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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon : épidermiquement, Olivier Dubois.

Comme des loups, une partie du public manifeste. Noyé sous des applaudissements, «Faune(s)» d’Olivier Dubois provoque un bien joli vacarme. Pour en atténuer la portée, ll nous regarde les points serrés. L’homme est manifestement touché, mais la bête n’est pas à terre. Il sait qu’il a visé juste.
Quatre tableaux majestueux pour se réapproprier « L’après-midi d’un faune » chorégraphié par Vaslav Nijinski. Cela restera comme l’un des moments les plus intenses du Festival. Une heure jubilatoire où Olivier Dubois a réveillé nos sens. Du plaisir à fleur de peau, une métamorphose du danseur, mais aussi du spectateur. Ce n’est pas tant d’aller chercher le mouvement que de ressentir la peau, interface entre le biologique et le sociétal. Cela ne peut laisser indifférent : la peau provoque toujours une réaction épidermique.
Pour nous accompagner, Olivier Dubois s’est associé avec un cinéaste qui sait nous parler d’amour en société. Quinze minutes d’un film majestueux, en noir et blanc, où l’on voit Olivier Dubois pister derrière une grille quatre beaux mecs en train de jouer au tennis. Il transpire de désir et d’amour. Nous aussi. La caméra de Christophe Honoré fait une nouvelle fois des merveilles lorsqu’il retranscrit nos humeurs amoureuses, avec Paris comme grande toile de Bakst. Le faune finit par chanter « Biche, oh ma biche » en humant le t-shirt encore humide de sa proie dans une chambre d’hôtel. « L’après-midi d’un faune » n’est pas seulement réactualisé : il est ancré dans notre époque, celle du triomphe de la solitude, où les sens n’ont peut-être jamais été autant sollicités.
La chorégraphe Dominique Brun entre alors en scène et c’est un Olivier Dubois tacheté de peaux de vache (fruit de mon imagination!) qui interprète la chorégraphie de Vaslav Nijinski. Le public rit comme si le film de Christophe Honoré trouvait son prolongement : nos tennismen semblent encore jouer. La grâce d’Olivier Dubois est troublante : ne serions-nous pas à cet instant précis des rapaces prêts à lui faire la peau ? De chaque côté, le bruit monte des gradins. Alors, pour calmer le jeu…
C’est habillé en chasseur bavarois qu’Olivier Dubois fait trembler les murs du Cloître des Celestins en hurlant sa rage, son cri d’amour. Je me penche vers lui comme le ferait un parent vers son enfant apeuré. Moment d’une profonde sincérité où l’on accueillerait bien cet adulte dans nos bras pour le rassurer. Quand la danse est à ce point charnelle, tripale, viscérale, il n’y a aucun doute : Olivier Dubois est l’un de nos plus grands interprètes.
La toile de Bakst s’effondre. La scène finale voit notre bel homme quasiment disparaître sous une tonne de fourrures. Du poil pour signifier la bête humaine qui sommeille en nous. Quatre porte-manteaux tiennent en équilibre (précaire), enveloppés de longues capes en fourrure. Comme un taxidermiste, Olivier Dubois statufie nos quatre joueurs de tennis, et met en jeu l’animal dans l’humain. Nous voilà enfin libérés d’une société qui a tout fait pour chasser l’aspect naturel de l’humain, afin de tenir droit sur nos pattes et éventuellement dans nos bottes.
Avec «Faune(s)», Olivier Dubois définit l’humanisme d’aujourd’hui : celui qui relie le corps et l’esprit, l’animal et le sociétal.Pascal Bély
www.festivalier.net

Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage.
« Faune(s)» d’Olivier Dubois, de Dominique Brun, Sophie Perez, Xavier Boussiron et Christophe Honoré a été joué le 7 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

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Au Festival d’Avignon, la nouvelle cuisine d’Alvis Hermanis.

A l’arrivée, le décor évoque une maison de poupée, et l’on pense à la pièce de Thomas Ostermeier « Concert à la carte » présentée en 2004 au Festival d’Avignon. L’intimité entre acteurs et spectateurs est immédiate, vu le crépitement des flashs d’appareils numériques. Avant le début de la représentation, « Sonia » du metteur en scène Letton, Alvis Hermanis, est déjà une attraction. Ce décor est mutique. Mythique.
Deux cambrioleurs (exceptionnels Gundars Abolins et Jevgenijs Isajevs) pénètrent dans l’appartement. Ils fouillent maladroitement et tombent sur un pot de confiture. La gourmandise prend le pas et le doigt dans la gelée, nos hommes perdent de leur superbe machiste pour jouer aux enfants. En violant son identité, l’un fait essayer à l’autre une robe puis s’assoit à table pour feuilleter l’album photo de l’absente. Tel un processus de transformation de la pierre en liquide, de l’horloge à la cellule, Sonia se réincarne. Nous sommes dans un décor des années trente, mais la pauvreté de cette femme semble intemporelle. Nous la suivons de la cuisine vers la table puis de nouveau aux fourneaux. Elle fait de beaux gâteaux qu’elle décore comme le plateau d’un théâtre de cabaret. Elle chorégraphie ses talents culinaires alors qu’elle fait danser un poulet, prêt à cuire, une bouteille dans le derrière.
Lorsqu’elle est fatiguée, elle sort sa dizaine de poupées russes qu’elle allonge sur son lit. «L’autre », finit par se goinfrer de ce gâteau et se maculer le visage de crème au chocolat. Muni de ce masque, il s’assoit pour écrire des lettres d’amour fictives à Sonia. Incarné en metteur en scène machiavélique, il lui offre le plus beau rôle de sa vie. Elle se prend au jeu et la voilà amoureuse. Toute une mécanique théâtrale entre poésie et humour se met en place jusqu’à la scène finale, où nos deux compères, retrouvant leur statut de cambrioleur, continuent leur besogne. Le libéralisme sauvage reprend ses droits.


« Sonia » est une oeuvre d’aujourd’hui. Parce qu’elle évoque l’Europe, ces peuples de l’Est qui ont été écartés de ce projet politique pendant les années de plomb du communisme. Dans cette Europe à vingt-sept, le théâtre peut tous nous rapprocher, car « Sonia » parle à chacun de nous. De pureté du sentiment amoureux, de sacrifice, d’obstination. Le théâtre d’Hermanis nous plonge dans nos premiers pas d’enfant alors qu’il n’est question que de vieillesse sur scène. C’est le corps transformé, maculé qui charrie, véhicule notre désir de vie. Le texte accompagne, mais la voix (on parle doucement dans ce théâtre là), est celle du corps.
Avec Hermanis, le moindre mouvement est à la croisée du social et de l’intime. Ce n’est plus le théâtre classique français, encore moins l’approche transdisciplinaire belge.
Le théâtre d’Hermanis, c’est cette broche représentant une colombe blanche que les cambrioleurs posent sur la table avant de partir.
Une utopie venue de l’Est.

Pascal Bély
www.festivalier.net

 Sonia”  de Tatiana Tolstaia, mise en scène d’Alvis Hermanis a été joué le 6 juillet 2008 au Fesitval d’Avignon.

  © Christophe Raynaud de Lage.