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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE! Vidéos

Avignon Off 2013 – Nous avons compris.

«Je vous ai compris!» dit-il de sa voix solennelle. Cinquante ans après, cette expression inaugure notre Festival Off d’Avignon à travers la pièce de la compagnie Groupov. Elle résonne avec l’ouverture de l’In, où l’Espagnole Angelica Liddell dans «Ping pang qiu», nous avait interpellés sur les mots utilisés par les politiques…

Cinquante ans après, deux comédiennes, Valerie Gimenez et Sinda Guessab, nous font vivre de l’intérieur cette allocution mythique. Elles incarnent un couple improbable, celui de leurs parents: un gendarme pied-noir (militant du Front National) et une Algérienne naturalisée française. Leur histoire originelle est différente et distanciée, mais le contexte politique actuel les relie: face à nous, elles font ce travail d’introspection que la France ne veut pas entamer.

Les tons sont rapidement campés. L’homme est un peu timide, maladroit et pose ses valeurs nationalistes. Ses bégaiements en disent long sur ces mots de l’Histoire qui butent sur l’intime douleur…La femme est souriante, généreuse, pétrie de forces et d’émotions. Mais ses rires ne sont que barrières de défense qui peu à peu cèdent…Les mots «tirs» de l’un traversent les sourires «tics» de l’autre.

La mise en scène se construit derrière elles, grâce à l’excellent coup de crayon du dessinateur Samir Guessab. La chorégraphe Mathilde Monnier, au dernier festival Montpellier Danse, avait su tirer parti de cet outil, dans sa proposition d’amateurs «Qu’est-ce qui nous arrive ?»… La main précise de François Olislaeger nous avait dévoilé petit à petit les détails de ce territoire inconnu. Même démarche ici comme si le dessinateur chorégraphiait les mots. Là où l’image vidéo perd souvent le spectateur dans une opposition plateau/écran, ici les dessins font lien entre les deux personnages. Les plis de la veste du gradé apparaissent en quelques traits noirs et le propos transpire. Le crayon glisse sur l’écran et nous ouvre le regard sur ce pays, sur les actes des indigènes et des colons. Chacun est enfermé dans ses représentations et tente de construire un pays hybride. Les processus d’hier continuent de séparer notre société d’aujourd’hui, provoquant le malaise d’une incommunicabilité sectaire: qui est l’indigène, qui est le Français de souche? Qui colonise qui et quoi?

Comment ne pas repenser à «Méditerranées» film de 35min d’Olivier Py. On y retrouve la même senteur des orangers, la même beauté des montagnes, l’immensité de l’horizon que découpe la mer, la même mélancolie de ces êtres humains confrontés à la perte de leurs racines; la même odeur de la torture et de la mort qui les laissent marqués au fer rouge pour toujours tels de simples moutons.

«Je vous ai compris» est une œuvre forte, car elle célèbre la liberté d’expression: ouvrir la parole intime de chacun pour penser une politique pour tous. Il faut un sacré courage pour oser un tel rendez-vous avec l’Histoire et accompagner le spectateur à faire ce travail d’introspection. Car ne nous y trompons pas: cinquante après, l’expression de De Gaulle agit comme un secret de famille.

De génération en génération, elle détonne comme une mine antipersonnel.

Sylvie Lefrère – Pascal Bély – Tadornes

« Je vous ai compris » par la compagnie Groupov à la Manufacture jusqu’au 27 juillet à 11h.
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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Viens voir les psychanartistes. Voir les comédiens. Voir les magiciens. Qui arrivent.

Il m’en faut de l’énergie pour faire le voyage jusqu’à Saint Paul de Vence. À cet instant, je ressens ce même désir mêlé de crainte et de courage quand, pendant dix années, je partais vers ma psychanalyste.  À Saint-Paul, des «psychanartistes» donnent rendez-vous à une assemblée de spectateurs pour une après-midi «hors cadre», savamment intitulée «du réel à la performance par la dérision». Tandis que le cynisme fait office de pensée et se propage à la vitesse d’une contamination virale, il est vital d’entendre une théorie en mouvement; nécessaire de ressentir la psychanalyse comme acte de création; urgent de décloisonner et de relier l’art à ce qu’il y a de plus complexe: l’humain. Organisé par l’A.E.F.L de Nice (Association d’études de Freud et de Lacan), ce rendez-vous qui réunit sur le plateau psychanalystes et artistes dans une ambiance cabaret des années folles, se veut un brin provocateur.

DCF 1.0

Précédée par la danseuse Vanessa Lou Zouan, Catherine Méhu, psychanalyste, s’avance vers nous, sort d’un cadre en veillant à ne pas trébucher:

«Le rire, c’est sérieux / La dérision, c’est… vital / Le réel, c’est…/Le cadre, ha ! Le cadre/ Le cadre, c’est incontournable / Et c’est contournable / Ça se lit entre les lignes. / Entre les lignes, Qu’est-ce que c’est? / Entre les lignes/ C’est une création / Un hors cadre de psychanalystes / Un hors cadre d’artistes / Un hors cadre anarchiste? / Pour des psychanalystes ? / Pour des artistes ? / Pour des « psychanartistes » alors /Pour des psychanartistes »

Ce rendez-vous verra se succéder textes, danse, musiques, chants, performances. Il est un  « cadre vide / On l’invente toujours / On le traverse / Et on le déplace/ Un espace de liberté ». Cette rencontre entre la psychanalyse et l’artiste souvent suggérée sur les scènes de théâtre européennes, prend ici corps sur ce divan du monde, dans cette « liberté créatrice / Comme une circularité / Entre matière et forme / Entre rigueur et ouverture / Entre les lignes…D’une position hybride / afin que quelque chose surgisse à l’intersection. Ils s’émancipent de leurs disciplines / Pour aller vers cette démarche créatrice. Le psychanartiste est un créatif en puissance il mène une recherche outreligne /…/C’est une recherche  / C’est une mise en commun  / C’est une réflexion autour d’un thème.  / C’est une mise en acte de textes /…/ Une performance de psychanartistes. »

Tout est dit sur cette rencontre entre l’art et la manière, entre mots et gestes, du non-dit dans du dit, du ça dans le sur moi ! Très rapidement, la jubilation me gagne tandis que vient toquer à mes rationalités, la langue déconstruite de Valère Novarina interprétée avec  profondeur par Olivier Lenoir. N’est-elle pas métaphore du langage du patient, de ces associations d’idées et de mots qui éclairent la réalité psychique ?

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Quelques séquences plus tard surgit une image. L’Image. Nora Lomelet et Jean-Louis Rinaldini font un arrêt sur hommage à Jean-Luc Godard en interprétant le dialogue improbable entre le cinéaste et une femme égarée dans un néant d’apparence troublée par ses ailes du désir…À cet instant précis, je ressens les forces contraires qui nous propulsent vers l’émancipation, la liberté, «le renoncement de soi pour l’avancement de soi-même» (Louis Jouvet)

L’acteur Fabien Duprat est exceptionnel en oiseau quand il s’inclut dans le film de nos images dissociées . Sa farandole de mots empruntés à Boby Lapointe redessine son visage qu’une heure plus tard, son corps  est “irradié” et désarticulé par les logiques des systèmes totalitaires. Il  y a urgence à rappeler que le corps est langage.

Autre rencontre…fictive cette fois-ci entre Adolf Hitler et Sigmund Freud. À partir d’un extrait de «Vienne 1913» d’Alain Didier-Weill, les comédiens Frédéric de Goldfiem et Jonathan Gensburger incarnent les liens entre la psychanalyse et l’art. On y décèle le regard que portait Hitler sur le rapport entre contenant et contenu, signifié et signifiant,  forme et matière…

À ce duo d’hommes, répond celui de deux femmes irradiantes : l’actrice Gianna Canova et la psychanalyste Nora Lomelet. L’une est complice d’un pouvoir totalitaire ; l’autre en est la victime. Côté à côte, seuls leurs visages sont éclairés. Tout les oppose…et pourtant. Entre dictature et résistance, qu’entendons-nous de cette humanité qui se débat avec ses démons et ses forces vitales ? Elles sont côte à côte et ne forment qu’une seule entité : le théâtre, espace unique, capable de convoquer des spectateurs pour ressentir la dualité entre dictature et liberté.

Saluons la performance tout au long du spectacle de la psychanartiste  Michèle Zuntini guitariste  classique qui s’est collée à la retranscription à la guitare de Boby Lapointe, à l’accompagnement de la mezzo soprano Isabelle Gioanni, au tango avec Gianna Canova, et d’autres créations musicales mais surtout saluons la pour son texte “Silenzio” lu par “l’irradié” qui montre son talent d’écriture.

À quelques minutes de la fin, ensemble, attablés, les psychanartistes commandent leur repas à partir d’un menu concocté avec les œuvres de DaliLes entre-plats sodomisés» (viandes), «Les spoutniks astiqués d’asticots statistiques»). Je me lèche déjà les babines à l’idée de déguster ces mets et d’y retrouver mon enfant créateur. Il est ici, là, plus loin…Mais, croyez-le, bien réel.

Pascal Bély – Le Tadorne.

«Du réeel à la perform ance par la dérision», une mise en scène de Fabien Duprat avec Élisabeth Blanc, Catherine Méhu, Vanessa Lou Zouan De, Olivier Lenoir, Michèle Zuntini, Herns Duplan, Isabelle Gioanni, Daniel Cassini, Nora Lomelet, Jean-Louis Rinaldini, Fabien Duprat, Frédéric de Goldfiem, Jonathan Gensburger,  Roger Holtom, Gianna Canova, Catherine Fava-d’Auvergne. Au Centre Culturel de Saint-Paul-de-Vence le 29 juin 2013.