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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival Off d’Avignon, les soeurs schizophrènes et sulfureuses de l’île Piot.

Le tractage incessant auquel le promeneur est confronté au coeur du centre-ville d’Avignon relève quelquefois du matraquage. Soudain, on y fait des rencontres avec des professionnels qui prennent le temps de vous parler du spectacle qu’ils défendent. Les paroles de la chargée de diffusion de la Compagnie d’Elles pour la pièce «Lames soeurs» m’ont convaincu de quitter l’intra-muros pour l’île Piot, un jour venteux, où la Région Midi-Pyrénées fait son cirque.
L’origine de « Lames soeurs » est le double meurtre des soeurs Papin qui a défrayé la chronique des années trente. Louise et Léa, au service des Lancellin, assassinèrent sauvagement Madame et Mademoiselle. Jean Genet en a fait ses Bonnes et nombreux réalisateurs s’emparèrent de ce fait divers (notamment, le merveilleux “Les Blessures assassines” pour lequel Sylvie Testud fut récompensée).
Avec le poids de cet héritage, Yaëlle Antoine en fait sa réécriture. Elle compose les portraits de Louise et Léa, les fameuses soeurs Papin, et dévoile celui de Madame. Trois fils coupent la scène. Ils représentent trois univers, les trois vies de nos protagonistes.
Lames soeurs” est avant tout une histoire de femmes, celle des soeurs incestueuses qui vont jusqu’au meurtre pour se libérer des regards moralisateurs et vivre pleinement leur amour. C’est l’histoire de la folie de Louise, qu’interprètent Yaëlle Antoine et son double, qui l’emprisonne et la manipule. Celle de Léa, objet de désir sexuel aux yeux de sa soeur. Puis, il y a Madame, perverse à souhait, jouissant d’une autorité certaine. L’univers sulfureux du récit transpire dans la relation qu’entretiennent ces trois femmes.
Les s?urs Papin et Madame dénoncent notre perversion. Qu’elle soit familiale (les récents faits d’actualité démontrent tout ce qui peut se faire en la matière) ou sociétale (l’abus de pouvoir de l’employeur, le harcèlement moral, les suicides chez Renault), la perversion abîme l’être humain qu’elle soit subie ou animée.
Le texte sert de décompte à ce jeu. Rythmant les tâches de ces bonnes, les paroles égrènent le temps qu’il reste à vivre, installe le malaise naissant pour l’ancrer dans le temps présent. Il devient étouffant tout comme certaines relations humaines oppressantes.
Le vent soufflant sous ce chapiteau, accessoire météorologique non désiré, profite à merveille le propos et invite l’âme des soeurs Papin à découvrir ce que l’on peut encore dire d’elles.
Laurent Bourbousson
www.festivalier.net
 « Lames soeurs» de Yaëlle Antoine, mise en scène de Paola Rizzamis. Jusqu’au 30 juillet sur l’île Piot à 11h00.Relâches les jeudis 17 et 24.

Crédit photo: “Joa”
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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE! PAS CONTENT

Le théâtre sans objet de Benjamin Verdonck…

Trois jours après la première, la presse n’a pour l’instant rien écrit sur «Wewillliverstorm» du Belge Benjamin Verdonck. Serait-elle en panne d’écriture, d’inspiration ? Désintéressée ? Pour le blogueur, cette création aurait pu inspirer (à chacun son « je »).
Aurait pu…
Pour Benjamin Verdonck, les objets ont une âme comme le démontrait déjà son exposition au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en mai dernier. Elle avait laissé bon nombre de spectateurs circonspects. Au Festival d’Avignon, c’est sur scène qu’il nous invite à entrer dans un univers d’adolescent un peu attardé, sous l’oeil dubitatif de son vrai père, tandis qu’un musicien tire les cordes d’instruments pour le moins étranges. Avec «Wewillliverstorm », bienvenue en Verdonckie.
Je suis resté à la porte. J’ai bien tenté de regarder par le trou de la serrure : je n’ai vu que des objets manipulés par des ficelles où l’on passe de l’un à l’autre sans comprendre ce qui les relie à part le fétichisme de Verdonck et sa maîtrise d’un espace très personnel. En écoutant à la porte, je n’ai entendu qu’un son étiré de la scène au fond de l’église.
En forçant un peu la poignée pour entrevoir, j’ai observé la relation père-fils. Elle ne manque pourtant pas d’intérêt. Observateur la plupart du temps, il est transformé avec détermination par son fils, en objet statufié bancal. Je m’interroge encore sur l’espace choisi pour métaphoriser leur filiation. Benjamin se questionne à l’égard de son père. Soit…
«Wewillliverstorm » est un espace de résonances pour Benjamin. Pour être resté si loin, il devait l’être également pour moi…

Malgré tout, dans la « bible » distribuée à l’entrée, Benjamin Verdonck ne dit rien de tout cela et semble nous prendre de haut quand il écrit :
« C’est un spectacle sans paroles
mon père et moi, nous sommes debout en scène
mon ami le musicien est assis sur le côté
il y a beaucoup de bricolages qui bougent avec des ficelles
nous ne parlons pas
il n’y a pas d’histoire non plus
c’est joli à regarder
»
Même pas.Pascal Bély
www.festivalier.net
“Wewilllivestorm” de Benjamin Verdonck  a été joué le 20 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.Un extrait vidéo ici.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Avec Philippe Quesne, autant être cool comme un dragon.

Inutile de s’énerver.
Inutile.
Cela ne sert à rien.
Autant rester cool et zen après le naufrage de ce week-end où le Tadorne a perdu sa plume après tant de propositions frôlant l’imposture (Superamas), l’inutile (Emio Greco) et l’enfermement (Benjamin Verdonck, le Théâtre du Radeau).
Cool, zen.
On en remercierait presque Philippe Quesne et sa «Mélancolie des dragons» de nous proposer un spectacle aussi inutile, vain, mais tellement cool.
Alors que le mistral se déchaîne dans le Cloître des Célestins provoquant un bruit infernal (l’enfer est très tendance cette année à Avignon), ils sont sept hommes des cavernes à s’extraire d’une Ax Citroën en panne, au beau milieu d’un paysage enneigé. Le chien, Hermès, sort tranquillement tandis que l’autoradio passe subitement d’AC/DC à la musique du moyen-âge. Isabelle, arrive sur son vélo et propose de les aider. Elle finit dans le moteur et diagnostique un changement de delco. Vive les femmes…
Alors qu’il faut attendre une semaine pour réparer la voiture, nos compagnons d’infortune vont présenter à Isabelle leur prochain spectacle, embryon d’exposition d’art contemporain itinérant, inclut dans un parc d’attraction (dont ils n’ont pas encore trouvé le nom…) où l’air, l’eau, le feu, les bulles de savon et la nature forment une oeuvre globale. Isabelle en a donc la primeur : une générale individuelle en quelque sorte.
Cool, zen.
C’est incroyablement ridicule. Je souris, car c’est poétique («on est finalement tous des artistes en devenir »). Je m’inquiète souvent (« ils n’ont trouvé que cette idée pour démontrer l’absence de propos et de créativité des artistes français en ces temps troublés … »). Je m’endors parfois («respire, détends-toi, tu es au 62e festival d’Avignon»).
Cool, zen.

Et puis…cela commence à bien faire. Où sont Jan Fabre (édition 2005), Olivier DuboisChristophe Haleb ? Que le mistral emporte ces ballons de pacotilles et qu’on dépêche illico le régisseur pour acheter en urgence un delco pour Ax année 90 chez un concessionnaire d’Avignon. Qu’ils libèrent enfin le plateau!
Cool, zen.
J’ai presque envie de pleurer. Je pense à Pippo Delbono. Je me sens mélancolique
Cool, zen.
Mais ils sont si fragiles sur ce plateau. Ils parlent si doucement. Ils ont l’air si improductif dans un pays où le slogan «travailler plus pour gagner plus » va finir par orner les façades des écoles, des théâtres et des entreprises. Ils sont incroyables dans leur processus de création à s’appuyer sur tant d’immatérialité pour nous offrir, là, rien que pour nous, une oeuvre d’art contemporain . Et je comprends qu’il faut se laisser porter, sans chercher le sens caché si ce n’est celui d’une émotion tant contenue depuis deux jours. Ces ballons gonflés emportés par le mistral dans ce paysage enneigé ne sont-ils pas une réponse construite à l’envahissement des jolies formes dans le spectacle vivant (Roméo Castellucci serait-il un peu visé ?)
Cool, zen.
J’applaudis à peine presque plus intéressé par les réactions du public : enthousiasme, circonspection, indifférence polie….
A la sortie, j’entame le débat avec quelques spectateurs. Un jeune homme accompagne Laura (il était peut-être caché dans la malle de l’AX). Il me regarde attentivement, tout en souriant, me dépatouiller avec mes explications un peu fumeuses.
Il me regarde.
Cool, zen.
En les quittant, je chante dans la rue.
Prêt à m’envoler comme un ballon dégonflé.Pascal Bély

"La mélancolie des dragons" de Philippe Quesne a été joué le 20juillet 2008 dans le cadre du Festival d'Avignon.
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FESTIVAL D'AVIGNON

Xavier Gallais étouffe d’amour.

Entre la chaleur et les orages, le spectateur se fraie un chemin sinueux dans le programme du off et essaie de repérer « la perle rare », approchée avec « Les nuits blanches » de Dostoïevski, mise en scène par Xavier Gallais (apprécié dans «Ordet » d’Arthur Nauzyciel)  et Florient Azoulay.

« Ils existent des auteurs et des textes qui vous poursuivent » se plaît-il à dire. Avec «Les Nuits Blanches », Xavier Gallais signe ici une mise en scène épurée. Pas besoin d’effets vidéos et autres artifices lorsque la scénographie de Daniel Gallais épouse parfaitement la dramaturgie. Et ce pour notre bien d’autant plus que «Les nuits blanches» nous parle d’amour, ce sentiment si complexe alors qu’il est souvent réduit par notre société de consommation globalisée.

Deux âmes en peine apprennent tout l’un de l’autre en l’espace d’une de ces fameuses nuits, durant lesquelles le soleil ne s’éclipse que l’espace d’un court instant. Ils se livrent à nous, sans retenue, pour nous démontrer la puissance du sentiment amoureux. Xavier Gallais campe ce jeune homme un peu gauche, où la présence de Nastenka éveille le désir. De son côté, elle attend le retour d’un être aimé, parti pour son service militaire, mais revenu depuis peu.
Ils débattent de leurs états d’âme pour nous souffler dans le creux de l’oreille leur envie mutuelle de faire vie commune, pour ne pas se retrouver seul dans ce Saint-Pétersbourg de 1848. Cette rencontre sur les bords de la Neva dégage une sensation de rêve, comme si Nastenka se donnait elle-même la réplique par les traits de Xavier Gallais pour combattre cette attente qui s’étire.
Éclairés par une lumière crue, comme celle de ces fameuses nuits blanches, Tamara Krcunovi et Xavier Gallais donnent corps à ce texte, tout naturellement, comme habités par l’écriture de Dostoïevski. L’échange gagne en profondeur au fur et à mesure de la joute littéraire. Ici, il n’est pas question d’un théâtre visuel, mais de texte. Un théâtre de sentiment que l’on aime à partager.
Certes, le langage convenu de ces deux âmes appartient à un autre temps. Une époque où se tenir la main était le mot d’amour, un geste au delà du baiser.

Je ne peux m’empêcher d’imaginer deux jeunes gens d’aujourd’hui échanger tel propos.
« Tu sais que je te kiffe ? »
« Ah ouais, mais je suis déjà maquée »,
Un peu moins romantique…Quoique.

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

« Les nuits blanches» de Dostoïevski mis en scène par Xavier Gallais et Florient Azoulay . Au Théâtre des Béliers d’Avignon jusqu’au 2 août 2008.