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Radhouane El Meddeb, c’est mon paradis.

Article écrit lors du dernier festival Montpellier Danse.

Le plateau est en soi une oeuvre. Aux rideaux noirs échoués sur la scène, répondent de longs morceaux de tissus sombres qui pendent sans toucher le sol. L’ensemble forme une architecture en plusieurs dimensions où les coulisses font décor. Le vent d’une révolution a dû souffler pour que cela soit si ouvert et conservé. L’espace paraît d’un coup immense et fait place nette à la danse tout en lui laissant sa part de mystères faits d’apparitions et de disparitions. Cette mise en jeu du dévoilement est sublime. La scénographie d’Annie Tolleter me guide déjà vers la danse de Radhouane El Meddeb et Thomas Lebrun: avec elle, le décor entraîne le regard dans un mouvement spiralé où le corps du danseur surgira des coulisses pour habiter peu à peu la scène et nous conduire vers l’indéfinissable.

Radhouane El Meddeb arrive discrètement: son visage se cache sous le voile du rideau. Son corps semble prêt à en découdre, comme lors d’un accouchement où il faut couper le cordon pour renaître. Il se tient droit, de biais. Est-il un unijambiste qui retrouvera tout le sens de ses membres tandis que les clameurs du concert d’Oum Kalthoum donné au Caire en 1966 font trembler les murs du théâtre.  Est-il cette femme voilée qui se dévoilera, parce que ce chant-là vous déleste à jamais de nos oripeaux ?

Sous leurs pieds, le paradis  de Radhouane El Meddeb  & Thomas Lebrun

Radhouane El Meddeb est prêt pour s’engouffrer dans les plis du plateau joliment dessinés par Annie Tolleter.
Radhouane El Meddeb est prêt pour entrer dans la danse où l’homme va peu à peu se féminiser, embrasser la peau musicale d’Oum Kalthoum et y recevoir la force du baiser de la résistance.
Mais d’abord, il se doit de tout apprivoiser. D’occuper cet espace scénique où seul le chant résonne. En le parcourant par petites touches, le corps y trouve sa place. Avancer, s’arrêter. Se tenir droit. Et tendre un bras, puis deux, pour y chercher la force qui met tout le corps en mouvement. Ce bras tendu vers la terre, vers l’enfant, vers la vie que procure tout geste qui sort de soi. Oui, c’est cela. Radhouane El Meddeb sort de lui-même. À chaque instant où il s’arrête, il est statue. Il est peinture. Il est l’art qui apparaît. Peu à peu, le plateau ressemble à la salle d’un musée qu’il explore la nuit à la recherche des âmes: celle des artistes, celle des femmes. Celle de l’humanité. Il court, le regard ailleurs. Il danse l’égarement quand l’art nous transcende. Il marche à quelques mètres de moi: j’y suis. Je ne le quitte plus. Le corps de Radhouane El Meddeb est ma nacelle où je me déleste des poids. De cette exploration, il métamorphose la scène : les rideaux le dévoilent. Sa danse me voile. Le plateau est une mer de courants artistiques où l’art chorégraphique rencontre le chant d’Oum Kalthoum.

C’est l’entracte. Pas celui auquel nous sommes habitués. Ici, il est l’espace du recommencement pour que Radhouane El Meddeb, sous l’épais tissu du rideau, se voile à nouveau. Il semble porter le masque d’un personnage échappé de la Commedia dell’arte. Ses mains dansent: les bras ont trouvé leurs gestes! Peu à peu, il est double: je perçois le chorégraphe Thomas Lebrun avec lequel il cosigne ce magnifique «Sous leurs pieds, le paradis». Il est deux pour tout oser et faire la révolution : la danse se chante, le chant se danse parce que le changement est féminin à l’image de son visage qu’il transforme de ses mains de fée!  Pour «occuper» la «place», Thomas El Meddeb ose tout jusqu’à la transe où, couché, émergent les plis de son ventre, territoire des révolutions. Il ose la fusion avec Oum Kalthoum pour se séparer et la rejoindre. Radhouane Lebrun se métamorphose peu à peu en icône de l’évolution des corps pour une émancipation du mouvement. La scène semble balayée par le souffle de la liberté, traversée par un chant qui puise dans l’énergie des âmes «torturées» la force de vivre.
Radhouane et Thomas sont maintenant au paradis. Sous leurs pieds, le théâtre met les voiles vers les contrées où la danse est un chant de la démocratie.
Pascal Bély – Le Tadorne.
«Sous leurs pieds, le paradis » de Thomas Lebrun et Radhouane El Meddeb à Montpellier Danse du 1er au 3 juillet 2012.
 
Radhouane El Meddeb sur le Tadorne:
La danse du ventre. Ne me jette pas. A Montpellier Danse, Radhouane El Meddeb déroute.