Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, l’arbre de Sidi Larbi Cherkaoui cache la forêt.

Sidi Larbi Cherkaoui provoque l’événement du Festival d’Avignon, si l’on en croit la longue file d’attente de spectateurs à la recherche d’un billet à l’entrée du Lycée Saint – Joseph. « Sutra » fait du bruit, au sens propre comme au sens figuré.
Entouré de seize Moines du Temple Shaolin (dont un enfant), la chorégraphie est spectaculaire, loin d’être apaisante. C’est le vacarme d’une rencontre qui ne va pas de soi, entre une danse proche des arts martiaux et celle de Cherkaoui emprunte de contritions, d’un maillage de mouvements recueillis ici et là lors de ses voyages à travers le monde. Si l’articulation entre l’orient et l’occident est l’un des enjeux majeurs pour notre planète, force est de constater que Sidi Larbi Cherkaoui a du mal à dépasser le stade des présentations et qu’il semble bien seul, avec son orchestre classique caché derrière le rideau. À l’issue de la représentation, ce lien me paraît improbable sauf à concevoir que le terrain du religieux soit l’unique espace possible d’une rencontre pourtant déterminante.
   
 
Depuis « Origine », pièce vue au printemps dernier, la vision du monde de Sidi Larbi Cherkaoui n’a pas beaucoup bougé. Aux cases d’un immeuble imaginaire, se substituent des caisses en bois, dont une en fer pour « Larbi », comme aime à l’appeler l’enfant. Nous ne sommes effectivement pas tous fait de la même matière, mais de là à imaginer un tel déséquilibre, c’est un choc de civilisation. La planète est émiettée, éclatée : entre populations à la dérive, génocide, amputation des corps, me vient une image qui ne me quitte plus: l’agencement des caisses forme le Mémorial de l’Holocauste de Berlin dans lequel les touristes s’amusent parfois à cache-cache comme pour mieux conjurer l’angoisse. Ici, celle de Cherkaoui est palpable, tandis que les Moines l’expulsent avec leur danse aux allures guerrières, où la voix prolonge le mouvement.
Du mémorial, le chorégraphe Belge tente de multiples constructions dont certaines ne nous sont pas étrangères (le mur qui s’ouvre, le temple qui s’érige) mais l’ensemble est toujours précaire, fragile à l’image des caisses qui s’écroulent tel un jeu de dominos, où le monde ne tiendrait qu’à un fil. Je ne perçois pas comment nous allons vivre ensemble dans la globalisation, équilibrer spiritualité et démocratie, bois et fer. Même le changement d’habit (les moines arborent à un moment nos costumes «traditionnels») n’est qu’une parade. Je m’accroche à cette utopie d’un monde où nous serions unis dans la diversité, portée comme un étendard par Sidi Larbi Cherkaoui, mais je le ressens fatigué, à bout de son propos. Le tableau final, groupal, de toute beauté, voit notre homme se fondre tandis que la lumière éclaire sur le côté la scène et les caisses en modèle réduit. Revenu à une construction classique, la vision est statique : bloc contre bloc.
On se lève alors pour applaudir, comme un geste de survie. Mais une fois sorti, dans la rue balayée par un mistral glacial, je rêve d’un autre monde, plus féminin et moins guerrier. Le Festival d’Avignon a décidément bien du mal à nous le proposer.Pascal Bély
www.festivalier.net

  « Sutra» de Sidi Larbi Cherkaoui a été joué le 13 juillet 2008 au Festival d’Avignon.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Festival Off d’Avignon/ Les recommandations du Tadorne.

Quelques coups de coeur sur le Festival « Off » d’Avignon :
Laurent Bourbousson, contributeur du Tadorne et amateur d’un théâtre engagé, humaniste, a vu et aimé :
1- «
Le bonheur de la tomate» mise en scène par Marie Pagès au Théâtre “Le Ring”
2- «
Petit-déjeuner orageux un soir de carnaval » de et par Eno Krojanker et Hervé Piron au Théâtre des Doms
3- «
Le mois de Marie» mis en scène par Fréderic Garbe pour “L’autre compagnie” au Théâtre des Halles.
4- “
Le jour où Nina Simone a cessé de chanter de Darina Al Joundi au Théâtre des Halles.
5- “
Je veux qu’on me parle – voyage en pays Calaferte” d’Alain Timar au Théâtre des Halles.

Romain, fidèle lecteur, nous recommande la programmation de « La Manufacture » qui s’inscrit selon lui dans « une véritable démarche de valorisation de la création » dont :
1- « Récits de Bain » par Marielle Rémy et Guillaume Servely.
2- « La mort du Roi Tsongor » par Laurent Gaudé.
Romain nous recommande également « Le diable en partage », pièce de Fabrice Melquiot jouée par la Compagnie HoCemo au
Théâtre Golovine.

De son côté, Yann, su site « Un air de Théâtre » nous recommande à La Manufacture «Borges Vs Goya» de Rodrigo Garcia par la Compagnie Akté.

Emmanuel nous écrit:

J’ai été voir « le rêve d’un homme ridicule » de Dostoïevsky à 23 heures au théâtre du Roi René, joué par la comagnie les Théâtronautes, c’est un très bon spectacle. Le comédien Fabrice Lebert a eu l’élégance de condenser en cinquante minutes le cheminement de cet homme qui renonce à se suicider après l’intervention d’une petite fille et d’un songe intrigant. C’est joué face public, projeté avec une grande intelligence de la parole. Comme il y a beaucoup de jeunes comédiens dans le OFF, en voila un qui a les épaules pour aborder un thème profond sans sombrer ni le masquer par une légèreté faussement empruntée. C’est peut-être parce qu’il semble bon danseur en certains endroits du spectacle, que son art de l’équilibre s’applique également à sa manière de jouer.

A noter l’atmosphère poétique de ce lieu, chapelle déglinguée qui sert toute l’année aux apprentis restaurateurs de tableaux anciens à s’exercer : enduits grattés, stucs, plâtres.

Pour ma part, je vous conseille d’aller voir à Présence Pasteur, «Je suis Adolf Eichman» par Jari Juutinen et “”Domestic Flight” de la Compagnie de Christophe Haleb au Théâtre des Hivernales.

A lire aussi les conseils de Martine Silber, journaliste au Monde, sur son blog.

Vous aussi, vous pouvez envoyer vos recommandations (argumentées !).
A bientôt.

Pascal Bély

www.festivalier.net

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Festival Off d’Avignon/ Au Théâtre des Halles, « le mois de Marie » en juillet 2008.

Tirée des « Dramuscules » de Thomas Bernard, la courte pièce « Le mois de Marie » pointe du doigt toute la médisance, la pauvreté et cruauté humaine que l’être peut avoir en son sein.
Au coeur de ce dispositif ingénieux, mis en scène par Frédéric Garbe, deux vieilles dames prennent possession de la parole et de leur village bavarois.
Gardiennes de la morale, pieuses comme on ne peut imaginer, le souffle du soufre se fait entendre par l’aspect le plus primitif: la peur de l’autre.  Nos deux vieilles (pour être courtois) vont donc se prendre au jeu de la surenchère et chercher l’erreur qui compromet un avenir radieux à la jeunesse allemande, à l’aube des années trente.
L’enterrement de ce « Pauvre Monsieur Geissrathner », mort dans un accident causé par un turc, donne l’écho aux prémices de ce racisme primaire qui fait encore acte aujourd’hui. « Lui est mort, pourtant si jeune, mais le turc est toujours en liberté, lui » répètent-elles en boucle.

Comme le venin, les paroles distillent le poison nauséeux de l’étroitesse d’esprit dit de village et finissent par agresser ce « pauvre Monsieur Geissrathner ». Nos deux Bavaroises, tels deux anges veillant sur leur village, illustrent la pensée unique des années après-guerre et avant-guerre. Cet entre-deux durant lequel elle fit son chemin pour arriver à la destruction humaine que l’on connaît. Les paroles agressives, cachées derrière le beau sourire de ces deux habitantes, fusent et attaquent ce que l’humain a de plus beau : la mixité.
Le ton décalé de l’échange permet de combattre cette cruauté par le rire et offre une image désuète du propos.

Une scène qui appartient au passé ? Pas si sûr.

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

photo: copyright L’Autre Compagnie

« Le mois de Marie» mis en scène par Fréderic Garbe pour “L’autre compagnie” au Théâtre  des Halles d’Avignon jusqu’au 1er août 2008.