Catégories
Marseille Provence 2013

Marseille Provence 2013 : déséquilibrez-moi !

Je me suis toujours méfié du cirque que j’ai longtemps associé aux jeux du même nom ! Le spectaculaire, l’exploit bloquent mes ressentis surtout quand les applaudissements réguliers du public empêchent le sens de faire silence…Cette année, Marseille et sa «métropole» sont capitale européenne de la culture et proposent «Cirque en capitales». Ici et là, des chapiteaux se montent (ou se démontent à cause de mistral…) pour accueillir toute la diversité d’une discipline qui semble avoir fait un travail important pour se renouveler et s’ouvrir au langage complexe du corps (doit-on y voir l’influence de la danse contemporaine ?).

thumb

Ce soir à Arles, nous sommes invités à prendre place sur des petits gradins de bois au centre de l’Église des Frères Prêcheurs. L’ambiance est glaciale et le moindre bruit résonne. Cela force l’écoute. Groupé, le public se tient chaud…Deux hommes arrivent (Rémi Luchez et Olivier Debelhoir). L’un blouson cuir, pantalon noir…L’autre chemise et jean’s de travail. L’un préoccupé…L’autre, mystérieux. Qui est qui ? D’où sortent-ils pour nous scruter de cette façon, pour provoquer nos rires un peu nerveux ? Je me vois déjà descendre dans l’arène et entrer dans la mêlée pour en découdre avec ces deux zozos. Leur regard défiant en dit long sur l’état de tension qu’ils veulent instaurer: le cirque serait-il une relation circassien – spectateur qu’il faudrait tendre, détendre, transformer jusqu’à la limite, celle où nous pourrions décrocher, applaudir à tout rompre ou nous barrer. Dès les premières minutes, je me formule une hypothèse : «Nichons là» sera un corps à corps, un corps à matière, une lutte entre pulsions de pouvoir et désir d’art…Le propos pourrait paraître un peu binaire et pourtant : ces deux-là travaillent notre relation au cirque à partir d’une succession d’exercices comme autant de métaphores d’un lien complexe entre notre désir d’exploit et la nécessité vitale de ressentir la fragilité dans toute chose pour rester éveillé, vivant, créatif. Je ne suis pas déçu. À tour de rôle, ils vont défier l’équilibre et mobiliser toute une palette de ressentis pour créer la communication (de l’empathie joyeuse, à la gravité ; de l’écoute à la mise à distance par l’humour ; de la participation à l’imprévu,…).

Ici, le temps du spectaculaire s’efface pour laisser place à celui de la poésie qui met en rime corps et matière, où chaque numéro est un alexandrin avec sa propre musicalité.

Ici, l’échelle ne tient debout que par une tension entre équilibre et déséquilibre : monter haut, c’est accepter d’articuler le vertical et le transversal.

Ici, la pile de carrés de bois sur la tête provoque la danse d’un corps fragile à la recherche de notre regard qui soutiendrait le tout : la beauté se niche dans cette interaction là !

Ici, la pelle n’est mécanique que par la détermination d’un homme qui relie la matière et la pensée.

Toutes ces articulations que nous séparons par la force (jusqu’à la bagarre où l’un fracasse l’autre !), ces deux artistes les relient par la recherche de la relation, de l’interaction. Du classique pot de fer contre le pot de terre, ils nous proposent le pot de terre qui voit loin parce que son corps est boussole, au pot de fer qui n’est en équilibre que par la force d’un battement d’ailes de papillon. Ils ne sont forts ensemble que par le regard que nous portons sur eux : dès lors, deux jeunes filles du public sont sollicitées pour ouvrir leurs mains et accueillir l’un d’entre eux afin que le pot sur sa tête ne se fracasse pas. C’est l’énergie de cet accueil qui permet à l’autre d’enchainer avec sa chaise de métal pour une danse où communiquer en déséquilibre est un exploit !

Peu à peu, me voici embarqué dans leur univers de Far West où nos deux cowboys accueillent des spectateurs indiens afin de créer ensemble l’espace où l’équilibre n’est qu’une utopie, où le déséquilibre est une force pour ouvrir des possibles.

Mes mots ne suffisent plus pour exprimer où ces deux gars se sont nichés…C’est ma chute.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Nichons là » de l’Association des Clous  au Théâtre d’Arles dans le cadre de « Cirque en capitale » les 1er et 2 février 2013.