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FESTIVAL D'AVIGNON

Rire d’amour pour la danse.

Peut-on rire de la danse ? Oui, mais pas avec n’importe qui. Avec les Chicos Mambo, vous serez en bonne compagnie. D’abord parce que ces quatre danseurs sont des acteurs hors pairs, généreux, engagés, respectueux d’un art que leur comique ne disqualifie jamais. Alors que la chorégraphe Maguy Marin nous invite à prendre la parole même si la norme l’interdit, ces quatre-là s’affranchissent des cloisons avec superbe : l’acteur danse. Tel un jardin des délices, vous passerez de l’enfer au paradis sans même vous en apercevoir parce que ce collectif est au-dessus de tout cela : la danse est avant tout une célébration de la vie.

Vous serez surpris de leur ingéniosité à se transformer pour métamorphoser votre rire en masque apaisant sur vos petites plaies du quotidien. Vous serez rassuré par ce collectif parce qu’il fait bien attention à ne jamais vous perdre : ici un souvenir d’enfance (ah, les majorettes !), là un rêve d’adolescent (devenir danseur), plus loin un secret d’adulte (je ne suis pas celui que vous croyez). Avec leurs trouvailles, ils vous aideront à réécrire votre histoire de danse.

Votre rire sera alors une explosion jubilatoire parce que vous aurez confiance : même quand il s’amuse de la danse contemporaine, il ne la caricature jamais. Vous ressentirez la présence de Zouc, c’est pour dire. Avec des airs de ne pas y toucher, ils relient tous les courants de la danse comme si tout n’était qu’une question d’amour.

Mais ne croyez pas qu’ils soient des enfants de cœur : ces quatre-là ont une histoire dont on devine à peine les chapitres. Ils ont travaillé pour être là. Faire rire pour nous éclairer sur un art fragile demande une culture, un désir d’ouverture, une croyance inébranlable dans le collectif.

Plus que jamais nous avons besoin de ces acrobates parce que la danse mérite son cabaret, pour qu’on y célèbre l’orgie de la tolérance.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Méli-mélo 2 Le retour” par la Compagnie Chicos Mambo, jusqu’au 31 juillet au Collège de la Salle. Réservation recommandée au 04 32 70 01 32

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, François Chaignaud et Cecilia Bengolea, concepteurs cherchent chorégraphe.

François Chaignaud et Cecilia Bengolea sont appréciés des Festivals. Après Uzès Danse où ils ont dernièrement présenté « Self and Others » d’Alain Buffard, ils seront à l’affiche de la 30ème édition de Montpellier Danse en 2010 (répondront-ils au souhait de son directeur, Jean-Paul Montanari qui, en les programmant ,souhaite renouveler la danse contemporaine ?). En attendant, ils doivent se contenter de la « 25ème heure » lors du Festival d’Avignon, c’est-à-dire une programmation à minuit, à l’Ecole d’Art.

Ce couple avait déjà fait parler de lui en 2008 avec « Pâquerette » en faisant le plein d’audience à Berlin et Paris ainsi que sur les blogs. Leurs « stratégies de pénétration » avaient pourtant provoqué un débat un peu mou parmi les spectateurs et la critique, faute d’un propos suffisamment fort et lisible. Même si « l’introduction d’un godemiché ne fait pas encore une danse », j’avais applaudi leur audace. Leur deuxième proposition, « Sylphides », présentée ce soir, est un concept. Saluons le projet novateur de ce duo qui se nomme « concepteur » plutôt que « chorégraphe », pour « fabriquer » de la danse. Si les mots ont un sens, rendons hommage à cette autocritique.

Qu’attendre d’un concepteur si ce n’est qu’il nous propose des formes moins esthétisantes, porteuses de sens et de vision ? Or, « Sylphides » n’est qu’une très belle esthétique du corps. Difficile donc d’évoquer ce concept sans entrer dans une description un peu laborieuse. Ici, le corps est aérien puis perd toutes ses articulations, avant de devenir quasiment liquide. Par une étrange alchimie, il se transforme jusqu’à se métamorphoser en forme dansante sur un air de Madonna. L’ambiance est totalement mortifère (la série « Six feet under » aurait-elle inspiré ?) et l’on sourit lorsque nos trois danseurs, en état de larve, cherchent une issue de secours.  Le corps est dansé de l’intérieur, mais il ne véhicule que sa propre image. C’est elle qui fait sens et confère au propos une pauvreté déconcertante. J’observe une « recherche », je recherche une « poétique «  et me voilà positionné comme évaluateur d’un  concept (il en serait sûrement tout autrement dans un espace d’art contemporain).  Conceptuellement, « Sylphides » se regarde, mais sa programmation dans un festival qui nous a proposé en son temps les plus grands chorégraphes est en soi un aveu d’échec.

Cette esthétique a de quoi inquiéter au moment où le corps est traversé par la fureur du monde.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Sylphides» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué les 18 et 19 juillet 2009 au Festival d’Avignon.

Photo: ©Alain Monot.

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FESTIVAL D'AVIGNON LES JOURNALISTES!

Pourquoi ai-je quitté la Cour d’honneur durant (A)pollonia? Les réponses de Libération et La Croix.

Il est 1h du matin. Je quitte la Cour d’Honneur bien avant la fin de la représentation d’« (A)pollonia » de Krzysztof Warlikowski. En y entrant à 22h, je n’étais pas prêt. Bruno Bouvet de « La Croix » ressent le désarroi de certains festivaliers dont je suis: « Comment retrouver la Cour d’Honneur après l’avoir laissée sur le souvenir inoubliable de l’épopée nocturne de Wajdi Mouawad… ?». Avec élégance, il précise : « L’émotion unique de ces onze heures et demie de théâtre ressurgit régulièrement dans les conversations des festivaliers, comme s’ils voulaient prolonger le sentiment rare d’une communion théâtrale, public et artistes unis dans la même (folle) aventure ».

De son côté, René Solis de Libération ne s’embarrasse pas de cet aspect et pose immédiatement l’enjeu : «(A)pollonia» est une épreuve: « Attention, danger. Peut-être faudrait-il installer un panneau à l’entrée de la cour d’honneur. Pas parce que le spectacle de Krzysztof Warlikowski est long (4 h 30). Mais car il exige une attention permanente. (A)pollonia nous balance en terrain miné, et jamais sûr du chemin à emprunter. Si le thème a de quoi «faire peur» – Juifs, Polonais, guerre, Shoah – le traitement rassure encore moins, qui manie le paradoxe et trouve dans l’inconfort moral une ligne de conduite ».

Ce n’est pas tant le thème qui inquiète (nous avons vu d’autres en Avignon) mais bien l’inconfort dans lequel Warlikowski nous plonge. L’attention réclamée est au dessus de bien des forces. Le mistral glacial ce soir là, la visibilité réduite dès que l’on dépasse le 10ème rang, la multiplication des sources (la vidéo, deux scènes de théâtre, un concert rock, deux décors mobiles, le surtitrage) ont eu raison des meilleures volontés. A moins d’avoir une culture classique, d’être placé au centre et d’être préparé en lisant trente minutes avant la foisonnante feuille de salle distribuée à l’entrée. Ce que reconnaît René Solis : « La dispersion découle de la multiplication des sources ».

L’agencement de différents textes contemporains dont le récit d’Hanna Krall sur Apollonia Machzynska – Swiatek (mère de famille qui a été exécutée par les Nazis après que son père qui l’a caché ait refusé de se dénoncer) avec des anciens (tirés de la tragédie Grecque avec le sacrifice d’Iphigénie et Alceste) ont pour commencement une pièce de Rabindranath Tagore, « Le bureau de poste », incarnée par deux marionnettes (jouée en 1942  dans un orphelinat du ghetto de Varsovie où enfants et personnels furent gazés à Treblinka). Le spectateur est immédiatement sidéré par la beauté de l’acte artistique de Warlikowski. La suite glace la Cour quand vient se mêler des extraits des « Bienveillantes » de Jonathan Littel incarnés par Agamemnon.

Dans son article, René Solis décrit les différents tableaux. S’il salue le prologue (« pas l’once de pathos »), sa critique se complique à vouloir nous expliquer la suite comme s’il était gagné lui aussi par « l’incertitude » de l’écriture de Warlikowski puis revient sur le processus: « La force des acteurs n’empêche pas qu’on lâche le fil, dans une forêt de références cryptées. L’obscurité avant l’aveuglante lumière de la deuxième partie ».

Or, plus de la moitié des spectateurs se sont perdus ce soir-là dans cette forêt, sans clef de décryptage. À la résonance personnelle, est venu se substituer l’écho entre les époques qu’offre l’imposante scène de la Cour. Nous sommes donc quelques-uns à pointer un problème d’échelle : Warlikowski a privilégié le temps historique au détriment d’un temps de l’humain, seulement suggéré par la musique mélancolique jouée avant l’entracte par un orchestre rock. Dit autrement, Bruno  Bouvet trouve que  « ce montage impressionnant, présenté sur la scène en une suite de tableaux, laisse l’impression mitigée des oeuvres que l’on ne parvient pas totalement à cerner, faute d’en embrasser toute la cohérence. Warlikowski entraîne le spectateur dans une réflexion aussi personnelle que foisonnante, nourrie de multiples références et inscrite dans l’histoire de la Pologne, mais rechigne à en donner les clés ».

Les deux critiques terminent leur propos en saluant l’audace de Warlikowski. Pour René Solis, « il brouille les cartes, pointe où cela fait mal – le présent, la guerre israélo-palestinienne -, mais ne mélange ni ne justifie rien, porté par une colère qui risque tout » tandis que Bruno Bouvet est plus lyrique comme transporté par l’hybridité artistique de Warlikowski : « Avait-on jamais entendu Agamemnon lire un discours sur l’arithmétique guerrière, tiré des Bienveillantes ? Avait-on jamais entendu Clytemnestre lire un fragment de La Mère, le conte d’Andersen ? Et surtout, avait-on jamais assisté à la transformation de la cour d’honneur en salle de rock, grâce aux intermèdes d’une chanteuse énergique, portée par un orchestre très en verve ? »

Je reste convaincu d’être passé à côté d’une oeuvre majeure qui s’apaisera dans une salle de théâtre. La démesure de la Cour a freiné cet élan comme si ce lieu historique et symbolique produisait différentes hiérarchies (ceux qui savent et les autres ; ceux qui sont bien placés et l’arrière banc) alors qu'(A)pollonia mérite un espace plus démocratique, plus ouvert et pour tout dire, plus accessible.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“(A)pollonia” de Krzysztof Warlikowski a été joué les 16, 17, 18 et 19 juillet 2009 dans la Cour du Palis des Papes en Avignon
Photo: Christophe Raynaud de Lage.
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au Festival Off d’Avignon, «Naître à jamais», une oeuvre exigeante.

Le Théâtre hongrois de Cluj, basé en Roumanie, présente une oeuvre forte, exigeante, dans la salle du chapitre au Théâtre des Halles. Naître à Jamais” est une histoire de survie. Survivre après les camps de concentration, survivre aux autres, à ses souvenirs,  à soi. Sur fond de Shoah, András Visky raconte l’histoire de l’homme sans nom, à l’identité non reconnue, incarne le « nous », les innocents de Guantanamo, Florence Cassez emprisonnée au Mexique.

Naître à jamais” résonne dans le monde contemporain que nous construisons, comme si l’histoire se répétait.

La découverte du théâtre hongrois vous emmènera dans des contrées non encore explorées. La barrière de la langue s’efface derrière la danse, la gestuelle, le chant et la prière de ces corps fantômes. Ils ne sont que l’ombre d’eux-mêmes, âmes errantes pour trouver un coupable à leur tragique destin.

Naître à jamais” est une oeuvre qui donne à réfléchir sur la condition des peuples, sur ce que nous laissons en héritage, sur la place de la religion dans notre rapport au monde, sur ce que nous sommes et surtout pourquoi nous en sommes arrivés là.

Un théâtre pour panser les plaies, penser nos plaies.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Naître à jamais” de Andras Visky au Théâtre des Halles en Avignon. Jusqu’au 30 juillet 2009.