Cette semaine, j'ai assisté à quatre solos : « Érection » de Pierre Rigal au Festival de Marseille (programmé en Arles lors du festival « duos et solis » en mai dernier), Didier Théron (« Bartleby »), Yann Lheureux (« Fragments intimes ») et Hooman Sharifi (« We failed to hold this relaity in mind »).
Ces quatre solos sont interprétés par le chorégraphe. Ils n'occupent d'ailleurs pas la même place dans les festivals. À Marseille, « Érection » est programmé dans une petite salle du Ballet National loin des festivités mondaines du Parc Henri Fabre (lieu central du Festival). Cette année, Montpellier Danse positionne le solo au c?ur de son projet et offre à deux d'entre eux le cadre prestigieux de l'Opéra Comédie.
Le solo exerce un effet grossissant, telle une loupe, sur le sens d'un festival, sur le rapport entre la danse et le public, sur le lien complexe entre le chorégraphe et le danseur. Le solo peut-être considéré parfois comme une pratique autobiographique, à la limite de l'acte thérapeutique, tant pour le danseur que pour le spectateur. Si le collectif peut masquer le vide du propos (suivez mon regard?), le solo ne peut être approximatif. C'est un puissant face à face entre le danseur et nous, entre le réel et le sublime.
Yann Lheureux avec « Fragments intimes » tente ce face à face. Otage libéré d'Irak, une nuée de micros l'attend pour une conférence de presse. Entre lui et nous, c'est un affrontement douloureux qui se met en place. Il raconte son calvaire et le ponctue de quelques (rares) beaux mouvements. Yann Lheureux se réfugie derrière son dispositif scénique pour nous parler, mais cela ne marche pas. C'est parfois violent quand il fait allumer la salle pour nous questionner, telle une assemblée de journalistes. Nous devenons acteurs de sa propre pièce, sans pouvoir réagir. Coincé dans ce paradoxe, le malaise est palpable dans la salle. C'est un solo figuratif où le texte prend le pas sur la danse (ai-je envie que l'on me raconte une histoire ?). Entre lui et nous, le lien est trop distant pour que l'ensemble donne du sens. Au final, une ?uvre ratée.
À l'opposé, Hooman Sharifi, comme Radhouane El Medeb la semaine dernière, ne fait pas de l'art figuratif. Bien au contraire. Le lien est direct, comme une mise à nu. Comment lui et nous pourrions former un groupe pour retrouver l'imagination, l'empathie alors que la multiplication des images de guerre nous rend finalement de plus en plus à distance? C'est un homme imposant qui nous fait face. Il a quitté l'Iran à l'âge de 14 ans pour venir vivre en Europe. Chorégraphe d'une compagnie, il fait un break pour créer ce solo. Un tapis perse est projeté sur un écran vidéo. Il fait des gestes brusques sur une musique traditionnelle perse. Comme Yann Lheureux, il fait allumer la salle pour nous regarder, droit dans les yeux. Il n'hésite pas à nous sourire, à être ému. Mais son invitation à créer ce lien m'endort. Comme si la distance entre lui et moi était trop forte. Je ne suis pas prêt pour répondre à sa proposition, encore moins pour m'approprier son langage. Je reviendrais, car ce chorégraphe a du charisme.
Pierre Rigal, avec « Érection », réussit le face à face. À l'issue de trente minutes d'un solo époustouflant, le public ressent cette empathie, ce lien exceptionnel avec l'artiste et son oeuvre. Ils sont indissociables. Pierre Rigal parle tout autant de lui que de nous à partir d'un constat à priori simple : comment l'homme passe-t-il de la position couchée à la position debout ? Ce mouvement du corps ponctue en permanence notre vie. Pïerre Rigal le traduit avec justesse, beauté et empathie. D'un concept, il en fait un lien entre lui et nous, aidé par un fascinant metteur en scène, Aurélien Bory. Ce dernier, à partir d'un dispositif scénique basé sur des jeux de lumière, offre à Pierre Rigal un espace de créativité que Yhann Lheureux n'a pas. Mais surtout, « de l'homme couché à l'homme debout » provoque une résonance positive chez le public. Il nous invite à voir autrement ce processus que nous pensons linéaire. Le dernier tableau est extraordinaire : il se recouche en position f?tale et son image réduite est projetée sur son ventre. Le concept de Pierre Rigal est sublimé. Chapeau.
Toujours sur le terrain du concept, Didier Théron a choisi de s'incarner dans un autre, « Bartleby », personnage de Dostoïevski, tourmenté et révolté. Sur la scène de l'Opéra ? Comédie de Montpellier trône un énorme lapin en plastique. Cette présence provoque l'absurde ; elle étonne. Le contraste entre l'animal et Bartebly est si fort que je dois aller à un autre niveau pour me projeter dans son univers. Ce lapin, tel un objet flottant, nous aide à entendre la révolte de Bartleby d'autant plus que Didier Théron le porte avec un charisme impressionnant C'est ainsi que ce solo se révèle être un bel apprentissage pour le public à ressentir la danse comme un langage.
Montpellier Danse, en plus d'avoir ouvert son espace aux pays méditerranéens, a permis au solo d'avoir une jolie place. Comme si tout était lié : pour s'ouvrir à la différence, le public est invité à travailler le lien avec le danseur. C'est une jolie métaphore et un beau projet.
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La présence de Flamand au Festival de Marseille pour « Métapolis II » est donc une occasion de l'approcher avec de meilleures intentions. Peine perdue. Je n'aime pas cette danse-là. Elle ne m'apporte strictement rien. La forme pourrait évoquer de la danse contemporaine. Mais c'est un trompe l'?il. Le fond est classique, conventionnel : c'est un enchaînement de regards sur la ville qui s'empilent les uns sur les autres, sans lien, sans message global. Où nous emmène-t-il dans cette ville qu'il imagine ? Le sait-il lui-même ? Les rapports humains sont réduits à leur plus simple expression, à l'image des mouvements du corps qui empruntent toujours les mêmes codes. Leur espace est d'autant plus limité que le groupe étouffe toute créativité. Les trois ponts qui circulent sur scène limitent la fonction des danseurs à des machinistes. C'est caricatural et sans réflexion globale. Les danseurs sont finalement des faire-valoir et leur corps font radicalement écran entre la vision de la ville de demain et nous. Les applaudissements sont polis, car nous sommes entre gens de bonne compagnie. Je ne suis pas rassuré: Marseille pourrait ressembler à ce « Métapolis II », ville clivée par excellence et sans âme. Le Festival de Marseille a de beaux jours devant lui, à moins que?
Tout commence par une attente de dix minutes que le public semble ne pas supporter. Un magnifique jeu de lumières baigne la scène agrémentée d’un bruit d’une forte pluie tombant sur un toit. Cette alchimie m’évoque le repli sur soi, le travail intérieur, la découverte de nouveaux sens. Là où certains spectateurs manifestent leur angoisse du vide, je ressens la présence de l’artiste dans ce chaos. Progressivement, une silhouette se dessine à travers la vidéo. Je ne vois pas bien s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. L’ambiguïté est jubilatoire. Puis, par une étrange transformation, là voilà, humaine, qui arrive lentement sur la scène en hochant la tête. Sa venue rassure le public. Elle est suivie par deux danseuses, habillées à l’identique, dansant les mêmes mouvements. On croirait deux clones. C’est alors que le trio se met en place pour danser une valse où les gestes se répètent (rondeur, révolte, cassure). Ce langage du renouveau, du « refaire surface » est pauvre, presque anesthésiant. L’ennui me gagne. Cela ne m’évoque plus rien. À qui s’adresse-t-elle ? D’une posture de repli, Nacera Belaza nous offre une ouverture à partir d’un langage fermé. C’est comme si elle voulait expliquer la psychologie avec la musique des chiffres ! Je ressens progressivement un malaise…je ne me sens pas à ma place, comme un voyeur.
Au studio des Ursulines, Rita Quaglia et Lluis Ayet sont sur scène pour évoquer leur voyage à Jérusalem en compagnie d’un photographe. Comment faire part de ce voyage en articulant la danse et la photographie et faire ainsi ressentir toute la complexité de cette ville ? Comment relier le langage du corps avec celui des images ? Ce joli défi esthétique est en parti réussi. La scénographie est de toute beauté lorsque les deux danseurs bougent des panneaux où sont projetés des éclats de photo. Cette mise en espace nous immerge dans une ville fragmentée, où les communautés se cloisonnent et n’arrivent plus à communiquer. La bande-son facilite l’immersion. Je ressens le talent d’Annie Tolleter, scénographe, déjà remarquée dans 

Wolfgang Amadeus Mozart et Emanuel Gat ont donné rendez-vous au public du Festival de Marseille pour « K 626 ». Celui-ci, comme tout spectacle, s'inscrit dans un contexte : le match de football France ? Espagne en huitième de finale, un public composé au quart de salariés invités par leur entreprise à se cultiver un peu entre deux brainstormings sur l'évolution du marché des chemises bioniques. Si le premier perturbe un magnifique solo par ses hurlements déchaînés, le deuxième n'hésite pas à regarder le match sur son portable et à applaudir mollement pour ne pas déplaire au chef.
Pourtant, « K 626 » fera date dans l'histoire de la danse tant cette chorégraphie ne ressemble à aucune autre. Elles sont dix, venues d'Israël, habillées comme des petits soldats à qui l’on demande trop tôt de faire la guerre. Leurs petits pas, leurs bras, leurs doigts donnent à ce requiem imposant, sa part d'intimité. Avec elles, l'infiniment petit devient grandiose. Loin d'être à l'unisson, elles peuvent jouer leurs différences, mais font référence au groupe, quoiqu'il en coûte. Elles ne sont jamais seules. Il faut les voir faire ces haies d'honneur pour se relier entre elles, pour ne pas se perdre. Le groupe porte des valeurs que nous ne connaissons pas ici : elles peuvent danser l'hésitation ; rien n'est certitude, tout est créativité même dans la précarité. Cette chorégraphie est alors un refuge où l'on se serre pour se protéger, à l'image de cette mouette effrayée par les clameurs de la ville qui vient chercher la sécurité parmi nous? Leur corps évoque toutes ces valeurs : nous sommes à l'opposé de l'esthétique européenne où l'apparence fait parfois illusion. Ici les corps parlent d'Israël : loin d'être seulement modelés par l'effort physique, ils portent en eux la peur et le désir infaillible de danser alors que le terrorisme menace. J'ai la douce sensation qu'Emanuel Gat a chorégraphié leur histoire comme un peintre le ferait avec son modèle préféré. Rare.
J'ai fait un voyage. Dans le site merveilleux de Châteauvallon, trois musiciens, un chanteur pakistanais, deux sculptures de silicone sont au sol. Ils sont deux chorégraphes pour danser « Zero Degrees » : l'un est indien, Akram Khan, l'autre est l'enfant prodige belge des Ballets C. de la B., Sidi Larbi Cherkaoui. Avec eux commence le voyage du Bengladesh vers l'Inde. Tout à la fois semblables et différents, ils dansent leurs mimétismes, leur conflit, leur réconciliation. C'est un voyage dansé comme un conte. Nous sommes alors des enfants capables d'observer leurs péripéties et la complexité des relations entre deux hommes qu'a priori tout oppose. Ce conte débute par une histoire de passeport à l'aéroport, racontée simultanément à deux voix. La musique des mots m'emporte et la danse de leur bras métamorphose nos deux voyageurs en oiseau de paix. Je m'envole avec eux parce que cela fait bien longtemps que je ne suis pas redevenu un enfant. Par enchantement, les corps se transforment en lampe d'Aladin, jusqu'à me faire tourner la tête, étourdi par tant de beauté.
Sidi l'européen nous fait un numéro de magie à même le sol : je ne le reconnais plus, tout à la fois oiseau, clown, chat. J'ai envie d'applaudir, d'en redemander. Mais j'ai peur : dans le train qui les emmène je ne sais où, un homme va mourir et sa femme ne peut l'aider. Ils hésitent à faire quoique ce soit, de peur d'être accusé par la police de l'avoir tué. Pris dans le paradoxe, mes deux anges dévoilent leur part d'ombre. Tout était trop beau, mais rien n'est perdu. Il est toujours possible de faire avec, même si c'est lourd à porter, à supporter. Le lien est là, il se construit avec ces parts d'ombre. Le voyage ne se fait plus à deux, mais à quatre. Chacun tire son double comme l'on tirerait la couverture à soi. On compte l'un sur l'autre pour s'alléger, pour danser de nouveau à deux, loin de ses lourdeurs culturelles et éducatives. Ils ne peuvent plus rien faire l'un sans l'autre. Le public d'enfants attend d'eux qu'ils continuent le voyage: cette danse est tellement sublime même avec deux mannequins blancs qui portent le noir. Petit à petit, les corps se figent, l'un est au sol, l'autre debout. Il faut porter, tirer, pour continuer le voyage. Il vaut mieux laisser les parts d'ombre ici pour poursuivre. Les enfants silencieux dans les gradins en feront quelque chose. Sidi et Akram disparaissent au fond ; enfant, je les accompagne. Adulte, j'ovationne pour relier « Zero Degrees » à mon corps, à mon devenir.
Comme beaucoup d’Aixois, j’attendais depuis longtemps cet événement : « Cézanne en Provence » au Musée Granet. Pour éviter une foule prévisible, j’avais réservé en nocturne à partir de 21h. Le contexte autour de cet exposition est loin d’être léger. Le concert de musique classique prévu au pied de la Sainte Victoire le 5 juillet en hommage à Cézanne affiche complet alors que les places pour les Aixois sont réduites à la portion congrue. La colère dans la population est perceptible, reprise par l’opposition municipale qui n’en attendait pas tant pour décrier la gestion pour le moins hasardeuse de cette manifestation. Les premiers jours de l’exposition furent chaotiques (absence de signalisation dans les salles, visiteurs perdus, manque de matériel audio, …). Pour ma part, j’ai eu quelques difficultés avec le site internet de «