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LE THEATRE BELGE!

Au festival Off d’Avignon, « Chatroom » tisse sa toile et nous relie.

La Belgique, toujours elle, est là quand il faut introspecter les terres chaotiques de l’humain.  Elle sait souvent nous parler au bon moment et avec la manière. Au festival Off d’Avignon, « Chatroom » d’Enda Walsh par Sylvie de Braekeleer, pièce sur l’adolescence avec en toile de fond les « chats » sur internet, affiche complet. Pas étonnant. Elle répond à un besoin. Notre pays n’écoute plus sa jeunesse, si ce n’est au travers d’un arsenal répressif, ou s’en remettant à l’industrie culturelle chargée de propager les bonnes moeurs commerciales. Dès le début de la pièce, elle en prend d’ailleurs pour son grade à partir d’une scène savoureuse, où deux jeunes filles habillent pour l’hiver Britney Spears : sur internet, on fait aussi oeuvre de sens critique !

Car ceux qui verraient dans « Chatroom» une accusation à charge contre la toile, en seront pour leur frais. Ce qui est en cause, c’est notre approche sur cette tranche de vie, souvent caricaturée, peu étudiée à l’université, gommée des politiques de santé publique. Et pourtant, alors que l’on nous invite à retrouver notre regard d’enfant, il est rare que l’adolescence véhicule un imaginaire positif. La force de cette pièce est de combler ce vide avec six jeunes comédiens (tous exceptionnels) qui, loin de réduire ce qui est complexe, jouent avec générosité et honnêteté un texte ciselé pour le théâtre. On y voit six adolescents pris dans la toile avec leurs bagages déjà lourds,  tenter de s’alléger en s’essayant à la manipulation, à sauver ce qui peut l’être, à jouer les grands frères avec distance, à rechercher la bonne cause, à s’engager avec fraternité, à s’affirmer par le pouvoir et s’y brûler.

Les mécanismes de la séduction et de la domination sont approchés avec délicatesse dans un décor qui n’utilise pas les nouvelles technologies pour faire branché, mais qui sert les acteurs. La vidéo prolonge avec succès le jeu théâtral parce qu’elle s’appuie sur une dramaturgie en forme de happening : à 15 ans, on sait faire la différence entre monde réel et virtuel et puiser dans l’enfance les ressorts de l’imaginaire qui construisent un adulte. Sylvie de Braekeleer sait matérialiser un espace virtuel en assumant le propos : un outil, si l’on veut bien s’en donner la peine, peut véhiculer du sens.

« Chatroom » permet de vieillir avec sérénité. Vous y prendrez un sacré coup de jeune.

Pascal Bély – Le Tadorne

« Chatroom » d’Enda Walsh, mise en scène de Sylvie de Braekeleer, jusqu’au 28 juillet au Théâtre des Doms en Avignon.