnée à la jeunesse, que l’on dit sacrifiée, mais qui est ici volontaire, poursuivant un objectif commun (celui de la représentation), nous procure des ailes dans le dos.

La filiation, qui leur est donnée de porter (l’acte de danser des pas déjà interprétés par d’autres, notamment par des séniors), leur semble naturelle. Jo Ann Endicot et Bénédicte Billiet (collaboratrices de Pina Bausch) sont là, présentes, l’ouïe et le regard attentifs au moindre geste, à la moindre résistance du jeune corps. Les liens se tissent, une énergie se met en place, un but commun naît et l’implication personnelle de chacun, provoque l’engagement du groupe.
Cet acte dansant se joue de tous les beaux discours. Il replace le jeune, cet être hybride que nous avons du mal à cerner, au c?ur de la cité, tout en l’incluant dans la réflexion et se nourrit de lui.
Une écoute, faire confiance en, dialoguer, lier les êtres. Pina avait compris comment on met en mouvement une société à partir de sa jeunesse et de ses vieux…

…puis un festival de courts, j’y cours

Niché dans le village de Cabrières les Avignon, le festival “Court c’est court”, organisé par l’association Cinambule, offre au public une vision à 360 degrés du monde. Pas de misérabilisme, ni de complaisance, mais une mise en images toujours juste, parfois drôle et dérangeante. Petite sélection.

Une vie” d’Emmanuel Bellegarde est le plus percutant et le plus court (1min 47 secondes pour être précis). Efficace, nécessaire, il interroge notre rapport au marginal, celui que l’on ne voit plus. Marginalisé par qui, par quoi et pourquoi ? Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à  ne pas s’inclure, mais plutôt de s’exclure d’une société qui ne cesse de prôner la performance? Quelle est la valeur que l’on porte à l’être humain ? La valeur d’une vie ? Pas si sûr?

“The Marina experiment” de Marina Lutz est de loin le film le plus nauséeux qu’il m’ait été donné de voir. Marina expérimente une relation étrange avec son père. Tout au long de sa vie, celui-ci la photographie et l’enregistre. À sa mort, Marina retrouve les bobines et autres photos dans des cartons. D’un savant archivage, de recoupage en recoupage, elle explore sa relation au père  tel qu’il est et/ou tel qu’elle le voit. La suprématie masculine et une forme de lien incestueux colorent ce documentaire. «Lemon incest» résonne alors à mes oreilles. Marina Lutz nous dévoile un coin du canevas sans aller jusqu’au bout de son histoire. Elle dépose son fardeau à nos pieds et nous le fait porter.

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Between dream” d’Iris Olsson est le court le plus mystérieux, le plus onirique, mais totalement rafraîchissant. Imaginez-vous dans un train couchettes, quelque part entre la Russie et l’Estonie, en train de rêver et de dire ces rêves. La nuit est froide, le train peut accueillant et pourtant. Il se passe quelques minutes essentielles à toutes les vies, ces minutes suspendues où tous les possibles deviennent vrais, où toutes les barrières cèdent. Ces minutes partagées avec les occupants du train où je rêve aussi avec eux.

Je me vois danser «Kontakthof» avec les jeunes danseurs que j’avais quittés quelques jours plus tôt. Pour croire, encore.

Laurent Bourbousson -www.festivalier.net

« Les rêves dansants. Sur les pas de Pina », film documentaire d’Anne Linsel. Toujours à l’affiche
Festival Court c’est Court, organisé par l’association Cinambule, s’est déroulé du 18 au 21 novembre 2010, à Cabrières d”Avignon.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON DANSE CULTE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Une “salve” d’oeillets par Pina Bausch à la Biennale de la Danse de Lyon.

Elle a disparu le 30 juin 2009. Au Festival d’Avignon, il y a eu cet hommage, ce moment fragile autour d’un parterre d’?illets imaginé par Raimund Hoghe, son ancien dramaturge. Le 13 octobre 2010, sortira en salle, « les rêves dansants » d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, beau documentaire (voir vidéo) qui retrace l’aventure d’un groupe d’adolescents sélectionnés pour interpréter « Kontakthof », l’une de ses oeuvres mythiques.

Mais cela ne suffit pas à voir au-delà, à s’imaginer l’avenir de la danse contemporaine sans Pina Bausch. Et pourtant…Il y a eu les chocs de la programmation du Festival d’Avignon autour du corps l’été dernier. Deux mois plus tard, la Biennale de la Danse de Lyon poursuit l’Oeuvre. En programmant au cours d’un week-end «Nelken» de Pina Bausch, «Salves» de Maguy Marin (article du Tadorne  ici), «fondly do we Hope?Fervently do we pray» de Bill T.Jones, tout s’éclaire.

A commencer par l’extraordinaire vision de l’art chorégraphique portée par Maguy Marin. « Salves » aura probablement le même destin que « May B », l’une de ses oeuvres majeures, créée en 1981. Là où Pina Bausch théâtralisait la danse, Maguy Marin chorégraphie le théâtre. C’est une victoire du corps et un tournant : la danse n’a peut-être plus besoin de questionner en permanence son esthétique. Elle se doit d’habiter un propos et d’y intégrer son histoire. Mais surtout, la « danse théâtre » repose sur la sensibilité du spectateur, qu’elle provoque, électrise, pour «décontaminer» notre regard. Dit autrement, Maguy Marin repolitise à partir d’un art qu’elle « traumatise » pour sortir enfin de la « pensée molle ».

Rien de tel avec Bill T.Jones. En répondant à une commande pour célébrer le 200ème anniversaire de la naissance d’Abraham Lincoln, la danse n’est ici que prétexte pour embaumer l’histoire. On cérémonise là où l’on aurait apprécié un propos engagé.  Bill T.Jones propose une danse officielle (qui n’a rien à envier à l’art nord-coréen), sans dynamique, alourdie par une mise en scène conventionnelle (ah, le rideau que l’on ouvre et que l’on ferme !). A ce jour, il n’y pas de doute, la danse «contemporaine» est belle et bien en Europe.

C’est un parterre d’oeillets qui accueille.

« Nelken » de Pina Bausch et ses vingt et un danseurs accueillent le spectateur et son désir de danse. Ce soir, à l’Opéra de Lyon, tous les rêves de danse sont permis, même avec le petit doigt.
C’est un parterre d’oeillets, entretenu par Pina Pausch, depuis longtemps “piétiné” (dans le bon  sens chorégraphique du terme!) par tant d’artistes inspirés par son oeuvre! Tout au long de ces deux heures prodigieuses, je n’ai cessé d’imaginer en chacun des danseurs, un chorégraphe. A savoir, tous ceux qui m’accompagnent dans mon parcours de spectateur à m’éloigner de l’illusion du mouvement bavard  pour me recentrer sur le sens.
C’est un parterre d’oeillets, celui de notre scène chorégraphique, délicatement protégée par Dominique Mercy (il dirige aujourd’hui le TanzTheater Wuppertal Pina Bausch; voir la vidéo). Il est ce soir, notre frère de danse.
C’est un parterre d’oeillets, pour que chaque spectateur puisse faire sa révolution, sa réévolution et s’interposer dès que le désir est maltraité par le Pouvoir.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y perdre, pour substituer à notre animalité, une robe de soirée, parce que de dessous, on y voit l’origine du monde.
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C’est un parterre d’oeillets, où tous les corps vieux et jeunes forment le jardin des délices, mais aussi le camp de ceux qui n’en sont pas revenu.

C’est un parterre d’oeillets piétiné par notre toute-puissance de spectateur avide de spectaculaire et dont il ne faut pas grand-chose, des petits gestes avec la main, pour apaiser ses pulsions mortifères.
C’est un parterre d’oeillets assiégé par la barbarie, où l’on se jette seul d’une passerelle tandis que le collectif  poursuit sa danse, coûte que coûte. Parce que, le corps dansant…finalement.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y allonger, puiser la force de se relever pour être « femme debout !», « homme debout ! »…
C’est un parterre d’oeillets pour y créer l’assemblée constituante. Celle des spectateurs dansants, rêvant d’une société fraternelle, protégée par les artistes vigiles.
C’est un parterre d’oeillets pour que la danse célébre le fragile et donne la force d’accueillir les «salves» de Maguy, tous les corps tordus de folie, d’amour de Raimund et Pippo…

C’est un parterre d’oeillets où se cache la poésie de mes chorégraphes « chéris »…

Pascal Bély – Le Tadorne

"Nelken" de Pina Bausch du 15 au 20 septembre 2010 / "Salves de Maguy Marin du 13 au 19 septembre 2010/ « fondly do we Hope?Fervently do we pray » de Bill T.Jones du 18 au 22 septembre 2010 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.
Crédit photo: Ursula Kaufmann
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Un dimanche, le monde selon Pina Bausch.

Dimanche matin.

Il y a ce commentaire de Pascal Bély, alias le Tadorne, sur ma page Facebook, suite à la mise en ligne d’un article du Monde relatif au futur changement de direction du 104, établissement culturel parisien. Alors que  Christophe Girard, adjoint à la culture de Bertrand Delanoë déclare : « On va se tourner vers des gestionnaires plutôt que vers des artistes », Le Tadorne estime que « gestionnaire ou artiste, là n’est peut-être pas la question! C’est le projet lui-même qu’il faudrait interroger ».

Dimanche, début d’après-midi.

Lecture du récent rapport de la Cour des Comptes relatif au bilan de la décentralisation. Les conseillers fustigent le Gouvernement de n’avoir pas suffisamment défini le niveau de qualité de service public attendu, dans le cadre des transferts de compétence de l’Etat vers les collectivités territoriales. Encore aujourd’hui, les relations entre ces deux niveaux se réduisent à des querelles sur le montant des compensations. L’objet même de la décentralisation a été négligé. Une nouvelle fois, la question financière avant celle du projet.

Dimanche, milieu de l’après-midi.

Proposition impromptue d’une amie : aller voir Vollmond” créé en 1997 par Pina Bausch et présenté au Théâtre de la Ville à Paris.

Sur scène, la profusion. Avec douze danseurs dont le fidèle Dominique Mercy aujourd’hui devenu directeur artistique du Tanztheater Wuppertal, Pina Bausch donne à voir sa vision de l’humanité. La comédie humaine qu’elle présente est celle de la joie de vivre, de la relation homme-femme pour dominatrices qu’elles sont chez Pina, les femmes n’en sont pas moins fragiles-, du burlesque parfois, du désespoir souvent.

Un cours d’eau d’abord tranquille a été mis en place en fond de scène. Il deviendra le lieu de mille trouvailles scénographiques. A l’image de cette eau qui ne cessera de couler durant les deux heures que dure le spectacle, l’?uvre vibrante et vivante qui se déroule sous nos yeux est celle d’une femme libre.

J’entendrai des spectateurs regretter l’épure de la mise en scène présente dans “Café Müller” ou dans “Kontakthof“. Mais pour spectaculaire qu’il soit, en raison notamment des trombes d’eau qui s’abattent parfois sur scène-, ce spectacle ne sacrifie rien à la puissance émotionnelle du geste dansé.

Au contraire, chaque tableau est porteur de rires comme de larmes. On s’esclaffe quand une danseuse à la voix de stentor s’exclame d’un ton excédé : « Si l’eau bout à 100 degrés, le lait c’est toujours quand on a le dos tourné ! ». On pleure quand une autre, hurle sa douleur d’être livrée à elle-même dans l’eau devenue sombre marécage.

Depuis dimanche.

Même si Pina Bausch est morte, je refuse à  me résoudre à ce que les organisations humaines laissent désormais la performance financière être leur seule raison d’être.

Pourquoi ai-je l’impression, qu’à l’image de Gyrations of barbarous tribes” de Franck Micheleti, la chorégraphie de Pina Bausch nous montre le monde tel qu’il devrait être ?

Sa danse est celle de la communion des êtres humains.  L’univers bouleversant qu’elle créée  nous indique que quel que soit le contexte, le vouloir être ensemble des hommes  doit prédominer. Avec notre diversité, ses danseurs viennent des quatre coins du monde: notre destin reste commun.

Ce monde-là est l’antidote à la gouvernance de l’argent. Il est la réponse aux questions posées par le documentaire de Jean-Robert Viallet sur la Mise à mort du travail” présenté sur France 3.

Je veux croire avec Edgar Morin citant Friedrich Hölderlin que « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve». Car au final comme l’écrivait Hervé Guibert pour Le Monde en 1982 « Ce n’est pas Pina Bausch qui nous blesse le c?ur, il était déjà blessé, seulement cette blessure était tombée dans l’oubli, on s’était employé à nous la faire oublier, à la faire passer pour futile, romantique, narcissique, et Pina Bausch, par l’intermédiaire des corps de ses danseurs, nous rappelle à la réalité, à la vitalité de cette blessure. Elle ne nous tend pas de miroir, ou l’illustration, mais une sorte de radiographie cinglante qu’elle accompagne en même temps d’émollients, d’une trousse de secours pour brûlés du second degré. »
Elsa Gomis -www.festivalier.net

© crédit photo: Laurent Philippe