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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival Off d’Avignon, « Une voix sous la cendre » résonne.

« J’ai décidé d’arrêter le récit ici. Pour ceux et celles qui souhaitent le poursuivre, je vous renvoie à… ». C’est ainsi que se termine l’effroyable récit.

Le souffle court, il faut fermer les yeux pour éviter la lumière éblouissante d’un carré blanc. Il avance lentement, à l’image des wagons de la déportation. Le récit laissé en héritage par Zalmen Gradowski, déporté, affecté au Soderkommando, durant la seconde guerre mondiale, s’est déroulé avec lenteur.

Nous fermons les yeux afin d’échapper à ce carré blanc qui écrase. 

Rêvons-nous d’ailleurs comme quand le peuple juif, cantonné dans des wagons comme du bétail, imaginait une destination, où l’humain emporterait le pas sur la bête ?

Avec ce récit, porté avec force par François Clavier (saisissant de réalisme), Alain Timar, dans une mise en scène dépouillée, donne aux mots toutes leurs forces. Au même titre qu’Irène Némirowsky (1) ou Wladyslaw Szpilman (2), Zalmen Gradowski permet à l’humanité de pouvoir introspecter son histoire, sans fard et sans artifice et de laisser émerger son rapport personnel à l’histoire, d’autant plus que nous sommes dans une société rythmée par l’évènement, par l’émotion médiatisée.  Zalmen Gradowski laisse une page d’écriture de l’histoire de la barbarie, celle de la bête humaine. Serions-nous aujourd’hui en train de noircir cette page alors que les déportations et les génocides se poursuivent?

J’ai voulu le laisser (ce texte), ainsi que de nombreuses autres notes, en souvenir pour le futur monde de paix afin qu’on sache ce qui s’est passé ici tels sont les mots de Zalmen Gradowski. À méditer. Inlassablement.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

« Une voix sous la cendre » de Zalmen Gradowski. Mise en scène Alain Timar. Avec François Clavier. Jusqu’au 30 juillet. 17h00. Théâtre des Halles en Avignon.

(1) Irène Némirowsky, auteur de « Suite française ».

(2) Wladyslaw Szpilman, auteur de « Le Pianiste ».

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LE THEATRE BELGE!

Au festival Off d’Avignon, « Chatroom » tisse sa toile et nous relie.

La Belgique, toujours elle, est là quand il faut introspecter les terres chaotiques de l’humain.  Elle sait souvent nous parler au bon moment et avec la manière. Au festival Off d’Avignon, « Chatroom » d’Enda Walsh par Sylvie de Braekeleer, pièce sur l’adolescence avec en toile de fond les « chats » sur internet, affiche complet. Pas étonnant. Elle répond à un besoin. Notre pays n’écoute plus sa jeunesse, si ce n’est au travers d’un arsenal répressif, ou s’en remettant à l’industrie culturelle chargée de propager les bonnes moeurs commerciales. Dès le début de la pièce, elle en prend d’ailleurs pour son grade à partir d’une scène savoureuse, où deux jeunes filles habillent pour l’hiver Britney Spears : sur internet, on fait aussi oeuvre de sens critique !

Car ceux qui verraient dans « Chatroom» une accusation à charge contre la toile, en seront pour leur frais. Ce qui est en cause, c’est notre approche sur cette tranche de vie, souvent caricaturée, peu étudiée à l’université, gommée des politiques de santé publique. Et pourtant, alors que l’on nous invite à retrouver notre regard d’enfant, il est rare que l’adolescence véhicule un imaginaire positif. La force de cette pièce est de combler ce vide avec six jeunes comédiens (tous exceptionnels) qui, loin de réduire ce qui est complexe, jouent avec générosité et honnêteté un texte ciselé pour le théâtre. On y voit six adolescents pris dans la toile avec leurs bagages déjà lourds,  tenter de s’alléger en s’essayant à la manipulation, à sauver ce qui peut l’être, à jouer les grands frères avec distance, à rechercher la bonne cause, à s’engager avec fraternité, à s’affirmer par le pouvoir et s’y brûler.

Les mécanismes de la séduction et de la domination sont approchés avec délicatesse dans un décor qui n’utilise pas les nouvelles technologies pour faire branché, mais qui sert les acteurs. La vidéo prolonge avec succès le jeu théâtral parce qu’elle s’appuie sur une dramaturgie en forme de happening : à 15 ans, on sait faire la différence entre monde réel et virtuel et puiser dans l’enfance les ressorts de l’imaginaire qui construisent un adulte. Sylvie de Braekeleer sait matérialiser un espace virtuel en assumant le propos : un outil, si l’on veut bien s’en donner la peine, peut véhiculer du sens.

« Chatroom » permet de vieillir avec sérénité. Vous y prendrez un sacré coup de jeune.

Pascal Bély – Le Tadorne

« Chatroom » d’Enda Walsh, mise en scène de Sylvie de Braekeleer, jusqu’au 28 juillet au Théâtre des Doms en Avignon.