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PAS CONTENT

La Scène Nationale Le Merlan à Marseille, est-elle au bord de la faillite ?

À quelques jours du Festival d’Avignon, le courrier s’amoncelle dans ma boîte aux lettres. Des plaquettes, des livrets, des dossiers de presse auquel s’ajoutent les programmes des saisons théâtrales.

Une enveloppe très légère m’intrigue. Elle provient du Théâtre du Merlan à Marseille. Depuis quelques années, je m’inquiète du projet de sa directrice, de ses dérives financières, délocalisant trop souvent sa programmation des quartiers nord vers le tranquille centre-ville. Ce courrier est une feuille A4 mal imprimée, pliée en trois parties, qui présente trois  spectacles pour seule proposition pour l’automne 2012 (danse, cirque, « balades » pour les journées du patrimoine).

Un texte non signé m’informe que rien ne sera dévoilé du reste de la saison 2013 (concept que le Merlan veut faire disparaitre de son vocabulaire). Plus de rencontres pour présenter la saison, mais ce feuillet comme tout lien avec une invitation «à joindre directement le service des relations avec le public».Un texte précise d’ailleurs ses missions comme s’il fallait combler en urgence le vide de contenu artistique.

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Ce flyer est très inquiétant, car il corrobore les rumeurs entendues ici ou là sur la situation financière de la Scène Nationale qui n’aurait plus les moyens de proposer une saison. Le spectateur ne sait rien du contexte. La presse locale ne fait toujours pas son travail d’investigation.

En tant que public qualifié de «partenaires» et de «complices», nous serons peut-être sollicités pour faire nous-mêmes le spectacle. Ce sera la nouvelle trouvaille marketing d’une direction à la dérive.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Le Merlan sur le Tadorne:
Le Théâtre du Merlan vagabonde et se perd / A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise.
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OEUVRES MAJEURES Vidéos

La révolution « Rouge » d’Olivier Dubois revitalise la danse.

Curieux festival que celui d’Uzès Danse où je me perçois souvent décalé au milieu d’un public composé quasi exclusivement
de professionnels. J’ai besoin des spectateurs amateurs pour me ressentir «entouré» et non étranger à un réseau autocentré. Mais surtout l’absence d’un public de danse me rend triste: et 
s’il n’était finalement qu’une variable d’ajustement comme si les enjeux de la production et de la diffusion étaient ailleurs? Mais quel est donc le sens d’un festival en l’absence d’un public amateur?

Ce soir, j’ai fait le voyage pour lui. Depuis longtemps,Olivier Dubois a toujours nourri ma relation à la danse. Il le fait par une approche de l’humain englobé dans une humanité célébrée et éprouvée par les danseurs et le spectateur (je pense notamment à l’une de ses dernières créations, «Révolution»). Pour Olivier Dubois, interprètes et publics forment un tout: scène et salle se répondent en continu.
Ce soir, je suis au premier rang. Seul à seul. Face à face. J’ai décidé que cela serait entre lui et un spectateur amateur, depuis longtemps éclairé par sa danse.

Dès mon arrivée, il est de dos. Je sens qu’il va hurler. Du haut de ses talons aiguilles rouges, il affronte le fond de sa cage, celle de nos mémoires emmurées. Du bas de mon siège, je vois sa robe de militaire qui moule un corps empêché. Ce féminin dans ce masculin est l’alchimie pour que la parole fasse son travail, bien au-delà d’un devoir de mémoire mortifère. Ce soir, sa langue sera celle de ce soldat russe vers un spectateur qui a trop vite oublié que le corps est une arme de guerre.

Olivier Dubois danse et hurle. “Il faut que cela sorte” invoquent les psychologues après le trauma. Aujourd’hui, combien sommes-nous, combattants des temps postmodernes, à fermer notre gueule face à cette guerre financière qui automatise nos comportements, réduit nos systèmes de pensée à des logiques binaires et généralise une «bêtise systémique» (pour reprendre l’expression du philosophe Bernard Stiegler)? Combien sommes-nous, emmurés dans une parole empêchée tandis que le corps fait le sale boulot? C’est à nous qu’Olivier Dubois s’adresse par l’intermédiaire de cette étrange figure mythique qui déterre nos morts pour éclairer nos consciences. «L’humain au centre» est ce sang qui coule sur ses jambes, échappé des plaies qui ne cicatrisent jamais. Se remet-on des violences faites à l’enfant plongé dans la guerre que se prêtent les plus grands? «Rouge» est ce long processus qui renoue la parole par le corps: c’est le «vrai» travail, le reste n’est que bavardage. Cette danse est puissante parce qu’elle ne puise pas sa force dans une impuissance qu’elle surmonterait, mais dans le dépassement de soi. Son corps déplacé, encerclé, enlacé, desserré, atterré, relevé, allongé, avancé me fait immédiatement penser aux mouvements que provoque le travail psychanalytique. J’entends dans les cris d’Olivier Dubois les sons de mes pleurs étouffés qu’une image fugace de la toute petite enfance fit exploser dans un cri rageur, ravageur et libérateur.
«Rouge» entre en guerre avec nos désirs normés du corps en mouvement pour que nous osions ressentir la danse par la chair. L’enjeu n’est-il pas de retrouver la paix intérieure que 
procurent les mots du vivant? Ici, la danse s’écoute charnellement et célèbre la vie.

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Peu à peu, l’homme-dansant se mue en animal rampant pour les sans-voix: à l’esprit qui pense le corps, le corps prend la parole et met en mouvement la pensée. C’est ainsi que ce «Rouge» animal m’éclabousse de ses gouttes de sang, de sueur et de salive pour qu’à jamais, je sois contaminé par la force de ce soldat, métamorphosé en
monument vivant aux morts. Pour qu’à jamais me soit transmise la force de ceux qui n’en sont jamais revenus.

On ne fait pas taire la parole de celui dont le corps intime parle de l’humanité.

Pascal Bély – Le Tadorne. 

Olivier Dubois sur le Tadorne:

Au Festival d’Avignon : épidermiquement, Olivier Dubois.

«Révolution» d’Olivier Dubois : Boléro en marche pour onze fois une.

Olivier Dubois, cet empêcheur de tourner en rond.

Une journée avec Le Tadorne au Festival d’Avignon : la mise à nu

« Rouge » d’Olivier Dubois au Festival Uzès Danse le 20 juin 2012.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR LES EXPOSITIONS Vidéos

A la dOCUMENTA de Kassel, ma vie reforestée.

Je n’ai qu’une journée pour parcourir la dOCUMENTA de Kassel en Allemagne. À 10h, les principales salles sont fermées. Le Président allemand Joachim Gauck fait sa visite. La ville est quasiment quadrillée par la police. Nous sommes loin d’une conception «normale» de la Présidence de la République! Il me faut donc trouver un point de chute. Ce sera le grand parc Karlsaue. Pour la précédente édition en 2007, la dOCUMENTA y avait installé un gigantesque hall d’exposition provisoire. En 2012, les oeuvres sont réparties dans cet immense poumon vert. C’est peut-être la marque la plus visible de la commissaire américaine Carolyn Christov-Bakargiev: l’art se niche au coeur des interactions de l’homme avec la nature.

«Ma documenta» commence donc au vert tandis que je m’approche de l’oeuvre de Massimo Bartolini. A l’image d’un battement d’ailes de papillon, l’eau est une vague potentiellement submersible prête à dévaster le petit champ de blé qui l’encercle. Je divague…et j’ai peur.

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Mais ce n’est rien à côté de ce qui pourrait nous tomber sur la tête: un énorme caillou git sur un arbre sans feuille. Ici, pierre qui roule n’amasse plus mousse. Les enfants s’amusent autour de l’oeuvre de Giuseppe Penone, inconscient du danger qui nous menace. Cette météorite serait-elle une «élaboration» artistique de l’industrie nucléaire comme le laisserait penser quelques heures plus tard le film de Mika Taanila, projetté à l’Orangerie. On y voit sur trois grands écrans, trois films qui s’enchevêtrent (construction d’une centrale, les paysages de Finlande, la vie des habitants). La force de cette proposition est l’absence de visibilité démocratique sur ces chantiers dont la vision accélérée finit par faire un film d’animation tout à fait charmant.

Pendant ce temps, la pierre se prépare à nous rouler dessus pour tout dévaster sur son passage, à l’image du terrain défoncé du français Pierre Huyghe. Des barres de béton posées à terre, des arbres déracinés, un chien errant squelettique à la patte rose chair forment un étrange paysage d’après-guerre écologique. Alors que l’on répète à l’envi que l’homme n’est pas un animal, ici l’animal est humain: notre survie passe par celle des abeilles dont la ruche recouvre le visage de l’humanité. Percutant. Cette statue est emblématique de la dOCUMENTA 2012.

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L’ignorance des enjeux complexes, la difficulté à articuler une pensée «écologique» avec nos systèmes politiques et démocratiques trouvent sa traduction dans la bibliothèque de Mark Dion: les livres sont en bois. Il va nous falloir protéger nos arbres comme nos livres. La force de la dOCUMENTA est de nous inclure dans cette interaction art-nature pour penser autrement notre «sensibilité» politique.

Rien de surprenant qu’au hasard d’un chemin, je sois invité par Janet Cardiff et Georges  Bures Miller (découverts au Printemps de Septembre à Toulouse) à m’asseoir sur un tronc d’arbre pour écouter des chants et des cris qui émergent de la profondeur de la forêt. Cette installation renoue avec la tribalité. J’aurais pu y rester des heures tant le chant des oiseaux et le bruit du vent donnaient le tempo à cette symphonie en bois majeur.

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Plus loin dans le parc, je tombe sur l’édifice en bois de Sam Durant. Entre camp de concentration et nouvel habitat écologique…Un seul escalier pour monter et bien d’autres pour descendre. Mais leurs marches ne touchent plus le sol. La vue est magnifique comme si le paysage se dévoilait différemment : ces escaliers vers le vide m’invitent à repenser le rapport terre-ciel à partir de mon corps, centre de gravité. Puissant.

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Au Fridericianum, les oeuvres de Charlotte Salomon m’ont bouleversé. Cette artiste peintre vécut dans l’Allemagne Nazie avant de fuir pour le sud de la France où elle sera déportée à Auschwitz. Elle laissa nombre  d’oeuvres troublantes où le texte côtoie le pictural, à l’image d’un documentaire d’aujourd’hui. À partir de trois couleurs (rouge, bleu, jaune), elle «dépeint» le contexte de l’époque. Une oeuvre me sidère : celle d’un rassemblement nazi. Ils semblent marcher vers moi. C’est inéluctable. L’art n’y peut rien. En me retournant, git à terre un arbre sans feuille. Il ne renaîtra jamais. Il pleuvra toujours sur nos forêts les cendres de l’innommable.

Que penser du choix de dépouiller l’entrée du Fridericianum? Vous serez surpris de ressentir le vent s’y engouffrer (nouvelle référence à la nature?) et de terminer votre errance dans une pièce où une voix douce chante un refrain à l’infini. Ceal Floyer me propose de lâcher bien des repères: il n’y a rien à voir. Juste à écouter cette boucle et plonger dans une spirale ascendante où je m’élève peu à peu. La répétition fait son oeuvre pour y puiser le plaisir du familier et l’angoisse d’un jeu sans fin. À l’image d’un questionnement permanent: que viens-je faire ici ?

Pascal Bély, Le Tadorne

dOCUMENTA à Kassel (Allemagne) jusqu’au 16 septembre 2012.

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PETITE ENFANCE

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

En mai dernier, tandis que le Festival des Arts battait son plein à Bruxelles, se tenait au même moment le Festival International de la toute petite enfance au Théâtre de la Montagne Magique. Tandis que le premier empilait des esthétiques sans fond, le deuxième proposait des formes exigeantes pour un public de tout-petits (moins de trois ans) curieux et participatif. Petit compte-rendu d’un beau «festival des arts».

«Ultra» est une oeuvre chorégraphique conçue et interprétée par Melody Willame du Zététique Théâtre. Ici, la danse est dans tous ses états: à la fois narrative et conceptuelle, elle accueille la sensibilité de chacun. Le décor est d’ailleurs très étrange: des livres suspendus et une commode dans un coin. À l’immatérialité répond un mobilier avec ses tiroirs secrets. Dès le commencement, Melody Willame s’amuse à faire dialoguer le savoir des livres et le «corps du savoir» : la danse a donc toute sa place dans les apprentissages fondamentaux! Mais elle ne s’arrête pas là. Cette jeune artiste frondeuse n’hésite pas à se plonger dans une mer de plastique (dont elle tire le noble matériau d’un tiroir de la commode) pour qu’émerge le corps embryonnaire: nous dansions déjà avant de naitre! Elle ose filer la métaphore de la (re)naissance en plongeant ses bras dans ce mobilier aux multiples fonctions pour en sortir colorée de rouge! Il se dégage de l’ensemble une ode à la liberté du corps pour libérer l’esprit des contraintes matérielles (même si parfois, la danse m’est apparue un peu déstructurée). Le public prend plaisir d’autant plus que notre danseuse se moque avec bienveillance du tutu.  “Ultra” est un beau «rituel» de «passage» entre danse classique et danse contemporaine.

«Lampje, lampje» du couple Hollandais Wiersma & Smeets est probablement l’une des propositions les plus enthousiasmantes de mon vécu de spectateur en compagnie des tout-petits! Ici, deux rétroprojecteurs et divers ustensiles qui se projettent. Nous voici embarqués sous la voute céleste des objets flottants où chaque scène est un miracle tant l’infiniment petit devient gigantesque. Nos deux metteurs en scène de cinéma en plein air s’amusent à créer l’univers des rencontres improbables teinté de lumières fugitives et multicolores. Peu à peu émerge un espace capable d’accueillir tous les imaginaires, où l’art contemporain fait dialoguer le sens de l’observation et le plaisir de la divagation. «Lampje, lampje» est un conte des cavernes pour lutins affamés d’histoires féériques.

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«Azuki» d’Athénor par Aurélie Maisonneuve et Léonard Mischler est une perle posée sur un écrin théâtral pour un opéra miniature en plusieurs dimensions picturales! De leurs voix profondes et accueillantes, ils dessinent un paysage de sables colorés et de galets. Peu à peu, on se laisse aller à ressentir le chant comme une matière à explorer à moins qu’ils ne sondent nos contrées enfouies. Ces deux beaux acteurs aux gestes délicats délient et relient les matières, les sons et les corps à partir d’un fil qui, en toile de fond, traverse ce qui sépare le beau de l’oeuvre.Peu à peu, leur chant m’envole et petits et grands, à l’unisson, lisons sur la toile : «le fil se détend maintenant le cerf-volant est une portion de ciel». Je suis aux anges.

Le théâtre pour tout-petits démontre une fois de plus qu’il est un grand théâtre, parfois en avance sur ce que l’on peut voir ailleurs. L’écriture y est soignée parce que le jeune enfant est considéré comme un spectateur qui, pour prendre la parole, puise dans ses ressentis. Me revient une phrase du pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, qui dans un de ses livres («Les bébés vont au théâtre») écrit : «Précisons que le trouble prêté au théâtre, n’est pas un état, mais un processus: il a  un lien avec l’incertitude, le complexe, l’indéterminé. Comme l’enfance!»

Avant de chercher à tout prix ce qui est «émergent», certains programmateurs devraient faire un tour vers ce théâtre-là pour y ressentir ce trouble auprès des tout-petits, de leurs parents et de leurs éducateurs. Pour qu’ils ouvrent leur institution à ce petit spectateur à l’imaginaire si foisonnant.

Pour qu’ils apprennent le respect et l’humilité.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Azuki» d’Athénor par Aurélie Maisonneuve et Léonard Mischler.

«Lampje, lampje» de Wiersma & Smeets.

«Ultra» de Melody Williame du Zénétique Théâtre.

Au Théâtre de la Montagne Magique à Bruxelles du 17 au 20 mai 2012.

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