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Une “salve” d’oeillets par Pina Bausch à la Biennale de la Danse de Lyon.

Elle a disparu le 30 juin 2009. Au Festival d’Avignon, il y a eu cet hommage, ce moment fragile autour d’un parterre d’?illets imaginé par Raimund Hoghe, son ancien dramaturge. Le 13 octobre 2010, sortira en salle, « les rêves dansants » d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, beau documentaire (voir vidéo) qui retrace l’aventure d’un groupe d’adolescents sélectionnés pour interpréter « Kontakthof », l’une de ses oeuvres mythiques.

Mais cela ne suffit pas à voir au-delà, à s’imaginer l’avenir de la danse contemporaine sans Pina Bausch. Et pourtant…Il y a eu les chocs de la programmation du Festival d’Avignon autour du corps l’été dernier. Deux mois plus tard, la Biennale de la Danse de Lyon poursuit l’Oeuvre. En programmant au cours d’un week-end «Nelken» de Pina Bausch, «Salves» de Maguy Marin (article du Tadorne  ici), «fondly do we Hope?Fervently do we pray» de Bill T.Jones, tout s’éclaire.

A commencer par l’extraordinaire vision de l’art chorégraphique portée par Maguy Marin. « Salves » aura probablement le même destin que « May B », l’une de ses oeuvres majeures, créée en 1981. Là où Pina Bausch théâtralisait la danse, Maguy Marin chorégraphie le théâtre. C’est une victoire du corps et un tournant : la danse n’a peut-être plus besoin de questionner en permanence son esthétique. Elle se doit d’habiter un propos et d’y intégrer son histoire. Mais surtout, la « danse théâtre » repose sur la sensibilité du spectateur, qu’elle provoque, électrise, pour «décontaminer» notre regard. Dit autrement, Maguy Marin repolitise à partir d’un art qu’elle « traumatise » pour sortir enfin de la « pensée molle ».

Rien de tel avec Bill T.Jones. En répondant à une commande pour célébrer le 200ème anniversaire de la naissance d’Abraham Lincoln, la danse n’est ici que prétexte pour embaumer l’histoire. On cérémonise là où l’on aurait apprécié un propos engagé.  Bill T.Jones propose une danse officielle (qui n’a rien à envier à l’art nord-coréen), sans dynamique, alourdie par une mise en scène conventionnelle (ah, le rideau que l’on ouvre et que l’on ferme !). A ce jour, il n’y pas de doute, la danse «contemporaine» est belle et bien en Europe.

C’est un parterre d’oeillets qui accueille.

« Nelken » de Pina Bausch et ses vingt et un danseurs accueillent le spectateur et son désir de danse. Ce soir, à l’Opéra de Lyon, tous les rêves de danse sont permis, même avec le petit doigt.
C’est un parterre d’oeillets, entretenu par Pina Pausch, depuis longtemps “piétiné” (dans le bon  sens chorégraphique du terme!) par tant d’artistes inspirés par son oeuvre! Tout au long de ces deux heures prodigieuses, je n’ai cessé d’imaginer en chacun des danseurs, un chorégraphe. A savoir, tous ceux qui m’accompagnent dans mon parcours de spectateur à m’éloigner de l’illusion du mouvement bavard  pour me recentrer sur le sens.
C’est un parterre d’oeillets, celui de notre scène chorégraphique, délicatement protégée par Dominique Mercy (il dirige aujourd’hui le TanzTheater Wuppertal Pina Bausch; voir la vidéo). Il est ce soir, notre frère de danse.
C’est un parterre d’oeillets, pour que chaque spectateur puisse faire sa révolution, sa réévolution et s’interposer dès que le désir est maltraité par le Pouvoir.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y perdre, pour substituer à notre animalité, une robe de soirée, parce que de dessous, on y voit l’origine du monde.
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C’est un parterre d’oeillets, où tous les corps vieux et jeunes forment le jardin des délices, mais aussi le camp de ceux qui n’en sont pas revenu.

C’est un parterre d’oeillets piétiné par notre toute-puissance de spectateur avide de spectaculaire et dont il ne faut pas grand-chose, des petits gestes avec la main, pour apaiser ses pulsions mortifères.
C’est un parterre d’oeillets assiégé par la barbarie, où l’on se jette seul d’une passerelle tandis que le collectif  poursuit sa danse, coûte que coûte. Parce que, le corps dansant…finalement.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y allonger, puiser la force de se relever pour être « femme debout !», « homme debout ! »…
C’est un parterre d’oeillets pour y créer l’assemblée constituante. Celle des spectateurs dansants, rêvant d’une société fraternelle, protégée par les artistes vigiles.
C’est un parterre d’oeillets pour que la danse célébre le fragile et donne la force d’accueillir les «salves» de Maguy, tous les corps tordus de folie, d’amour de Raimund et Pippo…

C’est un parterre d’oeillets où se cache la poésie de mes chorégraphes « chéris »…

Pascal Bély – Le Tadorne

"Nelken" de Pina Bausch du 15 au 20 septembre 2010 / "Salves de Maguy Marin du 13 au 19 septembre 2010/ « fondly do we Hope?Fervently do we pray » de Bill T.Jones du 18 au 22 septembre 2010 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.
Crédit photo: Ursula Kaufmann