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La France des mouchoirs jetables.

Les Petits mouchoirs“, le troisième et dernier film de Guillaume Canet va faire un carton.

Je ne suis ni Madame Irma ni Madame Soleil mais “Les Petits mouchoirs” sera un des grands succès public de cette année finissante. Pourquoi? Comme le dirait un intervenant du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes dont j’ai récemment reçu les préceptes : pour l’effet miroir. Parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse!
La volonté de Guillaume Canet est de permettre au spectateur de se reconnaître parmi les personnages dotés de travers sensés être ceux de l’actuelle  génération de trentenaires. Dans le même temps , le film doit délivrer un effet cathartique : « oui nous reconnaissons être individualistes et égoïstes, mais une fois les situations les plus graves arrivées, nous nous repentons de nos pêchés ». Allez pleurons tous ensemble un bon coup pour oublier nos nombrils, et félicitons-nous d’être aussi lucides!
Pour  nous guider dans ce chemin vers l’absolution Guillaume Canet a la bienveillance de déclencher des signaux musicaux à chaque moment jugé clé pour que l’on sache bien quand rire ou s’émouvoir. L’autre effet bénéfique de cette bande-son omniprésente est de nous débarrasser de l’éventuelle culpabilité de voir un vulgaire film tel que “Camping” ou “Le coeur des hommes’. Ici nulle mauvaise conscience, les acteurs sont renommés voire oscarisés (Marion Cotillard pleure très bien) et la B.O. est branchée à souhait.
Pourquoi suis-je donc en colère? Je n’ai pas été jusqu’à pleurer comme mes compagnons de séance, mais je l’avoue ce film m’a parfois fait rire. Pour être exacte, il m’a fait ricaner. Dans “les Petits mouchoirs”, nous nous retrouvons pour ricaner ensemble des déboires des autres : de l’un qui est furieux, car des fouines l’empêchent de dormir, d’un autre qui demande sans cesse des conseils pour savoir quoi répondre aux textos de sa bien-aimée et d’une telle qui visionne des sites pornos pour évacuer sa frustration. Mais ricaner d’eux ce n’est pas mal puisque les autres c’est aussi nous-mêmes. La scène qui résume le mieux est celle des héros partis faire du ski nautiques qui hurlent de rire en voyant leur bonne copine pleurer de rage parce que le bateau la traîne trop vite. Ici mon « sens de l’humour » a manqué et je n’ai plus ri.
A cette  scène métaphore je ne peux m’identifier : ricaner quand l’autre pleure de rage. Je peux d’autant moins quand je pense que les Français vont s’y ruer… Je me rappelle un exercice de portrait chinois fait dans le cadre de cette formation avec l’intervenant du CFPJ : « Si votre organisation était un animal, qu’est-ce que ce serait ? S’il était un personnage célèbre ?, etc. Donc d’après vous, votre organisation est éléphant, mais vous voulez qu’elle soit cheval. C’est ça ? ». Et si la France était un film, elle serait “Les petits mouchoirs“. C’est ça ? 

Pourquoi ne pas s’identifier à des sans-abri congolais atteints de paraplégie qui espèrent s’en sortir grâce à la musique?  Sans rire cette fois. Et pour de vrai puisque je parle de “Benda Bilili”! le documentaire de Renaud Barre et de Florent de La Tullaye sorti le 8 septembre sur le groupe éponyme qui a conquis le monde à partir des bidonvilles de Kinshasa. Filmés dès 2004 à l’occasion d’une rencontre inopinée dans la rue, ces damnés de la terre nourrissent un optimisme et une détermination sans faille pour parvenir à une vie meilleure. Comme Les petits mouchoirs, le film fait tour à tour rire et pleurer, mais sans misérabilisme ni aucune ficelle de mise en scène. Les Benda Bilili portent le film comme ils abordent la vie, avec espoir, gaîté et talent.
« Donc pour vous la France c’est Les petits mouchoirs mais vous voulez qu’elle soit Benda Bilili!, c’est ça ? ».
Elsa Gomis – www.festivalier.net

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Marseille, ville sous plastique.

Mercredi 20 octobre 2010. 19h. Les ordures envahissent Marseille. Le mistral fait voler les sacs plastiques. La crise politique, sociale, morale est là, nulle par ailleurs. En marchant vers le  Théâtre des Bernardines, je ressens la révolte, mais aussi la soumission des Marseillais. Comme un cri mortifère.
« Tous tant qu’ils sont » de Suzanne Joubert, mise en scène par Xavier Marchand pourrait être une pièce sur Marseille tant les similitudes sont troublantes. Il y a ces sacs plastiques de toutes les couleurs posés sur le plateau, que le vent aurait transportés jusqu’ici. Comme des ballons crevés par des enfants qui n’y croient plus. Il y a ce ventilateur à droite qui envoie un peu d’air pour respirer. Car savez-vous que l’on étouffe parfois à Marseille? Il y a «la petite» (jouée magistralement par Édith Mérieau), employée du supermarché «l’abondance sacrifiée», dont le slogan publicitaire s’entend comme un rêve brisé par tant de politiques marseillais sans vision.

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Elle est assise et découpe délicatement des sacs plastiques qu’elles transforment en robe ou en tablier. Car à Marseille, la misère se recycle…La petite (comme l’appelle sa mère) est à la remise, au-delà d’un rideau de lamelles de plastiques. C’est l’envers du décor, celui que l’on ne voit jamais. C’est Marseille derrière sa bonne grosse mère, son vieux port de carte postale, son foot véreux.
Elle découpe et raconte. À elle seule, elle convoque sa mère, sa soeur, ses collègues de boulot, sa chef, le mari de la chef de secteur,…Ils s’appellent André, Marc, Jean-Louis, Mélanie, Benoît, Glenn, Marie- Thé, Simon ; autant de prénoms «anonymes», de cache misère (on peut se prénommer Benoît et être porto ricain). Marseille et toutes ses petites…Ses mises au rebut.
Ils sont tous là, en elle, poussés dans la remise, réunis pour une «orgie» (dixit la chef) de paroles pour qu’à force d’être malaxés, rires, colères, peurs s’incarnent dans la figure de l’actrice. Car la petite rêve des planches et s’invente une dramaturgie à ses pauses perdues. Par l’entremise de la porte, il lui arrive même de voir un bouc. Émissaire à coup sûr. Les collègues s’engouffrent dans la brèche pour se payer sa tête. Et elle parle, fait dialoguer l’un avec l’autre, pendant que son tablier de plastique crée des trous dans le tissu social.  Et elle tisse tandis que les trajectoires des membres de cette communauté invisible se télescopent dans cet abri de guerre et que les klaxons de la rue adjacente aux Bernardines se font entendre. À Marseille, les théâtres sont aussi des lieux de repli.
« Tous tant qu’ils sont », n’est pas la France d’en bas, mais plutôt celle des frères et soeurs dont la mère fricote avec un drôle de type pour que les gosses aient leur dose d’abondance. C’est la France de toutes ces « petites » qui ne se laissent pas s’approcher facilement. On leur a déjà fait le coup de la fracture sociale et du « travailler plus, pour gagner plus ». Elles n’ont pas plus confiance dans le théâtre qui peine à décrire la réalité sociale par la troupe, mais qui sait envoyer une florissante salve de mots surtout quand l’actrice a un beau répondant. On  l’imagine déjà sur les scènes flamandes, là où l’on joue avec le corps pour faire saigner les mots, là où le collectif gueule  pour qu’ils la ferment.
Ce soir, la petite ne pourra pas quitter l’abondance sacrifiée. Les immondices dans la rue bloquent la sortie. Et après 21h,  n’il y a même plus de métro .
Pascal Bély – www.festivalier.net

« Tous tant qu’ils sont » de Suzanne Joubert, mise en scène de Xavier Marchand, au Théâtre des Bernardines de Marseille du 15 au 20 octobre 2010. 

Crédit photo: Fabrice Duhamel.

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Vidéos

Flashmob contre la peine de mort: la vidéo pour la vie.

Le 10 octobre 2010 à Paris, le chorégraphe Philippe Lafeuille avec le collectif “Ensemble contre la peine de mort” organisait un flashmob sur le parvis du Centre Georges Pompidou. Un vidéaste “Matray” a filmé les répétitions de ce travail.

Le résultat est profondément touchant: il accompagne la chorégraphie percutante de Philippe Lafeuille par des mouvements de caméra qui amplifient le non-sens de la peine capitale encore pratiquée dans de nombreux pays. Ici une danse engagée, promue à partir de nos intelligences connectées, rencontre la vidéo. Ainsi, internet joue à fond son rôle de média horizontal: celui d’amplifier les processus créatifs. Nous n’en avons pas fini avec cette révolution  numérique qui réinvente les formes de l’engagement politique.

Pascal Bély – www.festivalier.net.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS PAS CONTENT

A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise.

Le Théâtre du Merlan est une Scène Nationale, dirigé par Nathalie Marteau. Situé au nord de la ville dans le centre commercial Carrefour, cet établissement culturel peine depuis quelques saisons à s’implanter dans le quartier comme en témoignent ses nombreux « vagabondages » et l’incohérence de sa programmation (voir l‘article à ce sujet du 12 juin 2009).

L’expression « vagabondage », empruntée au vocabulaire des travailleurs sociaux pour désigner ceux qui n’ont plus de domicile fixe, sert la politique de communication de ce théâtre.  Le territoire est ici vu comme un terrain de jeu où l’errance fait sens. Chacun appréciera. Le Merlan vagabonde, se «délocalise » à la Friche Belle de Mai, au muséum d’Histoire Naturelle, au Théâtre du Gymnase. Il y installe parfois des chapiteaux (malgré les promesses, à sa réouverture suite à des travaux, d’en faire “une maison ouverte commune à tous, un camp de base”. A écouter l’interview sur France Info). Qu’est-ce qui justifie socialement et artistiquement de tels déplacements que l’on suppose fort coûteux ?  Le cynisme va jusqu’à programmer le collectif Berlin (qui propose des portraits de capitales à l’articulation du documentaire et du théâtre) loin des quartiers nord alors que l’on serait en droit d’attendre du Merlan qu’il relie les habitants au reste du Monde?
Ce théâtre connaît une deuxième difficulté, plus structurelle : sa programmation. Certains, par paresse intellectuelle, la jugent éclectique. Programmer « Description d’un combat » de la chorégraphe Maguy Marin en 2009 puis une « Semaine de la magie » en octobre 2010 (« magic week »…sic), serait une preuve d’ouverture et de curiosité. Sauf que cette diversité est au service d’une politique de communication (le Merlan est «branché») mais dessert tout projet visant à créer des liens durables avec les habitants. Comment leur proposer des traversées dans une programmation qui érigent des murs au lieu de passerelles, qui multiplient les esthétiques pour finalement composer un labyrinthe? Comment guider le  public en lui offrant coup sur coup danse contemporaine et formes spectaculaires ? Là où la danse ne fait pas spectacle, la magie s’appuie sur les ressorts du spectacle (elle fait même un retour en force à la télé cf.« Vivement dimanche » sur France 2). À la culture du divertissement qui finit par pervertir la société française, une Scène Nationale devrait proposer une programmation certes diverse, mais au service d’une vision. Comment le public peut-il entrer en communication avec une équipe artistique qui lui enlève toute possibilité de s’émanciper de la société du divertissement ?

Deux difficultés qui bien évidemment produisent des incidents. Le premier eut lieu en février 2009 avec le chorégraphe Alain Buffard. La programmation de «  (Not) a love song»,  déconnectée d’une politique globale de relation avec les publics, a provoqué une « crise » avec les spectateurs. Dénonçant les rires au début de la représentation, Alain Buffart fit expulser de la salle un groupe de jeunes sans que la directrice du Merlan n’y trouve rien à redire…(à lire le compte-rendu du journal La Marseillaise).
Le deuxième incident, bien plus inquiétant, a eu lieu début octobre 2010, après la programmation pour deux soirées de P.C. Sorcar Jr., « la plus grande figure de la magie orientale ». Face au fiasco artistique, Nathalie Marteau propose de rembourser les billets au public mécontent (voir le courrier en fin d’article). Dans sa lettre, elle précise que le risque est partagé (je suis d’accord sur ce point: toute programmation implique une prise de risque du programmateur et du spectateur), que le spectacle génère de «la frustration» (c’est souvent la fonction de la création contemporaine de ne pas répondre aux attentes !). Et que propose-t-elle ? Un remboursement comme le ferait un commerçant (“Satisfait ou remboursé”)! Pourtant, après la crise de l’intermittence, cette direction affirmait que « la culture n’était pas une marchandise”. Le cynisme est à son comble lorsque pour s’excuser, Nathalie Marteau reporte la faute vers les artistes (ils ont eu carte blanche) et se pose en victime au même titre que les spectateurs. Pour devancer la critique, elle disqualifie les artistes, s’exclut du processus, dilue la responsabilité et se repositionne à partir d’un geste « risqué » pour les finances publiques, mais tellement généreux. Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Quelle vision a donc le Merlan de sa relation avec les spectateurs pour proposer ce remboursement ? Comment s’articule-t-il avec le travail des chargés de relation avec le public qui travaillent probablement dans la durée, l’inclusion des habitants dans un lien à la culture non marchande?

Le remboursement est la conséquence d’une politique de communication ; en aucun cas, d’un projet culturel global.
Le Merlan justifie-t-il son label de Scène Nationale ? Remplit-il au moins trois missions :
–  “s’affirmer comme un lieu de production artistique de référence nationale, dans les domaines de la culture contemporaine
–   organiser la diffusion et la confrontation des formes artistiques en privilégiant la création contemporaine,
–   participer dans son aire d’implantation (voire dans le Département et la Région) à une action de développement culturel favorisant de nouveaux comportements à l’égard de la création artistique et une meilleure insertion sociale de celle-ci”
Ces trois missions sont incompatibles avec un lien “producteur – consommateur” entre le théâtre et le public. Elles requièrent une relation respectueuse, permettant à chacun d’évoluer au grès des propositions exigeantes, pour s’éloigner des formes spectaculaires qui figent.
Le Merlan est aux mains de communicants. Il est grand temps de le doter d’un projet global. Loin d’être une formule magique, c’est une exigence.

Au vagabondage, préférons la divagation…
Pascal Bély – Le Tadorne

Lettre de Nathalie Marteau aux spectateurs:

Madame, Monsieur, Chers spectateurs,

Le spectacle vivant est une chose fragile, pas toujours prévisible, et qui peut même parfois nous décevoir. Cela fait partie du risque, que nous partageons avec vous, public.

Mais les soirées indiennes des 8 et 9 octobre de P.C. Sorcar, proposées par la compagnie 14:20 dirigée par Raphaël Navarro, à qui nous avions donné carte blanche, ne furent pas à la hauteur de ce qui avait été annoncé.
Nous reconnaissons avec vous que les 15 minutes de magie présentées ne font pas un spectacle, et face à cette situation exceptionnelle, nous nous engageons à rembourser toutes les personnes qui en feront la demande auprès de la billetterie au 04 91 11 19 20 (du lundi au vendredi de 13h a 18h). 
Nous nous adressons particulièrement à ceux qui venaient pour la première fois au Merlan et nous espérons qu’ils n’en resteront pas à cette désagréable impression de frustration.
Toute l’équipe du Merlan se joint à moi pour vous souhaiter de belles soirées à venir et restons à votre disposition.
Nathalie Marteau, directrice”

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LE GROUPE EN DANSE Vidéos

A Marseille, nos rêves dansants?

«Ce n’est pas de la danse, car ils ne bougent pas». Combien de fois ai-je entendu cette critique à la fin de tant d’oeuvres chorégraphiques dont celles de Maguy Marin? A plusieurs reprises, j’ai tenté la réponse : «l’immobilité physique peut créer le mouvement si le corps turbulent de l’artiste donne la parole au spectateur». Flop ou trouble ! Mais au-delà des arguments, c’est notre représentation du changement qui est en jeu : le mouvement visible, immédiat dont nous serions observateurs, et celui invisible à l’oeil nu, mais où la communication nous inclue comme co-créateur. En programmant «While we were holding it together » de la chorégraphe croate Ivana Müller à la Friche Belle de Mai, le Festival Actoral et Marseille Objectif Danse font oeuvre de pédagogie dans une ville où la quasi-disparition de la danse pose un réel problème d’accès à un art qui fait lien, quoiqu’on en dise…

Imaginez donc cinq danseurs, dans des postures différentes (voir la vidéo) dans une apparente  immobilité. Assis, nous pourrions nous lever et déambuler sur ce plateau (sale…jusqu’à quand la ville de Marseille va-t-elle continuer à accueillir les artistes dans ces conditions?) pour une visite de musée, à contempler les tableaux, à jouer à cache-cache derrière les statues et se perdre dans le grenier…À cinq, ils dessinent nos traits de personnalités; ils sont les balises de nos chemins sinueux; ils incarnent notre désir de diversité pour communiquer. À cinq, ils « mouvementent »…

À peine la pièce débutée que les analogies se bousculent. Je suis déjà en déplacement. À tour de rôle, chacun donne le contexte («J’imagine que nous sommes cinq bourgeois à Marseille», «J’imagine que nous sommes un groupe de rock»). Et ainsi de suite. Le décalage entre la posture physique et le verbal provoque le rire et chacun de nous joue peut-être au chorégraphe pour prolonger le contexte! Notre regard créé le mouvement d’autant plus qu’Ivana Müller est de la partie avec la bande sonore (une partie de tennis, puis des chants d’oiseaux) et un jeu de lumière (apparitions et disparitions provoquent des changements de place, des inversion de rôles). La danse est là pour la mobilisation générale des sens! Peu à peu, les paysages s’enchevêtrent. Il n’y a pas d’histoire à proprement parler, mais un contexte qui nous permet de relier les situations entre elles. Ce contexte naît de la relation qu’Ivana Müller réussit à créer avec les spectateurs. Elle nous guide à percevoir la danse à partir d’une posture sociale (chaque danseur peut incarner un statut, un métier, un lien à la culture, une éducation, un genre) et nous donne la possibilité de créer le propos politique. N’est-ce pas là, une des fonctions de la danse contemporaine? Faire politique, loin des effets du spectaculaire qui prennent la parole à notre insu. 

Arrive alors le moment où les danseurs disparaissent. Nous voilà seuls, mais unis. Le plateau vide fait place à notre désir de danse. Nous sommes autonomes. Je me retourne avec une envie d’échanger avec les spectateurs sur nos chorégraphies. Nous sommes déjà dehors.

À ce moment précis, je rêve que les lieux de culture soient des espaces de communication. J’aspire à ce que la parole du spectateur se mette en mouvement.

Parce que c’est politique.

Pascal Bély – www.festivalier.net

«While we were holding it together » d’ Ivana Müller au Festival Actoral avec Marseille Objectif Danse les 7 et 8 octobre 2010.

Crédit photo: Yi-Chun Wu.

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Le goût du risque.

Dans la feuille de salle du spectacle de Toshiki Okada, un bandeau blanc où est écrit : «  il faut prendre le risque de la création. Alain Crombecque(1).Merci Alain. L’équipe du Théâtre de Gennevilliers ». Étrange coïncidence. Lundi dernier, lors de la rencontre bilan avec les directeurs du Festival d’Avignon, une jeune spectatrice lança « je vous remercie de mettre le spectateur en état de risque ». Probablement une enfant de Crombecque…

Je connais Toshiki Okada. Je l’avais découvert au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en 2007. Depuis, je ressens le risque à chacune de ses créations. Son langage théâtral ne correspond à aucun courant. A la sortie de «We are the Undamaged Others», les mots pour évoquer ce que j’ai vu ne viennent pas. Mon corps est en tension. Et pourtant, j’aurais tant de choses à dire, à écrire. Mais cela ne sort pas. Je pourrais faire un geste, reproduire un mouvement. Là, dans la rue. Juste pour l’inscrire dans ma mémoire, le prolonger au dehors, dans la ville. Mais je n’ose pas. On pourrait me faire enfermer.

Toshiki Okada opère le miracle: celui d’avoir déplacé le spectateur de la scène vers un espace quasiment hallucinogène, celui où se joue ce qui ne se voit pas. Pour cela, les acteurs décrivent à tour de rôle des faits sur  la vie sans entrave d’un couple. Leur espace de jeu ne dépasse pas quelques mètres carrés. À la minute prés (avec horloge au mur et minuterie dans les mains de la narratrice), tout est cadré: le voyage en bus du travail à l’appartement ; l’appartement ; le rêve d’un appartement dans une tour de vingt-cinq étages ; l’amie que l’on invite ; faire l’amour ; le coucher. N’imaginez même pas un décor IKEA. Ici, c’est un gros cube blanc, inamovible. L’éclairage creuse sa matière pour en faire un écran de projection où la réalité des faits se cogne à la psychologie des personnages et leur environnement social. À tour de rôle, les acteurs gravitent autour d’un centre de gravité (un couple, avec tous les attributs du bonheur, mais à la limite du drame conjugal) qui finit par nous faire plonger dans un ailleurs où la poésie des corps est l’unique langage, où la réalité n’existe qu’à partir de notre regard.

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Ce cube blanc est la coquille vide du bonheur, « alibi de la société consumériste ». Mais elle se fissure par l’assaut des corps qui s’appuient sur elle pour chorégraphier ce qui ne se dit pas. Elle est là pour que les mots se cognent et reviennent vers le corps. Pour que le sens reprenne ses droits. Le spectateur est alors plongé dans plusieurs niveaux de lecture : les faits qui posent le contexte, les corps qui jouent la relation, la mise en scène qui parle le langage du social. C’est à perdre la tête pour fixer et lâcher. C’est à se perdre dans les replis des corps pour y chercher et trouver la fracture qui rendrait le bonheur de ce couple assez supportable pour qu’il ose enfin lui donner «chair».

C’est ainsi que peu à peu, le théâtre chorégraphié de Toshiki Okada nous tend le miroir de notre profonde vacuité à parler du bonheur pour ne rien en dire tandis que nos corps malheureux caressent l’espoir qu’une utopie vienne créer le mouvement des possibles. Pour en finir avec ces tours de vingt-cinq étages sans ascenseur social d’où l’on ne voit même pas l’horizon.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« We are the Undamaged Others » de Toshiki Okada au Festival d’Automne de Paris et joué au Théâtre de Gennevilliers du 7 au 10 octobre 2010.

Crédit photo: © Nobutaka Sato

 (1) Alain Crombecque a été directeur du Festival d’Avignon de 1985  à 1992 puis du Festival d’Automne de 1993 jusqu’à son décès à l’automne dernier.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon : finalement, c’est la bonne direction.

C’est une voix qui résonne dans la salle Benoit XII : “je vous remercie de mettre le spectateur en état de risque”. Cette belle phrase est adressée à Hortense Archambault et Vincent Baudriller, actuels directeurs du Festival d’Avignon, dont le mandat se termine bientôt. À ce moment précis, nous sommes quelques-uns à ressentir ce qu’il nous est arrivé l’été dernier. Ces deux-là nous propulsent à chaque édition dans le risque et l’instabilité. Ils «accompagnent» le travail de certains spectateurs (dont votre serviteur) à se confronter aux formes contemporaines de l’art, au langage théâtral, loin du clivage entre texte et corps. Le public a beaucoup progressé si l’on se réfère au succès rencontré par les chorégraphes et les performeurs de l’édition 2010. Depuis 2004 (date de l’arrivée du binôme actuel), Avignon est devenu “le” festival de création contemporaine comme se plaît à le rappeler un spectateur lorsqu’il fait référence au dernier spectacle de Warlikowski chahuté par le public parisien (« ça, c’est un spectacle pour Avignon !»).

Mais ce soir, pour cette soirée bilan, une partie du public a besoin de (re)jouer sa régression infantile. Il y a toujours ceux qui regrettent Jean Vilar (Vincent Baudriller a raison quand il dit:«vous ne retrouverez jamais une mise en scène de Jean Vilar», « le théâtre est toujours un art du présent »). Il est donc beaucoup question de « Richard II », joué dans la Cour d’Honneur. Soit pour vanter la traduction de Frédéric Boyer (une spectatrice nous fait un joli cours à ce sujet précisant que «traduire, c’est aussi créer»), soit pour dénoncer l’ennui de la mise en scène. Mais derrière ce reproche, toujours le même regret : Vilar est mort ! Jusqu’à la sentence d’un spectateur : «vous ne savez pas doser entre théâtres classique et contemporain !».
Puis vient toujours le moment d’opposer le « in » et le « Off » (Hortense Archambault a raison quand elle dit : «ce n’est pas le même projet artistique»). ll y a aussi ceux qui regrettent le froid dans la Cour ou qu’il n’y ait pas de sanisettes dans les rues. Certains spectateurs s’inquiètent même de la proportion d’Avignonnais dans le public. D’année en année, ce type de rencontre rejoue sa dramaturgie: celle d’une France qui regarde son passé, admire ses cloisons et regrette sa puissance perdue!
Loin de cette musique habituelle,  Hortense et Vincent (comme on dit ici; seul le Ministre de la Culture osa la formule sur France Inter, « Hortense et son ami »)  justifient la présence de Christoph Marthaler dans la Cour. Ils ont voulu le faire entrer dans l’histoire du festival. L’Histoire tranchera.
Plus tard, ils reçoivent des applaudissements chaleureux pour avoir organisé le bal du 14 juillet. Que cela puisse les encourager à poursuivre ce travail de réchauffement des relations entre spectateurs ! 
Puis vient le moment où je questionne leur projet de développement. Ils nous expliquent le projet de la Fabrique, futur lieu de répétition et de création qui devrait sortir de terre en 2013. On rêve avec eux d’un développement régional de la création autour d’Avignon qui rayonnerait  au-delà des frontières. J’imagine avec eux des espaces d’accompagnement du public pour en finir avec cette idée qu’il faudrait être formé pour aller au théâtre.
Je rêve alors d’une région PACA ouverte à la création contemporaine, d’une France accueillante envers les créateurs étrangers.
D’une France qui ne se laisserait pas séduire par le divertissement facile ou s’enfermer dans le théâtre patrimonial.
On se prend à rêver d’emprunter cette voie.
Mais finalement, pourquoi devrait-on changer de direction ?

Pascal Bély – www.festivalier.net.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Je kiffe pour cet Hamlet-là.

Les Subsistances à Lyon savent séduire le public jeune. En titrant, « Hamlet version XXIè, un spectacle physique et intense, pour les temps présents », on s’amuse à lire entre les lignes. Autrement dit, un « Hamlet » loin du «théâââtre» de papa ! À voir le nombre de jeunes dans la salle, le pari est gagné. Qui plus est, le metteur en scène, David Bobée, n’a pas encore l’âge de raison requis en France (trente-deux ans!) et le rôle-titre est assumé par un jeune acteur – circassien (Pierre Cartonnet). Le Tadorne connaît bien David Bobée. Nous lui avons consacré plusieurs articles. Avec l’écrivain Ronan Cheneau, ses pièces ont souvent chroniqué l’époque pour nous offrir un théâtre sincère et inventif. Mais pour la première fois, David Bobée s’attaque à un classique, aidé par la traduction efficace de Pascal Collin en totale harmonie avec la création musicale de Frederic Deslias. 

Disons le tout net : les Subsistances ne nous ont pas menti. C’est une oeuvre physique pour les comédiens et les spectateurs. Jouée dans une verrière ouverte aux quatre vents, nous sommes sortis frigorifié de ces trois heures de grand spectacle. À la différence de « Warm » où le public transpirait à grosses gouttes! David Bobée souffle donc le chaud et le froid et sait jouer avec les contrastes. Dans « Hamlet », la langue de Shakespeare oscille en permanence entre une syntaxe contemporaine et ancienne. Même les costumes font le grand écart : entre la longue robe de la mère d’Hamlet (Gertrude) et le jean’s moulant du fils, nos pensées érotiques peuvent divaguer!

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Pour signifier que le pouvoir prend l’eau au Royaume du Danemark, la scène est inondée après avoir été  asséchée par de magnifiques effets vidéo autour de l’apparition du spectre. Comment ne pas penser aux oeillets de Pina Bausch dans “Nilken” à voir ces acteurs jouer avec autant de grâce sur ce plateau liquide?

Il y a ce décor stupéfiant fait de briques noires pour créer l’antichambre mortuaire du pouvoir, où l’on extrait des morts des tiroirs (caisse ?).

Il y a bien sûr Pierre Cartonnet, sa rage au ventre et au corps. Il inonde (sic) la pièce de sa beauté et de sa fougue.

Il y a cette troupe métissée où deux beaux acteurs de la Compagnie de l’Oiseau Mouche repérés dans « Gilles », nous offrent un moment théâtral sublime, une mise en abyme empruntée à l’imaginaire de Pippo Delbono.

Il y a Abigail Green qui, dans le rôle d’Ophélie, illumine la scène sombre par des éclats de voix à la Bjork.

Il y a Pascal Collin, magistral Polonius, conseiller du royaume. Chacun reconnaîtra en lui les « conseillers du Prince » actuels, pétris de cynisme et de certitudes.

Cet “Hamlet-là” a donc de la tenue et intégre  certains processus des oeuvres précédentes de David Bobée. Il a l’insolence de «nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue», un certain regard porté sur la folie du couple de «Canibales», les tensions érotiques entre les hommes de «Warm». Tout est bien pesé pour éviter les foudres des garants de l’orthodoxie (si, si, ils existent), et effrayer par un propos politique trop subversif. La mise en scène est suffisamment poétique pour que chacun y puise du sensible. Oui, cet Hamlet-là est de son temps dans les formes convoquées.

On aurait cependant aimé plus d’audaces dans la conduite des acteurs comme si David Bobée appuyait plus sur l’effet du jeu que sur le jeu lui-même. On aurait apprécié qu’il évoque les ressorts de la folie d’un système plutôt que d’accentuer sur  la déraison des individus. Si bien qu’il est parfois difficile d’approcher la vision contemporaine d’Hamlet par David Bobée et Pascal Collin. Les rires sarcastiques du fossoyeur et les morts qu’on empilent ne suffisent pas à faire un propos politique global même si l’on ne peut s’empêcher de penser à « lui » et « eux ».

Serions-nous parfois trop distraits là où l’on aurait aimé être interpellé ? N’y a-t-il pas un registre émotionnel trop appuyé qui nous évite de tisser des liens entre l’oeuvre et l’époque ? Pourquoi une telle intensité physique de la part des acteurs qui fait parfois obstacle à une lecture du « corps politique » ?

David Bobée est incontestablement une étoile montante qu’il me plait d’observer dans le ciel parfois obscur du théâtre Français. Prêtons-lui cette phrase d’Hamlet pour lui donner rendez-vous : «le théâtre sera l’instrument avec lequel je piegerais la conscience du roi»

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Hamlet” par le Groupe Rictus, Compagnie David Bobée, aux Subsistances à Lyon du 23 septembre au 2 octobre 2010.