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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES

Mes trois chefs d’oeuvre de l’année 2011.

2011 s’achève et comme chaque année, vient l’heure du repérage des traces indélébiles, des oeuvres qui ont fait leur chemin en traversée pour se nouer à des points de contact insoupçonnés.

En 2011, sur 139 spectacles vus, trois oeuvres m’ont durablement marqué. A priori, elles n’ont aucun lien entre elles, mais elles sont à l’image d’une année 2011 débutée sous le signe des révolutions durables (politique et écologique). Entre l’invocation et la convocation, elles ont interrogé mes systèmes de représentation, interpellés ma posture de spectateur, positionné le corps intime comme langage de la souffrance universelle.

Avec «Sur le concept du visage du fils de Dieu» de Roméo Castellucci, la scène fut un miroir inversé pour interroger ma façon de regarder le monde. J’en suis sorti vidé d’avoir tant écouté, relié, éprouvé, sous l’oeil impassible du visage de Jésus. Athée, ma religiosité fut une révélation.

En interprétant à sa «façon» «Hamlet», Vincent Macaigne m’a bouleversé. «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» n’a rien dit sur cette tragédie que je ne savais déjà. Sauf qu’il a changé la focale, décalé ce qui était figé dans mes représentations sur le pouvoir et métamorphosé la scène en espace quasi liquide capable d’accueillir les corps institués en mal d’amour. Un travail exceptionnel pour des spectateurs désireux de ne plus se laisser manipuler par des esthétiques sans fond.

Israel Galvan est le plus grand danseur de flamenco. Avec «La edad de Oro», je n’en suis toujours pas revenu.  Il célèbre le Flamenco comme Anne Teresa de Keersmaeker épure la danse contemporaine. Son corps est une terre humide qui capte l’énergie pour nous la restituer. Il est entré en moi pour abattre toutes mes barrières de défense. En juin 2011, j’écrivais : «Sa féminité est une rose qu’il vous tend tout en se piquant les doigts. Il saigne, mais sa rage d’en découdre est son pansement. On le croirait trembler de la tête aux pieds, mais ce n’est que le bruit de ses ailes d’anges, comme un claquement de dents. La musique est une onde qu’il attrape au vol pour se laisser traverser et terrasser. Il se relève : l’art n’abdique jamais. Sa danse est un rapport de force pour imposer la paix des braves ; la musique et le chant, un hymne à la terrible beauté.

2011, l’année du corps.

Corps et âmes.

Pascal Bély, Le Tadorne

A lire aussi:

En 2011, 20 oeuvres chorégraphiques essentielles.

En 2011, 20 mises en scène essentielles.

« Sur le concept du visage du fils de Dieu » de Roméo Castellucci, Festival d’Avignon. Sur le Tadorne:  Pour Roméo Castellucci, contre la censure des malades de Dieu.

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 « La edad de Oro » – Israel Galvan -Festival Montpellier Danse. Sur le Tadorne: Galvánisé.

 «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne – Festival d’Avignon. Sur le Tadorne:  Le Prince Vincent Macaigne vous attend.

 

 

 

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FESTIVAL ACTORAL PAS CONTENT

À Marseille : Montévidéo fermé, Tadornes déplumés?

À Marseille, rares sont les lieux dédiés à la création contemporaine. Montévidéo fait partie du paysage culturel de ce blog : j’y ai vu des oeuvres intéressantes qui m’ont permis de me forger un regard plus ouvert sur les formes théâtrales. Depuis quelques mois, le lieu est fermé sans que le public en connaisse précisément les raisons. Très concrètement, cela a des répercussions pour la vie de ce blog: la fermeture de Montévidéo m’a un peu plus éloigné de Marseille, de la création contemporaine et des artistes émergents.

Je publie un appel de l’association « les amis de Montévidéo ». Je vous invite à signer la pétition.

Pour eux. Pour nous.

Pascal Bély, Le Tadorne

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Nous, public, artistes, amis de Montévidéo, nous nous inquiétons de l’avenir et du développement de ce lieu qui nous est cher. Par sa singularité et sa liberté artistique Montévidéo, centre de création contemporaine et de résidence d’artistes à Marseille, a su prendre une place tout à fait particulière dans le paysage de la culture, que nous souhaitons voir perdurer. Nous nous inquiétons du temps qui passe et de constater qu’à ce jour Montévidéo ne puisse pas réouvrir pleinement ses portes. Nous sommes informés que Montévidéo traverse depuis quelques mois de grandes difficultés qui l’empêchent de fonctionner comme le lieu de découvertes et de création artistique qu’il est depuis dix ans, favorisant l’émergence de nouvelles formes.

Or, si nous savons que Montévidéo continue d’accueillir régulièrement des résidences d’artistes, les limitations d’ouverture dont il fait l’objet sont pour nous, amis de Montévidéo, très préjudiciables : c’est un espace rare d’expression artistique qui risque de disparaître. Un réservoir de découvertes qui se tarit à Marseille. Depuis 10 ans, Hubert Colas et Jean-Marc Montera, ses deux directeurs, ont su décloisonner les formes consacrées du théâtre et de la musique. Ils ont su bousculer les paroles et les sons, éprouver les rythmes et les silences, les espaces et les signes. En accueillant des artistes français et étrangers, ce lieu de convivialité propice aux échanges artistiques et à la proximité avec son public, s’est forgé une identité singulière, reconnu en France et à l’étranger.

Montévidéo est également un lieu déterminant à Marseille pour l’accompagnement des projets d’artistes régionaux, nationaux et internationaux, un lieu qui ouvre des perspectives de travail, de recherche et d’expérimentations essentielles au développement des démarches artistiques. Nous savons que les mois qui viennent sont d’une importance capitale.

Nous savons que d’importantes décisions relatives à sa pérennité doivent être prises. Nous y serons vigilants et y apporterons notre plein soutien.

Nous, artistes et spectateurs, fidèles du lieu, nous sommes persuadés que Montévidéo doit être sauvé. Nous souhaitons que Montévidéo soit pérennisé.

Nous interpellons et attendons de toutes les collectivités territoriales, qu’elles fassent tout ce qui est en leur possible pour  garantir la reprise et la poursuite des activités de Montévidéo, et qu’elles permettent à ce lieu emblématique de la création et de la scène contemporaine d’occuper toute la place qui doit être la sienne lors de l’année Capitale en 2013, et bien au-delà.

Les amis de Montévidéo. Pétition: ici

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HIVERNALES D'AVIGNON

Ça balance pas mal.

Une onde. Celle du choc. Des chocs.

Mathieu Heyraud a bousculé le public du dernier «Lundi au soleil» de l’année 2011 des Hivernales d’Avignon, rendez-vous autour d’univers chorégraphiques.

Les balançoires, trilogie de l’intime…Chapitre un” est la dernière création de ce chorégraphe-danseur au parcours transdisciplinaire, qui oeuvre actuellement au sein de la compagnie de Jean-Claude Gallotta.

Sa recherche chorégraphique est centrée sur la gravité,sur l’intime (et non sur l’intimité). La polysémie des mots fait alors son ouvrage. Mathieu Heyraud a cette faculté de décortiquer, de pousser à l’extrême, de saisir cet entre-deux, dans lequel le geste parle, le corps agit. Avec son style épuré, sa scénographie calibrée, sa connaissance du monde du cinéma à partir de jeux de lumière, il symbolise cette nouvelle génération qui accepte le regard du public lors d’une étape de création.

Marie-Lise Naud, magnifique interprète, offre toute sa puissance à cette proposition en devenir, où la main tendue nous fait avancer sur le fil du sensible d’où nait une certaine émotion. L’énergie de cet opus repose sur la sensation et  l’empathie. «Nous aimons tous les histoires, à nous de nous les fabriquer» précise Mathieu Heyraud. Il ne nous raconte rien. Il nous invite à convier notre imaginaire, à nous glisser dans cet interstice où tout devient possible, où tout peut basculer.

La balançoire, objet de fantasme, oscille dans un va-et-vient incessant. Tout en mouvement, elle reste attachée à un point défini par un axe. Notre corps joue de cette bascule et nous confronte à l’axe de l’intime et du public, du dedans du dehors, de la légèreté, de la stabilité à celui de la gravité.

Mathieu Heyraud nous habille d’une danse qui colle à la peau, de celle qui nous réchauffe seul dans le noir. Il nous offre un tour de balançoire qui bouscule notre entre-soi.

Laurent Bourbousson – Le Tadorne

Étape de création : Les balançoires, trilogie de l’intime, Chapitre un a été présenté dans le cadre des Lundis au soleil, Les Hivernales, Avignon, le lundi 12 décembre 2011.

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THEATRE MODERNE

Le théâtre argentin fait le boulot?

Crise de la dette (n’est-ce pas plutôt la fin d’un modèle ?) . Crise financière (avez-vous remarqué qu’elle s’est substituée à la «crise économique» ?). Crise sociale (cet adjectif a quasiment disparu). Crise des valeurs (elle n’est jamais évoquée). Éditorialistes, économistes, spécialistes et politiques s’emparent des mots, les réduisent et dissertent sans vision sur des réponses. Vous et moi sommes hors jeu…

Le théâtre français est-il aujourd’hui capable de relier toutes ces expressions que nous séparons pour servir les intérêts particuliers de quelques-uns ? J’en doute. La plupart de nos artistes sont ailleurs, égarés. Seuls les Argentins parviennent à personnifier ces crises alors qu’elles paraissent pour l’instant, totalement désincarnées dans les médias et sur les plateaux des théâtres français. Le metteur en scène Claudio Tolcachir est en tournée en France avec «La Omisión de la familia Coleman», créée en 2005. Ce soir, il est à la Criée de Marseille. C’est un choc auquel je ne m’habitue pas : pourtant, depuis 2006, de Paris à Bruxelles,  mes rencontres avec les  Argentins Ricardo Bartis, Daniel Veronese, Beatriz Catani auraient dû me préparer.

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Il y a toujours cette étrange impression : la scène est à l’image d’une pieuvre envahissante. Le décor d’appartement est en longueur, sans profondeur, comme si nous étions l’arrière-cour. Le désordre en dit long sur la vie de cette famille argentine depuis la faillite du pays en 2001 : l’atelier de couture de Gabi est posé au beau milieu du salon. À partir des vêtements qu’elle recycle, elle fabrique de nouveaux habits. Son frère, Marito, bonnet ouvert sur la tête comme pour mieux la maintenir vers un ailleurs de «folie», préfère garder son pantalon de pyjama quitte à se doucher avec. Tout est donc question d’espace vital pour ces trois enfants qui vivent sous le même toit avec leur mère (mémé) et la grand-mère. Une des filles, Véronica, a réussi à s’émanciper: mère de deux «petits» (appelé obsessionnellement «les nains» par Marito), elle vit confortablement jusqu’à payer les frais d’hospitalisation de la grand-mère. Quant à Damian, l’un des deux garçons, il vole et recycle aussi…

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Claudio Tolcachir met en scène une famille profondément mortifiée par les crises citées plus haut, mais qui mentalise sa créativité pour échapper à toutes les contraintes. Ce processus produit une énergie qui traverse le plateau jusqu’à m’embarquer dans cette tempête où le moindre fait et geste déclenche une crise systémique qui emporte tout sur son passage. Nul besoin d’être économiste pour comprendre ce que provoque la déclassification sociale. La folie de Marito n’est que le symptôme d’un système fait d’injonctions paradoxales où pour fuir la crise, il faut être en crise. Même la misère sexuelle entre en jeu : l’inceste n’est qu’une conséquence du rétrécissement de l’espace où, pour pousser les murs, on partage le lit et sa tendresse. Étrangement, il n’y pas de place au jugement de valeur. La caresse est aussi vitale que le repas que l’on commande à l’hôpital, profitant d’une visite à la grand-mère mourante. Tout se dérègle jusqu’aux pilules périmées, juste bonnes pour se transformer en contraceptif de substitution.

Véronica n’est pas  mieux lotie: elle a certes l’argent, mais sa souffrance est à fleur de peau et de mots, faute de pouvoir incarner un autre rôle d’épargné, mais épargnante. Chaque acteur est magnifique de sincérité. Lautaro Perotti (Marito) porte la pièce à s’en saigner les veines. Il est au croisement de toutes les histoires comme s’il détenait les cartes du jeu : sa folie pose la question du sens des mots, des gestes et des mouvements. Il est le metteur en scène, le seul à ne jamais fuir: la crise l’a probablement rendu fou, constamment «habité» par le désir de nouer les liens familiaux.

Tout au long, je ris. Comme un réflexe vital pour ne pas sombrer avec eux. Je suis profondément touché par l’énergie du désespoir qu’ils déploient pour tout reconstruire. Ils laissent Marito seul dans cet appartement où nos lâchetés individuelles et nos peurs  lui imposent le silence. Marito va mourir. Notre sortie de crise fera place nette. Les vieux, les fous et les prisonniers, après avoir été nos boucs émissaires, disparaîtrons de nos champs de vision, une fois le chaos terminé.

Je ris et un frisson me traverse.

Nous préparons une nouvelle extermination.

En sourdine.

Pascal Bély, Le Tadorne

«La Omisión de la familia Coleman» de Claudio Tolcachir au Théâtre de la Criée de Marseille du 6 au 10 décembre 2011.

En tournée : les dates ici.

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LE THEATRE BELGE! OEUVRES MAJEURES

Au Théâtre du Merlan, Vanessa Paradis…

Pour commencer la lecture de cet article, une vidéo et une chanson. Juste pour poser l’ambiance de ce spectacle magnifique actuellement à l’affiche du Théâtre du Merlan à Marseille jusqu’au 17 décembre 2011. Etes-vous prêt ?

Ce fut l’un des grands moments du  Festival d’Avignon et de la Biennale de la Danse de Lyon. Bouleversant à plus d’un titre. Du théâtre populaire comme on n’en fait presque plus. « Gardenia » du chorégraphe Alain Platel et du metteur en scène Frank Van Laecke prouve, une fois de plus, que le Théâtre flamand sait décaler notre regard vers les “angles morts” de notre société. L’actrice et scénariste Vanessa Van Durme que nous avions tant aimée ici lors de son dernier spectacle, leur a soufflé une idée de départ: réunir sur scène de « vieux travestis qui dansent gaiement sur une musique triste ! ». Quelque temps plus tard, ils sont sept sur scène autour de Vanessa et d’un jeune danseur pour faire revivre ce cabaret éphémère, pour que le rideau se lève enfin et dévoile un pan entier de l’histoire du spectacle vivant.

Autant enlever le masque. L’émotion ne m’a pas quitté tout au long de la représentation. De la première minute (si politique, tant attendu) à la dernière (si respectueuse de la part du public), j’ai baissé la garde . Car ces hommes et ces femmes ont été sur la route de jeunes adultes perdus, apeurés par le sid’amour, pour leur donner la force de s’affranchir des habits sur pièce confectionnés par des familles oppressantes et une société autoritaire. Alors qu’ils s’avancent vers nous, dans leurs vêtements de ville, sur ce sol en pente, je sens que les lumières et la scène vont les libérer de cette atmosphère de maison de retraite dans laquelle nous les avions oubliés. Mais Alain Platel et Franck Van Laecke n’éludent en rien notre responsabilité d’avoir fait basculer cette pente afin que  disparaissent peu à peu ces corps qui nous ont pourtant tant donnés. Pas plus qu’ils n’épargnent le milieu de la nuit sur la violence de ses rapports sociaux et amoureux.

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Mais ce soir, il est temps de nous rapprocher, de créer l’équilibre entre notre gradin en pente et leur scène verticale. C’est ainsi que « Gardenia » multiplie les points de rencontre pour que le «genre» ne soit plus une question, mais un corps en mouvement. Le résultat est magnifique, généreux, car la mise en scène épouse le processus du travestissement en évitant de tomber dans la gaudriole et la moquerie. La musique joue sa fonction mémorielle et pacificatrice : «Gigi», «comme ils disent», nous est revenu « d’Alexandrie, Alexandra » tandis que la longue dame brune veille sur le destin de chacun. La présence de ce jeune danseur majestueux au milieu de ces vieux travestis amplifie la tragédie, rend poreuse la frontière entre masculin et féminin, symbolise le commencement là où approche la fin et incarne pour toujours «l’objet de tous nos tourments». Les tableaux se succèdent et la scène bascule vers le conte, l’enfer pour n’être vers la fin qu’un pacte respectueux entre nous et ces artistes de l’âme. On prend conscience du rôle déterminant des acteurs travestis pour que le mouvement du corps incarne le désir refoulé (il est d’ailleurs troublant de constater le poids du travestissement dans certaines créations actuelles).

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« Gardenia » est situé sur la frontière entre la danse, le théâtre, le cabaret, la musique. Dans une explosion de joie, le public signifie une fois de plus qu’il est grand temps d’ouvrir les codes de la représentation. Il en va de notre désir d’être encore uni, divers et fraternel. 

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Gardenia” par les Ballets C de la B jusqu’au 17 décembre 2011 au Théâtre du Merlan. Dates de tournée, ici.

Crédit photo: Michel Cavalca.

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LES FORMATIONS DU TADORNE

Travailleurs sociaux, éducateurs, médiateurs, chargés de développement des publics : une formation pour se relier autrement.

En mars 2012,  “La Cité,  Maison de Théâtre organise à Marseille la première Biennale des Écritures du Réel (théâtre, danse, cinéma, documentaire). En résonance avec les spectacles, cette manifestation sera également un espace de rencontres autour des nouveaux enjeux de la médiation.

En effet, à Marseille comme ailleurs, médiateurs, travailleurs sociaux, éducateurs, professionnels du développement des publics  proposent des actions innovantes qui permettent, sur un territoire, la rencontre entre artistes et habitants. Ainsi se créent des innovations qui malheureusement  ne s’écrivent pas et ne font pas patrimoine par manque d’espaces appropriés qui puissent les recevoir et les inscrire.

Fort de mon engagement de spectateur depuis 2005 et de mon expérience de consultant auprès des services sociaux et éducatifs depuis 1993, La Cité et mon cabinet (TRIGONE) ont souhaité proposer une formation transversale et décloisonnante capable d’accompagner les professionnels à s’inscrire dans un réseau de compétences.

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Cette action n’est pas une formation sur la médiation (il y en a d’excellentes) mais un espace pour relier les pratiques existantes à partir d’une approche systémique de l’interaction et du projet.

Le programme: formation médiation-copie-1 Formation Biennale.

La pré-inscription est en ligne.

À très bientôt,

Pascal Bély, Le Tadorne.

www.trigone.pro

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ETRE SPECTATEUR PAS CONTENT

A Marseille, théâtres et festivals me découragent.

19h. L’horaire est fatal. À Marseille, c’est l’heure de la congestion, des rues bloquées par des embouteillages monstrueux, faute d’un réseau vertueux de transports en commun.

19h, c’est l’heure où l’on arrive à peine chez soi.

19h, c’est l’heure choisie par certains théâtres et festivals pour programmer leurs spectacles. La Criée, le Festival Dansem, le Festival Actoral, la Minoterie y sont largement abonnés. Tout au plus, concèdent-ils parfois 20h. À plusieurs reprises, épuisé, j’ai du renoncer, prisonnier dans ma voiture. Un trajet Aix en Provence – Marseille dure en temps normal (c’est-à-dire un dimanche matin à l’aube?) trente minutes pour trente deux kilomètres. En semaine, pour être à 19h au théâtre, il faut quitter Aix en Provence à 17h45. Pour ceux qui habitent Marseille, à moins d’être à proximité d’une station de métro, le calvaire est identique.

Mais que cache cet horaire ? Une volonté des artistes ? Une revendication des professionnels ? Une convention collective ? Je n’obtiens jamais de réponse si ce n’est : «à cet horaire, nous touchons un public qui ne vient pas d’habitude». Il permet d’accueillir travailleurs à la retraite, enseignants et professionnels de la culture. Soit. Lorsque je l’ai expérimenté, le résultat n’était pas très probant : des salles à moitié vides…

19h. C’est l’horaire pour rendre service. À quelqu’un. C’est poser une continuité dans une journée de travail. Le spectateur irait donc au théâtre en sortant de l’usine et du bureau, pour se divertir. 19h, c’est prolonger la philosophie du service là où le théâtre requiert probablement un horaire décalé pour laisser du temps au temps. Dit autrement, programmer une oeuvre peut-elle s’inscrire exclusivement dans un acte de service au risque de faire entrer peu à peu la relation à l’art dans la sphère marchande ? Une diffusion à 19h est un acte de communiquant pour nous laisser croire que théâtres et festivals répondent aux besoins imposés par la société consumériste.

19h, ce pourrait être l’heure d’une performance. Mais celle du spectateur découragé.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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OEUVRES MAJEURES

D’Ouest en Est, la belle traversée de Cédric Andrieux.

«Cedric Andrieux» par Jérôme Bel est au Théâtre de la Cité Internationale de Paris du 8 au 23 décembre 2011. Nous avions été touchés par ce solo, totalement atypique, tant sur le fond que sur la forme. Pour Bernard Gaurier, c’était en décembre 2009 à Saint-Nazaire lors de la première . Pour Pascal Bély, six mois plus tard au Festival de Marseille en 2010. Regards croisés…

 Bernard : L’homme arrive sur scène, pose son sac, une bouteille d’eau et se positionne face au public. Il regarde en silence un moment avant de nous adresser un « Bonjour » d’une voix douce, presque intimidée.  « Je m’appelle Cédric Andrieux. Je suis né à Brest. J’ai trente-deux ans. Je suis danseur…”. C’est alors que sur ce grand plateau nu, vide de tout artifice et sans autre support qu’une voix et un corps, commence l’ébauche d’un portrait et d’un parcours de Brest à Paris, à Lyon, avec New York en point culte. De l’enfant frêle qui se rêve en artiste, à qui l’on dit qu’il n’est pas fortiche, mais que ça ne peut pas être mauvais pour son développement personnel, à l’homme artiste, objet de toutes les admirations. La voix est posée, toute douce, presque trop parfois, pour nous faire voyager dans la confidence et  partager ce qu’il y a derrière les sunlights.

Pascal : la douceur de la voix et son arrivée ne sont pas sans me rappeler les apparitions du chorégraphe allemand Raimund Hoghe  sur les scènes du festival Montpellier Danse. Avec son survêtement, Cédric me fait penser à un footballeur du dimanche, tandis qu’avec sa bosse dans le dos, Raimund interpelle notre représentation du corps qui danse.  Ce soir, je sens le dialogue possible entre spectateurs et le danseur. D’autant plus que nous en sommes privés à Marseille depuis un certain temps?

Bernard : L’homme est beau, il se montre dans son fragile, le pouce caresse l’index, le regard bleu s’embrume par instants. Il raconte Brest, l’enfant cabotin volontaire déjà tendu vers le dépassement; Paris, le Conservatoire, le jeune homme du solo gagnant, il nous dit ses doutes, ses envies, ses désirs, ses amours, et puis New York, Merce Cunningham, le désir fou du meilleur. Le studio, les répétitions, les voyages de l’amour, le corps qui souffre pour aller au bord de l’abîme, au bout de ses possibles… D’un doigt, il pointe un angle de la scène vide. Merce, 80 ans, là au coin du studio devant l’ordinateur qui supplée à son corps et guidant de la voix le mouvement imaginé, le corps du danseur, le corps encore et encore, qui donne tout pour arriver à faire vie de ce qui n’est que vision sur logiciel et que le corps du maître ne peut plus montrer. Le corps toujours, Trisha Brown qui fait moins mal à danser. Le corps, cet  «outil » que l’homme nous dit trouver souvent pas assez comme…pas assez grand, la taille pas assez fine? et entre ses mots l’homme danse, il montre comme il a fait ici et là? le danseur est? magnifique.

Pascal : Ce moment du spectacle est douloureux.  Ma voisine rit. Elle ne cesse de rire. C’est une danseuse. Elle rit pour se libérer peut-être d’une souffrance trop contenue. Je suis donc entre elle et Cédric. Il danse Merce, elle rit.  À cet instant précis, je comprends pourquoi je n’aime pas la danse de Merce Cunningham. Elle pousse le danseur jusqu’aux limites du supportable or ce n’est pas la représentation que j’ai de la danse contemporaine. Comme la mère de Cédric, je la conçois démocratique. Au service de l’émancipation, de la libération du corps. Et non prisonnière de son « objet ». D’ailleurs, il faudra attendre qu’il danse Trisha Brown pour que ma voisine soit plus calme.

Bernard : Tout est là, l’homme est là, le danseur est là, les mots sont là, mais, l’émotion ne parvient pas à moi… les images ne viennent pas. Je n’arrive pas à m’approcher de l’homme, il reste des mots…

Pascal: pour l’instant, en apparence, nos histoires ne se croisent pas. Mais qu’importe. J’apprends de lui ; son « book » fait histoire de la danse. Ce soir à Marseille, quelqu’un vient parler aux spectateurs abandonnés par les chorégraphes. Cette vision ne me quitte pas, car sa venue est tout un symbole : alors que Marseille Provence 2013 avance, allons-nous retrouver un lien « affectif » à la danse ? Cédric, c’est un cadeau tombé du ciel. Ce sont nos retrouvailles.

Bernard : Sauf…quand, dans le récit, Jérôme Bel prend pla
ce dans le parcours avec sa pièce « The show must go on » dans laquelle participa Cédric alors qu’il était au Ballet National de Lyon à son retour de New York: « Là je vous montre, j’ai fait ça »? Et là…La force de ce moment m’emporte… Ça y est, il est là l’homme… avec le danseur, sans les mots, avec le regard, ici le corps presque immobile et pourtant…tout danse en lui.

 Pascal: Oui, Bernard. Alors que les projecteurs se braquent sur nous, Cédric nous regarde, nous sourit sur un air de Police (« Every Breath You Tak »), flanqué de son short et de ses baskets. Un frisson parcourt la salle. Me revoilà revenu en 2005 où Jérôme Bel présenta « The show must go on » aux Salins à Martigues. Même scène. Alors que les cris fusaient du public (« ce n’est pas de la danse », « c’est quoi ce machin »), je décidais d’écrire sur la danse, de prendre la parole (quelques mois plus tard, le Tadorne fut crée).

Ce soir,  cinq ans apès, Cédric me regarde, je lui souris. Son corps est libéré, je suis le spectateur émancipé. Pour arriver jusqu’à nous, il a fallu que Cédric croise Merce Cunningham. Car, de ne plus bouger pour nous contempler, est en soi un dépassement.

Bernard : Voilà, 32 années ont traversé la scène, que va-t-il faire demain ? De quoi et de qui aura-t-il le désir ? « Show must go on » c’est ce qu’on souhaite à l’homme avec ou sans l’artiste. Et lui demander, pourquoi pas, de venir dans 10 ans, dans 20 ans, nous redire en corps vieillissant ce qui fait l’Histoire de la danse.

Pascal: qu’il revienne en 2013 ! Pour la Capitale.

Bernard Gaurier- Pascal Bély – www.festivalier.net

« Cédric Andrieux» pièce de Jérôme BEL à été présenté en avant première française au LIFE à Saint Nazaire le 12 décembre 2009. Puis au Festival de Marseille le 1er juillet 2010.

Crédit photo: Herman-Sorgeloos.

 

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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES

La danse révolutionnaire d’Hofesh Shechter.

Le Théâtre des Salins de Martigues est bondé. Adolescents, adultes et plus âgés, sont réunis pour et par la danse de l’Israélien Londonien Hofesh Shechter. Il nous présente ce soir deux propositions de trente minutes chacune. Je m’imagine dans une salle de concert tant elle est enfumée. Ce brouillard contribue à brouiller la vue pour mieux éclaircir notre vision sur cet espace où chacun pourra projeter une émotion, une image. Je suis tenté d’y percevoir l’atmosphère de guerre «larvée» qui mine tant de démocraties à l’heure des prémices d’un chaos planétaire.

Ce soir, tout semble reposer sur un équilibre précaire, à l’image de l’arrivée des sept danseurs, qui, face à nous, ne tiennent plus que sur une seule jambe. C’est par cette image saisissante qu’«Uprising» commence.

Je suis frappé par la profondeur de la scène : le contraste entre la fumée et l’espace la coupe en deux pour amplifier l’enchevêtrement entre l’ordre et le désordre, le climat de paix et la révolte urbaine, la conscience individuelle et l’inconscience groupale. Mais comment naissent ces groupes que nous voyons dans la rue? Comment émerge la révolte collective?  Sept jeunes hommes s’approprient le plateau pour l’obscurcir et nous éblouir. Hofesh Shechter nous offre sa lecture : la révolte est une danse. Elle se structure à partir d’apparitions et de disparitions où, telles des sauterelles, les corps furtifs véhiculent la vie et la mort, les valeurs du renouveau et le déclin mortifère. À première vue, rien ne change alors que tout se prépare…

Hofesh Shechter ne cesse de jouer sur le contraste entre la forme groupale et ce qui la structure (à savoir le processus d’individuation qui voit la personnalité individuelle se distinguer de la psychologie collective). L’énergie de sa danse est à chercher dans toutes les oppositions qu’il relie. Ainsi le tête-à-tête amical se conflictualise pour finalement se fondre dans le groupe à l’unisson porteur de valeurs. Le corps social se forme parce qu’il exclut ceux qui n’y trouvent pas leur place. Ici, pieds et mains sont liés pour créer la virtuosité d’un groupe qui puise ses mouvements dans un rapport au sol particulier: l’expression «ne pas toucher terre» trouve ici une illustration remarquable.

Puis vient le moment où l’espace s’élargit jusqu’aux coulisses du plateau: l’envers du décor est un désordre bien agencé. Il symbolise le cadre idéologique du groupe qui l’autorise à toutes les manoeuvres, à toutes les stratégies pour enrôler, encercler, terrasser et finir en apothéose,  drapeau rouge sang dressé en étendard. À cet instant prévis, Hofesh Shechter nous offre une danse picturale que j’accroche sur tous les murs où tombèrent ceux qui n’en sont pas revenus.

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Après une pause réparatrice, débute «The Art of not looking back». L’oeuvre réunit six danseuses. Le décor de couleur blanche est beaucoup plus neutre, plus resserré. Tout commence par un cri (celui de la naissance, de la douleur, de la tristesse, du dernier souffle) . L’image de «L’origine du monde» de Gustave Courbet me traverse. Pourquoi? Quel tour me joue l’inconscient? Précisément, cette chorégraphie est l’espace du vide créateur pour celui qui la regarde, un dialogue permanent entre  perception et projection, entre attente du spectateur et action du chorégraphe. Si bien que peu à peu, je vois parce que je ne vois plus.

Ces femmes me plongent dans un espace intrapsychique qui s’approche d’un état hypnotique où je retrouve les sensations du ventre maternel, où je projette mon expulsion lors de la naissance, où je ressens le deuil éprouvé, digéré, mais toujours en moi de celle qui n’est plus. Alors qu’elles désertent le plateau pendant quelques secondes interminables, je ne suis plus là. Ailleurs. Il faut le retour des danseurs d’Uprising pour me sentir à nouveau au théâtre.

Tel un cadeau offert au public, ces femmes et ces hommes donnent naissance à la danse du féminin dans le masculin pour une humanité en devenir.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Hofesh Shechter sur le Tadorne: À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

«Uprising»  et « The Art of not looking back » d’ Hofesh Shechter au Théatre des Salins de Martigues le 29 novembre 2011.

Tournée:

Du 7 au 10 février 2012 à Sète.

Du 14 au 29 février 2012 au Théâtre des Abesses à Paris.

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LA VIE DU BLOG LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Bloc-Notes / 3615 France3

Quand France 3 créé en 2009 la plate-forme «Culturebox», je me suis réjoui. Le projet vise à mettre en ligne les reportages élaborés par les stations régionales. Souvent d’excellente qualité,  ils proposent un focus sur la vitalité culturelle en région. Pour le Tadorne, c’est une opportunité pour illustrer et prolonger un article. Grâce à Culturebox, l’écrit et l’image s’articulent au profit de la visibilité d’un propos artistique.

Mais depuis quelques semaines, ce lent travail de mise en lien est détruit. En effet, la chaine a décidé de revoir l’architecture du site et son design. Je ne m’étendrais pas sur la qualité graphique, aussi joyeuse que celle d’une entreprise de pompes funèbres. Le problème est ailleurs: Culturebox en a profité pour changer tous les codes d’intégration des vidéos. Dit autrement, les reportages en ligne sur Le Tadorne sont dorénavant illisibles. À la place, un gros carré blanc (à titre s’exemple: Bertrand Cantat, «le condamné» d’Avignon). Postées depuis deux ans, il faudra du temps pour tout réinitialiser. À aucun moment, les techniciens n’ont envisagé que Culturebox était un outil pour les artistes, les institutions et les blogueurs. Ils ont pensé la rénovation du site sans prendre en compte son environnement.

une_culturebox.jpg

France 3 ne comprendrait-elle rien à la philosophie de l’internet, où tout est lié? Ils ont redéfini leur site dans une logique descendante et non horizontale. J’y vois la métaphore d’un système où la technique prime sur les dynamiques des liens. Sauf que ce modèle de pensée ne fonctionne plus.

Carré blanc. Carton rouge.

Additif au 10 décembre 2011:

Suite à la publication de l’article et à un message sur le mur Facebook de CultureBox, France Télévisions a réagi pour s’étonner de ce dysfonctionnement puis de reconnaître le problème et le régler.

Toutes les vidéos marchent correctement aujourd’hui.

Merci aux techniciens.

Pascal Bély

Pascal Bély ? Le Tadorne.