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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, avec “Angelo, tyran de Padoue”, la tyrannie de FranceTelevisions.

La pièce est mineure, peu jouée et pourtant. “Angelo, tyran de Padoue” de Victor Hugo est programmée pour quatorze représentations à l’Opéra d’Avignon jusqu’à la fin du festival. Pour sa première création théâtrale, le cinéaste Christophe Honoré à droit à tous les honneurs, avec FranceTelevisions comme l’un des coproducteurs. Avignon semblait protégé de l’incursion de l’industrie télévisuelle dans la production du spectacle vivant. Cette année, une digue vient de tomber.

Angelo, personnage tyrannique et angoissé, incarné par Martial Di Fonzo Bo a donc une femme (Emmanuelle Devos) et une maîtresse (Clotilde Hesme). Une énigme abracadabrantesque permet aux amants et aux gardes du corps de jouer à cache-cache. Les deux comédiennes peinent à habiter une scène de théâtre, tout au plus seraient-elles plus à l’aise sur un plateau de cinéma. Quant à Martial Di Fonzo Bo, il hésite entre « la cage aux folles » et « Hamlet ».

Christophe Honoré brouille les pistes. Où sommes-nous? Quel sens dégage cette forme artistique hybride où théâtre, 7ème art, télévision s’enchevêtrent? Les effets visuels sont de toute beauté avec ce décor fait d’échafaudages de fer où un habitat sur roulettes se déplace tel un traveling et nous conduit de la cave au septième ciel, ou en enfer. L’imaginaire homosexuel est omniprésent : l’atmosphère suinte l’odeur de sexe des backrooms, les femmes sont ici fatales et fragiles, solidaires dans l’épreuve. Ce parti pris englue la mise en scène dans un jeu proche du soap opéra avec des acteurs qui frôlent souvent l’amateurisme. La télévision s’en contentera. Comme elle sera ravie d’une incursion chantée, déplacée et pour tout dire ridicule : Honoré recycle « les chansons d’amour », son dernier film musical à succès.

Le malaise est profond, car la tyrannie d’Angelo envers ses conquêtes est à peine incarnée, tout au plus caricaturée. Honoré ne dirige pas les acteurs : il les incruste dans le décor, fruit de son imaginaire. Telles des marionnettes, les comédiens semblent jouer leur propre rôle (Devos en Devos, Martial en Martial, …) comme si le « people » prenait le pas sur l’acteur de théâtre (Le Monde dans son édition du 12 juillet s’essaye même au storytelling : « Les ruses de Christophe Honoré pour trouver son casting de rêve »).
La dernière scène où descend un écran plat de cinéma, voire de télévision, signe la toute-puissance de l’image et tyrannise le spectateur : “gens de théâtre, la télévision va vous imposer une esthétique. Il en va de votre survie ». Ainsi, de façon subversive, le théâtre de Christophe Honoré sidère par l’image et inquiète par sa tyrannie rampante. En phase totale avec le projet politique du pouvoir en place qui fait de la télévision le vecteur des esthétiques à la mode et des discours autoritaires.
Pascal Bély – www.festivalier.net

A l’heure où cet article a été écrit, je n’avais pas d’informations précises sur le rôle de FranceTélévisions. La revue Mouvement, en date du 25 juillet, donne quelques précisions.

“Angelo, tyran de Padoue” par Christophe Honoré jusqu’au 27 juillet 2009 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Photo: Christophe Raynaud de Lage.

 

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LES EXPOSITIONS

Aux Rencontres Internationales de la Photographie en Arles, douloureuse Nan Goldin.

Rien de tel pour commencer son périple photographique en Arles que l’Église des Frères  Prècheurs : la profondeur du lieu est une intersection idéale  pour croiser ma vision et celle de Nan Goldin, commissaire d’expositions.

A l’entrée, l’endroit surprend par le vide. Rien. La projection va débuter. J’avance, le regard alentour. C’est en haut que cela se passe, au coeur de la nef, habillée pour la circonstance en temple de l’image. Salle obscure pour pêcheurs.

J’accède à la hauteur et domine en contre bas. Un mannequin, allongé les yeux ouverts, le torse dénudé semble perdu au coeur de la rédemption. Le photorama commence sur trois écrans qui nous affrontent. NOUS SERONS TOUS JUGES. Les images de peintures médiévales défilent, crient, décrient notre faute à chacun: nous sommes tous coupables. Et Nan Goldin de nous parler de sa descente dans l’enfer, de sa vie cruellement si réelle dans  la douleur, de savoir que de toute manière tout est écrit, que l’on ne peut  échapper à son propre dérapage. Tout est là sur de la pellicule couleur. Et d’autres encore,  âmes en quête de normalité dans ces lieux de réadaptation où la désintox se veut frapper  la réalité des douleurs. Nan Goldin shoote sa dimension pour symboliser le shoot que la vie lui a administré.  Un refuge en extase. 

Nous serons tous jugés. Nous aurons tous une Nan Goldin  qui entrera dans nos existences, nous faisant étouffer les petits bonheurs pour signifier les grands malheurs. Celui de perdre un être cher. Car il s’agit bien de la perte ici, perte dans l’amour, perte de repères, perte de soi, perte de la perte.

On dit que tout suicide tue plus d’une personne.

Ma mère dit aux policiers : Dites aux enfants que c’était un accident. Qui essayait-elle de protéger ? Ce fut le moment de clarté qui décida ma vie, ma rupture avec ma famille, j’avais 11 ans. La tyrannie du révisionnisme même à l’instant de la plus grande angoisse. Banlieue résidentielle. Que les voisins  ne l’apprennent pas. Ou même les enfants. Réécrivez l’histoire immédiatement avant qu’elle ne soit écrite.

Nan Goldin, 2004

Et je suis sortie au soleil, heureuse de respirer. Simplement de respirer.

Diane Fonsegrive- www.festivalier.net

Nan Goldin, « Soeurs, saintes et sybilles » jusqu’au 13 septembre 2009 aux Rencontres Photographiques d’Arles.