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EN COURS DE REFORMATAGE

L’ « Hiver » du festival « Off » d’Avignon.

Le décalage des calendriers entre le festival « Off » (qui prendra fin le 2 août) et le « In» (qui s'est terminé le 26 juillet) vide peu à peu les rues et les salles de spectacles d'Avignon. L'atmosphère n'est pas à la joie et certaines compagnies plient bagages plus vite que prévu. En 2008, le génie français est ici : c'est « in » ou « off ». Ce modèle est inopérant, mais les institutions continuent de jouer cette escalade plutôt que d'offrir une troisième voie au public et aux comédiens.
Cette absence de dynamique globale permet à chaque festival de « fanfaronner » sur ses chiffres de fréquentation, mais le processus qui conduit à réduire les passerelles entre le «in» et le «off» est solidement installé. Le public ne s'y trompe d'ailleurs pas : à l'annonce de la fin du « in », il a plié bagage lui aussi. Comme quoi, il relie bien les deux ! Les professionnels ont beau accuser les spectateurs de ne pas savoir lire les plaquettes (réflexe bien français d'incriminer l'usager plutôt que de remettre en question le modèle), les faits sont têtus : quand une partie bouge, c'est le tout qui se fragilise.
À chaque édition, je ressens profondément la nécessité de passer à autre chose, d'inventer un nouveau festival qui s'appuierait sur les particularités du « in » et du « off». J'imagine une supra entité chargée de relier les deux pour nous aider à faire de belles traversées. Je ne propose pas la disparition des particularismes, mais leur reliance par un groupement de spectateurs, critiques, et de professionnels de la culture.

« Hiver » à Présence Pasteur est donc mon dernier spectacle du Festival. Qu'importe qu'il soit dans le « off ». Il ne fait aucun doute pour moi que Jacques Descorde (acteur principal et metteur en scène) est en devenir, qu'il est précisément à la frontière poreuse du « in » et du « off ». La Compagnie décide d'arrêter trois jours avant la dernière, malgré de belles critiques (celle du Nouvel Observateur, de Vincent Josse de France Inter). Le calendrier décalé n'a pas permis au bouche à oreille de fonctionner. Absurde.
Nous ne sommes donc que quelques spectateurs à nous laisser porter par ce couple de comédiens exceptionnels. Elle, c'est « sa nana » (magnifique Maryline Even). Lui est cadre (supérieur ?) en déplacement pour rendez-vous professionnel (manqué). Ils n'ont passé que quelques heures ensemble, au détour d'une « «pipe ». Il dort à l'hôtel.
Jacques Descorde campe deux personnages totalement égarés dont le texte de Jon Fosse accentue l'errance. De bancs publics gelés à la cellule de prison d'un hôtel, ce couple se connaît à peine, mais tente le tout pour le tout pour concilier l'inconciliable. La force de la mise en scène est d'offrir cet espace où l'on peut s'immiscer dans la relation sans être voyeur. Jacques Descorde tire parfois le rideau puis l'ouvre à nouveau, à l'image d'un voile pudique ou d'une cloison d'hôpital qui séparerait deux malades dans une chambre. En projetant des extraits du film « Sue perdue à Manhattan » d'Amos Kollek avec la voie de la chanteuse Coco Rosie, il élargit l'espace du couple pour nous inclure dans une tragédie qui pourrait être la nôtre.
« Hiver » est une pièce fragile, où les acteurs murmurent parfois loin du tumulte de certains plateaux. J'ai ressenti cette ?uvre comme un cadeau, pour clore provisoirement mon festival d'Avignon. En échange, je n'ai jamais lâché, suspendu au fil d'Ariane tendu entre ces deux acteurs telle une arborescence de ma traversée d'Avignon.
« Ma nana » aurait pu croiser le « Hamlet » d’Ostermeier,  s'échapper de l'AX de Philippe Quesne. Et je me suis mis à rêver : Jacques Descorde n'aurait-il pas rencontré Wajdi Mouawad dans le musée de Saint Petersburg ?
Destins croisés, fils reliés : vive la toile d'Avignon !


Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? “Hiver” de Jon Fosse mis en scène par Jacques Descorde a été joué lors du Festival Off d’Avignon.  Pour connaître les dates de la tournée:  ciedesdocks@orange.fr


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