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EN COURS DE REFORMATAGE

De l’identité nationale par la compagnie 2 temps 3 mouvements.

Tout commence avec trois figures fantomatiques. Elles sont nous, elles sont eux. Eux, ce sont Nabil Hemaiza et Mathieu Desseigne. Ils sont la rencontre du hip-hop et du cirque. Avec « La stratégie de l'échec », ils dansent le résultat de l'urbanisation massive des années soixante avec la construction des barres HLM et la difficulté d'insertion des jeunes.

Avec une incroyable énergie, ces artistes nous délivrent avec sincérité, un message d'une vérité crue.

Les cités que l'on a vu fleurir ont toutes mené à la ghettoïsation et au mal-être de ses habitants. Considérés comme des parias, « la » et « le » politique ont déserté ces quartiers et laissé les problèmes liés à la socialisation des personnes s'amplifier. Comment grandir, se construire au sein même de ce désenchantement collectif ?


Avec l'acharnement et toute la conviction nécessaire pour s'en sortir ; comme un défi à la débâcle politicienne, les corps symbolisent ce combat de tous les jours où le mélange des deux disciplines illustre l'entraide. A bout de souffle, les mouvements sont répétés, inlassablement, jusqu'à l'épuisement. Nos corps, tous faits de chair et de sang, appellent le questionnement sur notre appartenance culturelle. Qui sommes-nous et que deviendrions-nous sans l'autre ?  La démonstration sur nos supposés clivages, mise au grand jour avec la question récurrente de l'identité nationale, trouve ici une réponse simple et juste : nous sommes tous semblables, nos différences font notre force commune.

C'est ainsi que l'on se ressent à la sortie de ce spectacle, un peu plus métissé, un peu plus français qu'en entrant. À l'heure où est relancé le faux débat sur l'identité nationale, il est urgent de faire résonner le métissage de notre culture et de notre identité afin de construire l'espace d'un futur viable pour tous et non plus pour quelques-uns. Ce jeune collectif en fait une démonstration percutante, loin, très loin des sirènes politiciennes. Il nous invite à fabriquer notre France de demain, loin  des consultations qui ont lieu aujourd'hui dans les préfectures ( !) et qui éloignent un peu plus la jeunesse métissée de notre pays.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

 

« La stratégie de l'échec » du Collectif 2 temps 3 mouvements a été présenté au CDC Les Hivernales, pour le festival Drôles d'Hip Hop, les 23 et 24 octobre 2009.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Claire Delaporte, notre petite soeur de Tchétchénie.

«J’irais les chercher jusque dans les chiottes». C’est ainsi que parlait l’ami de notre Président, au sujet des Tchétchènes. Cette phrase « poutiniare », la comédienne Claire Delaporte l’extirpe de ses tripes, face à nous, dans ce décor blanc tapissé de matelas au sol. Elle joue dans « CHTO interdit aux moins de 15 ans » d’après Sonia Chiambretto, mise en scène par Hubert Colas. Elle incarne ces filles de 18 ans rencontrées par l’auteur dans un centre d’apprentissage de la langue française. Elles ont fui la guerre. En réponse à la noirceur des « chiottes », Hubert Colas répond par la douceur d’un décor, qui s’élargit par la magie de l’outil vidéo, arme secrète de l’art pour pousser les frontières poreuses entre la tragédie du réel et la beauté d’une utopie, symbolisée par Marseille, où l’on va « dans la rue des convalescents apprendre la langue ». Le texte claque avec des « comme ça », ponctué de « RAH » et nous guide sur la route qui mène de « SAINT PETERSBOURG » au métro Noailles. Claire Delaporte incarne la brutalité du propos par son corps statique presque blessé qu’elle déshabille pour le couvrir à nouveau, à l’image des mots qu’elle épelle, en évitant soigneusement les élisions comme des balles qui passeraient au dessus de sa tête.
Elle restitue avec force le chaos psychique vécu de l’intérieur ; mais rien n’est donné comme ça. La relation prend le temps de s’installer comme si nous devions avoir confiance l’un envers l’autre et dépasser nos peurs (oui, je le concède, cette comédienne exceptionnelle m’impressionne).
Arrive alors le moment imprévisible où Claire Delaporte incarne dans mon imaginaire ma « petite soeur » de Tchétchénie. Le théâtre d’Hubert Colas opère cette rencontre en jouant avec l’espace qu’il ouvre, puis réduit nous permettant dans ces va-et-vient d’accueillir les mots brisés de Sonia Chiambretto ( « ça ne me quitte pas ça tout en moi dans ma tête ça revient »). Cette mise en scène de la connexion sidère parce qu’elle épouse le texte, libère Claire et renforce notre écoute empathique. Alors qu’elle évoque sa « Tchétchène nostalgie », le fil d’Ariane entre elle et nous se tend pour suspendre les mots du poète. Sublime.
L’Europe politique de mes rêves pourrait remettre les apostrophes manquantes aux mots de Claire, cicatriser ses coups de glotte, pour que l’on n’oublie pas ce crime contre l’humanité.
Sonia Chiambretto et Hubert Colas signent là le plus beau manifeste pour Marseille, capitale européenne de la culture et de la soeurorité.Pascal Bély – Le Tadorne“CHTO interdit aux moins de 15 ans” de Sonia Chiambretto, mise en scène d’Hubert Colas a été joué le s 2,3 et 4 octobre 2008 dans le cadre du Festival ACTORAL de Marseille.

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PAS CONTENT

De l’identité nationale, par David Bobée, Frédéric Nevchehirlian et Eva Doumbia.

Trois artistes, trois visions, trois manières de traiter la question de l’identité nationale…

Le propos est d’abord posée par le metteur en scène David Bobée et  l’écrivain Ronan Chéneau en janvier dernier (voir la vidéo) à travers le prisme de la dénonciation de l’actuelle politique gouvernementale. Dans « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue », ils nous renvoient à notre perception, notre ressenti vis-à-vis des nouvelles réglementations. Comment réagir quand la règle exige de prouver et de démontrer son attachement à la République?  Pourquoi cette nécessité, désormais, de fournir des preuves d’amour ? Et surtout, quelle(s) répercussion(s) envisager en cas de désintérêt, de désamour ? Et si je n’aime plus cette France-là, vais-je perdre mon identité nationale ?

Quelques semaines plus tard,   le slameur Frédéric Nevechirlian nous ouvre les portes du studio du Théâtre du Merlan à Marseille pour nous offrir une autre vision, complexe et artistique, de l’identité nationale.

Accompagné de musiciens classiques dont la pianiste Nathalie Negro, Frédéric Nevechirlian nous donne à entendre quelques textes dont un écrit par Eric Vuillard, dans le cadre d’une répétition de « j’ai des milliers de gestes »,  spectacle présenté en juin lors du festival de Marseille.  C’est une musique contemporaine qui hache les notes comme Frédéric scande les mots.

À travers la voix fiévreuse de Frédéric Nevechirlian, Eric Vuillard constate que « Les ancêtres sont des forces défavorables ». « Les ancêtres sont des corps gigantesques, des présences dont les dimensions soustraites à notre vue étirent les signes de la providence qui sont les agents de décomposition des cadavres. ( …) Les pensées semblent venues de notre esprit, mais elles paraissent tenir par une espèce de filament secret aux règnes des esprits antérieurs. Il existe dans nos pensées une accumulation mystérieuse d’angoisse et de splendeur. » Cette angoisse et cette splendeur, c’est un peu l’ambivalence de l’héritage de la France.

 «Mais ils s’introduisent comme du poison dans mes veines, ils viennent se coller sur mes yeux ; et je passe beaucoup de temps à les détruire, je passe beaucoup de temps à les retirer de moi,… ». L’héritage colonial de France, sa difficulté à construire un projet global.

Ces musiciens issus de la musique classique et le slameur Frédéric ont décidé de se croiser. Mais le  croisement n’est pas sans riper. Doit-on respecter la partition ou s’en éloigner pour laisser encore plus de champ à l’improvisation ? Doit-on laisser place à la surprise, à l’émotion, mais à davantage de chaos ? Car que cherche-t-on ? Le vidéaste Patrick Laffont, comme un passeur, fait le lien. Ces artistes ont voulu se confronter à un univers différent du leur. C’est difficile, c’est parfois frustrant,  leurs altérités  comme autant d’aspérités s’entrechoquent. Comment va s’articuler leur projet : la partition ou le chaos ? Nous les quittons sur ces interrogations.

Comme un écho, le lendemain Eva Doumbia présente au 3bisF à Aix-en-Provence.  « Je t’écris… Le métissage ne s’arrête-t-il pas où commence l’oubli (du voyage) ? »,  première étape d’un travail de création.

Avec sa troupe, la Compagnie La part du pauvre, Eva Doumbia nous accueille. Elle se tient face à nous et s’adresse à la foule compacte et mélangée venue assister à la représentation.  Ce « mélange » du public est celui des âges et des origines en miroir à cette équipe d’artistes.

Avec un souci de clarté et une empathie certaine pour ceux qui se sont déplacés pour voir, Eva Doumbia explique sa démarche.  Car précisément, elle conçoit le processus créatif dans cet aller-retour avec la salle.

Le spectacle est composé d’une série de monologues. Ils sont ceux des personnes que France, l’héroïne venue du Brésil a rencontré dans le cadre de ses études. Elles ont partagé l’intimité de France et chacune à leur tour nous raconte leur identité et leur relation avec France.

Les personnages de la pièce d’Eva Doumbia entretiennent tous un rapport avec l’Afrique. Certains sont pieds-noirs, d’autres ont vu leurs parents fuirent l’Afrique pour cause de guerre civile, d’autres ont simplement quitté l’Afrique pour faire carrière en France.

Cette mosaïque de témoignages dessine le portrait de leur interlocutrice, de leur terre d’accueil communes : France.

Le travail inachevé d’Eva Doumbia mérite d’être retravaillé quant à son rythme, mais l’essentiel est réussi : il touche chacun de nous en ce qu’il interroge sans partis pris le rapport que nous entretenons avec notre propre identité nationale.

Le projet d’Eva Doumbia tisse des liens avec celui de David Bobée et avec les mots d’Eric Vuillard prononcés la veille par Frédéric Nevchehirlian. En nous permettant de mieux comprendre leur processus artistique, ces artistes nous guident vers une lecture complexe de notre identité.  Cette question si intime qui questionne notre capacité à construire un projet collectif.

Elsa Gomis

www.festivalier.net

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EN COURS DE REFORMATAGE

La danse, question capitale pour Marseille.

Que faire pour que la danse revienne à Marseille ? De saison en saison, elle disparaît des programmations alors que deux centres chorégraphiques (« Le Pavillon Noir » à Aix en Provence et le Ballet National de Marseille) sont censés les irriguer. Avec la disparition du Festival « Danse à Aix » en 2005, nous avions déjà pressenti l'isolement d'un art qui a besoin, plus que tout autre, d'ouvertures et de maillages pour se régénérer. En novembre 2009, un chorégraphe (Michel Kelemenis), un théâtre (Les Bernardines) et un festival de danse (DANSEM) s'associent pour mettre fin à ce processus que certains voudraient inéluctable. Pendant dix jours, « Question de danse », en préambule à Dansem, offre au public marseillais et aux programmateurs, huit propositions chorégraphiques parrainées par différentes institutions françaises (CCN de Grenoble, Centre National de la Danse, Uzès Danse) et européennes (Lausanne, Officina, Bruxelles, Istanbul). Toutes semblent se porter au chevet d'une ville bien isolée sur la scène chorégraphique en lui offrant  l'opportunité de s'inscrire dans un réseau. En incluant dans cette programmation des ?uvres encore en création, puis en proposant un débat à la fin de chaque représentation, il s'agit de créer une relation de confiance, égalitaire, entre la danse et le public. Ici, le spectateur n'est pas juge, mais garant d'un processus créatif qui évoluera. Nuance. Pour avoir assisté à deux soirées, force est de constater que le public est là, presque rassemblé, loin des querelles de chapelles qui émiettent tant le paysage culturel marseillais. Michel Kelemenis est un homme chaleureux, en sincère empathie avec les artistes tout en sachant nous parler de danse avec sensibilité, loin des concepts qui l'isolent.

Dans ce contexte, les propositions prennent un relief particulier. Deux ont retenu mon attention, tandis qu'une troisième a déjà été chroniquée sur le site (Hélène Iratchet)

La Compagnie Malka animée par le chorégraphe Bouba Landrille Tchouda a séduit. « Meia Lua » est une danse collective qui nous offre un hip-hop émancipé de certains codes scéniques qui l'ont longtemps enfermé. En osant une dramaturgie (un gardien, un musée, des statues, métaphores de nos enfermements) « Meia Lua » permet au hip-hop de s'affranchir d'une danse démonstrative pour (enfin) activer nos imaginaires. En s'appuyant sur un propos universel (préférer l'émancipation à la soumission), le groupe fait preuve d'une vitalité communicative qui fédère. Bien que le sens se perde vers la fin dans une forme groupale un peu trop naïve et déjà vue ailleurs, on s'étonne que ce collectif prometteur n'ait pas vu le jour à Marseille, mais à Grenoble chez Jean-Claude Gallotta ! Il nous faudra suivre de près cette compagnie qui pourrait bien, dans les années qui viennent, sortir le « hip-hop » du musée pour l'inclure dans un mouvement chorégraphique émancipatoire. Celui d'une danse du sensible pour nous libérer de nos communications enfermantes ?


Meryem Jazouli  nous arrive du Maroc avec ?Kelma?un cri à la mère?. Ce solo est au croisement d'un rituel funéraire et d'une transe pour célébrer « l'absente ». Dans un espace scénique réduit, elle réussit à s'émanciper d'un propos religieux (sans le disqualifier) pour faire entendre le chagrin tel un spasme qui aurait besoin de temps pour se tendre et devenir fil d'Ariane. Ici, le corps de la mère et de la fille semble ne faire qu'un, puis se sépare (beau moment où le corps de l'enfant se transforme) pour qu'enfin vie et mort se fondent dans un « ensemble » dansant. Ce solo, profondément intime, n'offre pas toutes les clefs et finit par nous mettre à distance. A ces mouvements saccadés, manquent un liant, un pont vers nous, un prolongement vers un sens global (politique ?) qui éviterait à ce solo de (con)fondre son propos (le deuil) dans une forme mortifère. La sincérité du geste artistique ne fait aucun doute et nous permet d'entrer dans une autre culture du deuil. On aimerait suivre Meryem Jazouli, tout comme “Montpellier Danse” accompagne depuis longtemps les chorégraphes marocains Bouchra Ouizgen et Radhouane El Meddeb, tous deux programmés par Dansem dans les jours prochains.

Question de danse: pour quand « Marseille Danse » ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

A Marseille, “Question de Danse” jusqu’au 7 novembre 2009 inclus au Théâtre des Bernardines.

“DANSEM” jusqu’au 11 décembre: www.dansem.org