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A Montpellier Danse, épatante Germana Civera.

Le public applaudit à tout rompre. Heureux. Soulagé. Comme si la danse venait enfin de nous faire un beau cadeau, alors qu’elle nous réserve tant de souffrances, de tensions voir de repli quand elle est en panne de sens. Ce soir, à Montpellier Danse, la Catalane Germana Civera fait avec « Fuero(n) » ce que notre société peine à réaliser : relier les générations dans un espace où l’imagination est au pouvoir ! Quarante ans après mai 68, elle redéfinit les contours d’un « vivre ensemble » où l’individu s’affranchit des cloisonnements qu’on lui impose. Pour réussir ce pari incroyable, plus de trente acteurs sur scène (dont pas mal d’amateurs), âgé de huit à plus de soixante cinq ans avec pour espace commun, la fin du monde, l’apocalypse vue à travers l’histoire de la danse ! « Fuero(n) » est un beau maillage entre un festival, un territoire européen transversal (Germana Sivera vit à la fois à Montpellier et à Barcelone), le public et notre bien collectif, la danse.
Au commencement de « Fuero(n) », Germana Civera définit prodigieusement la relation entre eux et nous. C’est une petite fille aux allures bien sages et déterminées qui accompagne une dame âgée vers une table de bar, clope à la main, en fond de scène. Spectatrice privilégiée (nous pourrions être à sa place), elle va observer presque silencieusement cette fin du monde revisitée par le public, les danseurs et la chorégraphe! Oui, vous avez bien lu ! Nous sommes symboliquement sur scène, mais à plusieurs niveaux en même temps! De notre place assise, nous nous projetons en elle, en eux. Mais pour cela, il faut nous aider à lâcher. Cette petite fille sait y faire. Elle est notre part de créativité. C’est de dos qu’elle assiste à l’arrivée des acteurs qui, sur une musique lancinante, esquissent une danse minimaliste, mais emprunte de désir. En quelques minutes, c’est déjà gagné. J’y suis.
S’ensuit alors différentes scènes où chacun va jouer tour à tour le public, le danseur, le chorégraphe pour s’amuser de cette fin du monde, mais surtout pour positionner la danse comme vecteur du lien social (au cas où certains l’auraient oublié), comme éclaireuse des paradigmes naissants, où elle accompagne l’individu dans sa quête d’autonomie. C’est tout un modèle de société que Germana Civera dessine, où les plus jeunes tissent avec les plus anciens des liens de créativité, tandis que les adultes s’appuient sur ces liens intergénérationnels pour s’interroger sur l’évolution du groupe, sur les valeurs afin de réinventer le monde !
« Fuero(n) » est un maillage impressionnant par sa dynamique où l’espace théâtral inclut la salle, les coulisses, la scène sans que jamais le spectateur ne soit perdu ou isolé. D’autant plus que l’on rit souvent (et l’on connaît la difficulté pour les chorégraphes d’utiliser l’humour comme ressort du sens). Puisque de fin du monde il s’agit, nous sommes libres d’interpréter la charge symbolique de certains passages pour réécrire notre histoire. Germana Civera redéfinit un modèle relationnel entre la danse et le public à l’image du dernier tableau où les portes de fond de scène s’ouvrent vers la rue (mais chut, surprise).
Le final enchante parce qu’il autorise toutes les utopies. Celles d’un monde de ponts et de portes où les enfants lâcheraient dans le ciel les ballons chargés du poids de nos idéologies dépassées.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Ps: où sont passés les photographes de danse? Pourquoi aucune photo et vidéo de ce spectacle?

?????? « Fuero(n)» de Germana Civera a été joué le 28 juin 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

 

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A Montpellier Danse, “Chez Rosette” de Kettly Noël clive.

Alors que le spectacle se termine enfin, elle s’approche timidement vers nous, entourée de ses dix danseurs. Une partie du public proteste, tandis qu’une autre tape des pieds comme en écho. « Chez Rosette » de Kettly Noël, chorégraphe originaire d’Haïti, est l’?uvre que j’aurais aimé ne jamais voir. Tout, de la danse au scénario, de la mise en espace au propos, dégage une atmosphère pesante. « Chez Rosette » réduit la diversité de l’Afrique, immobilise nos perceptions de blanc, alimente notre imaginaire néo-colonial. C’est un espace clos à l’image de ce décor qui lacère la scène avec ses barres de fer et son échafaudage prêt à se rompre. C’est un melting pot de ce que nous voulons voir et entendre. C’est une femme blanche, prostituée, nymphomane, qui éructe son orgasme derrière le rideau blanc pendant qu’une vidéo diffuse le corps ruisselant d’un bel homme africain, dont on nous rappelle à longueur de scènes qu’il est joliment outillé. C’est encore un homme noir, handicapé physique, qui sert de caution humanitaire, à partir d’une danse qui suinte les bons sentiments. C’est un homme blanc, gros, travesti, qui amuse la galerie parce que le genre fait toujours rire. Ce sont ces vidéos qui parsèment le spectacle pour sauver une mise en scène aussi lourde qu’un cliché. C’est encore cette danse qui se cherche à trop vouloir prendre ici et là pour former un kaléidoscope qui empile faute de relier. C’est ce beau Circassien à qui l’on exhibe un pompon à attraper pour donner une forme verticale et spectaculaire afin d’épater au lieu d’interroger. Ce sont enfin tous ces raccourcis qui finissent par énerver un spectateur (« c’est facile ! » hurle-t-il) parce que Kettly Noël est incapable de produire un sens, une profondeur à son propos, engluée dans sa vision, dans son rapport à la négritude, à l’Afrique, aux blancs.

Cette oeuvre provoque de la colère chez certains spectateurs parce qu’elle nous met en dehors du progrès, alors qu’elle nous positionne au centre d’une représentation misérabiliste de l’Afrique qui nous arrange tous. « Chez Rosette » soutient le discours de Nicolas Sarkozy de Dakar en juillet 2007 où  il déclarait que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Kettly Noël conforte cette approche. J’ai longuement réfléchi avant de proposer ce lien : pour mettre en scène des personnages aussi disqualifiés, Kettly Noël semble voir l’Afrique loin de tout processus historique, où les clichés cimentent sa pratique de chorégraphe.

Le public blanc de Montpellier Danse peut applaudir. L’Afrique attend toujours d’entrer dans l’histoire de la danse par la grande porte.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 


?????? “Chez Rosette” de Kettly Noël a été joué le 28 juin 2008  dans le cadre du Festival Montpellier Danse

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Crédit photo: Joel Andrianomearisoa

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A Montpellier Danse, Yasmeen Godder, chef Kamikaze.

À peine sorti de « Singular Sensation », j’ai du mal à quitter Les Ursulines. Envie d’entrer à nouveau, d’échanger avec les cinq danseurs de Yasmeen Godder pour écouter leur ressenti, leur expliquer les raisons de mon total désaccord. Leur chorégraphe a voulu les interpeller directement dans leur posture et à travers eux le regard du spectateur, « pour pousser les limites…réagir à l’engourdissement général…pour échapper à l’individualisme ». Un propos entendu, rabâché, porté par Rodrigo Garcia, l’un des tenants de la provocation sur scène teintée d’un discours d’extrême gauche. De cette posture de toute puissance, Yasmeen Godder expérimente sur ses danseurs toute une série de mouvements, d’articulations pour désarticuler, les affubles d’objets aussi improbables les uns que les autres parce qu’il faut bien prolonger un corps impuissant, seulement capable de se faire exploser à l’image des kamikazes (Yasmeen Godder est partagé entre Israël et les États-Unis). Elle transforme la scène en un laboratoire où elle s’essaie à la provocation en continu et ne laisse aucun interstice pour que le lien entre les danseurs et le spectateur puisse se jouer. « Singular Sensation » me met dans une attitude passive, m’amuse parfois et finit par me rendre nauséeux. Tout devient laid à force d’escalade dans la provocation. C’est de la performance pour la performance. Dès qu’une émotion émerge, elle coupe la séquence pour imposer son objet, son liquide.

Je questionne donc le sens du propos de Yasmeen Godder: jusqu’où peut-elle aller avec eux, avec nous? Comment expliquer ce sentiment diffus qu’elle se sert de leurs corps à ses propres fins dans une injonction paradoxale: « soyez danseurs, mais ne dansez surtout pas». À quoi joue-t-elle pour les guider avec autant de lourdeurs et de maladresses (j’ai du mal à croire que la dame ait reçu autant de prix!) pour régulièrement les faire patiner (à la limite de l’humiliation, quand l’un vomit de la peinture sur le visage de l’autre). Elle nous jette ses danseurs en pâture, avec leurs cris et leurs souffrances, où les hommes dégueulent pendant que les femmes éjaculent.  Elle les affuble de toute une série d’objets qui les ridiculisent faute de perspectives à la dénonciation. Le sens peut-il encore émerger de la protestation à l’heure où le monde change, où tant d’artistes guident le spectateur sans le disqualifier ? Yasmeen Godder dénonce l’individualisme, mais quel collectif nous propose-t-elle?

En les poussant à bout pour qu’ils se métamorphosent, quel espace veut-elle créer, qu’obtient-elle de nous? Des applaudissements de convenance au coeur d’un festival institutionnalisé. Nous aurions pu siffler, protester. Cela aurait été notre regard, cela aurait pu même me « dégourdir ». Mais il y a le sourire gêné de ses danseurs, leurs corps épuisés.

Respect.

Pascal Bély – www.festivalier.net


?????? “Singular Sensation” de Yasmeen Godder a été joué le 27 juin 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

Crédit photo:Tamar Lamm

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« La Vouivre », la nouvelle vague du Festival de Marseille.

« La Vouivre » compagnie animée par Samuel Faccioli et Bérengère Fournier a conquis le public du Festival de Marseille. Comme si ces deux-là s’étaient affranchis d’une case, celle de « Question de Danse, questions d’artistes » dont le principe est de présenter des ?uvres non encore abouties. Le chorégraphe Michel Kelemenis (le maître des lieux) nous prévient qu’en première partie « Oups » a déjà tourné tandis que le deuxième « Opus » est en cours de création. Qu’importe ! Le cerveau du spectateur n’a rien à faire de ces cloisons et l’envie de s’émanciper de ces ruptures inutiles est plus forte. Car « Oups » et « Opus » forment bien un tout, par l’immense talent de nos deux compères et le regard ouvert d’un public attentif.

 

Il leur faut quarante minutes pour s’affranchir aussi d’un contexte alourdit par les convenances où d’un espace relationnel réduit à leur canapé, ils se déploient sur une scène « dématérialisée » peuplée d’oiseaux et de sons produits par le bruit de leurs gestes, de leur relation (exceptionnel travail du musicien Gabriel Fabing). D’emblée, leur danse s’inscrit dans une mécanique relationnelle et l’on se demande qui peut bien tirer les ficelles de ces deux marionnettes. Leur recherche d’un accord parfait n’est pas sans rappeler le temps lointain de nos parents où les convenances sociales et religieuses régissaient la communication ; à moins que leurs mouvements ne soient très actuels dans une société qui normalise tout autant le lien dans cette recherche (épuisante ?) de l’articulation parfaite, à l’image des annonces matrimoniales sur Internet ! A les voir se chercher en permanence les seins et le sexe avec des airs de ne pas y toucher, on sourit face à une telle naïveté, à moins que l’on ne s’inquiète de la pudibonderie montante de notre société « marketée ». Leur espace est un croisement permanent entre passé et présent et leur temps n’est que celui du processus. Ces deux-là émeuvent parce qu’ils positionnent leur relation sur plusieurs champs à la fois (psychologique et social). Et l’on se surprend à nous interroger : ce couple ne métaphorise-t-il pas le projet artistique de la compagnie? Et l’on se plaît à les aimer, à les ressentir, à s’en approcher, à les soutenir, à les trouver beaux, à leur souhaiter un bel avenir (ils paraissent si jeunes et si déterminés dans leur projet).

Ces deux-là nous offrent l’un des espaces les plus ouverts qu’il m’est été donné de voir, où  les danseurs s’articulent dans une interdépendance saisissante (moment incroyable où les corps servent d’émeteur radio !), où l’on passe du duo au trio comme métaphore d’une ouverture vitale, où d’une danse quasi fusionnelle, ils s’en émancipent pour laisser le corps oiseau se déployer (magnifique solo de Bérengère vers les derniers instants). Le son de Gabriel Fabing est une toile pour que la place de chacun ne soit plus statue, mais mouvement émancipatoire.

Alors que la lumière s’éteint, alors qu’elle est partie, on regarde Samuel. C’est à lui maintenant de voler, d’aller la chercher, d’imaginer encore et encore de nouveaux espaces pour nous montrer, une fois de plus, que la relation est la ressource la plus complexe qu’il soit.

Qu’ils nous montrent encore comment on fait…

Pascal Bély – www.festivalier.net

?????? «oups + opus» de la compagnie “La Vouivre” a été joué le 25 juin 2008 dans le cadre du Festival de Marseille.

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À Uzès Danse, principalement Christophe Haleb.

Vendredi 20 juin. « Uzès Danse ». Premier jour d’une longue migration festivalière qui me conduira d’ici, à Marseille, puis Montpellier, Avignon, Berlin…

À peine entré à l’Hôpital psychiatrique où le chorégraphe Christophe Haleb nous a donné rendez-vous, une actrice me confie une valise avec une chaise pliante. En plein soleil, un décor de plage  nous accueille puis le public se divise en deux groupes : ceux qui aiment le camping, ceux qui sont « no camping ». Belle entrée en matière où le spectateur est propulsé dans un imaginaire collectif, dans les méandres des souvenirs de l’enfance. Afin d’instaurer la confusion, un nouveau groupe est proposé, composé de détenteurs d’un PEL, d’une hypothèque sur leur avenir, d’une coquille sur le dos.

Avec « Résidence secondaire », Christophe Haleb et sa troupe réussissent à créer en quelques minutes un espace transversal. Mais ce décor de carte postale s’éclipse vite. Nous sommes invités à les suivre, objets à la main. Nous arpentons l’allée, entourés des patients de l’hôpital : entre psychisme et géopolitique, nous voilà contraints à l’exode, dans nos têtes, au c?ur des tremblements de la planète. Les contextes s’emboîtent et les corps des danseurs quadrillent le voyage pour contenir la tension montante : tels des sculptures vivantes, ils sculptent le groupe. Impressionnant.

Le camping est déjà loin et nous changeons de décor. Une longue tente blanche nous attend : c’est la « maison folie » d’un couple, fier d’être enfin propriétaire. Nous sommes invités à l’investir, à la traverser comme nous le faisions enfant avec nos tentes de bric et de broc. Sous les jupes de maman (ou des filles !), les spectateurs s’amusent à réinvestir cet espace perdu. Nous sourions (j’entends les rires de la gauche bien pensante) dès que nos interprètes évoquent cette « France de propriétaires » si chère à notre petit Président. Sur la corde raide, Christophe Haleb ne s’attarde pas avec cette grosse ficele et finit par nous offrir à boire ! La guidance continue alors que nos objets sont mis aux enchères pour meubler la maison de toile blanche. Moment délicieux où la mise à prix se fait à partir d’équations binaires. C’est tout un système enfermant de pensée qu’Haleb interroge, déconstruit, interpelle avec humour et gravité pour nous aider à réinterroger le monde et élargir nos cadres cartésiens de référence.

Tout bascule quand les interprètes (tous magnifiques) arpentent une allée que nous surplombons, en quasi méta-vision (cet hôpital au décor concentrationnaire est aussi un espace théâtral impressionnant) : là où nos objets envahissent l’espace trop plein de l’insignifiant, ils finissent par les enrouler autour de leur corps. L’exode se poursuit, sans nous. Le long défilé des souffrances planétaires s’anime dans un silence à peine troublé par une musique sourde et grave. Je ne bouge plus. Pétrifié par la force tragique de l’exode, danse macabre de notre folie d’Occidentaux. Sur ce tout petit territoire d’Uzes, Haleb réussit à jouer le monde qui tourne mal. Rien de culpabilisant dans la démarche. Bien au contraire. Alors que nous sommes réunis à nouveau pour déguster le fruit défendu autour d’une nappe assemblée de blouses d’infirmières ( !), ils poursuivent leur guidance vers de nouveaux espaces en nous offrant une séance de relaxation mémorable. Par la voix sécurisante de Christophe Le Blay, nous voici allongés, en épis, les uns à côté des autres, guidés pour introspecter notre corps, ouvrir nos sens, et ressentir les nappes phréatiques!

Plus « Résidence secondaire » se déroule, plus l’espace de la représentation s’élargit. À mesure que nous sommes acteurs de la globalisation, nous en devenons aussi les auteurs. Pour changer d’échelle, changeons nos espaces de représentations ! Tout est à revoir dans cette articulation global – local : il y a urgence. À voir ces artistes quitter notre maison commune pour les allées de l’Hôpital où l’un s’empale sur le grillage comme le réfugié des centres de rétention, l’autre marche sur les toits tel un funambule, une autre chante alors qu’elle ouvre une grande grille donnant sur la cour d’une prison, on est pris de frissons. Nos résidences secondaires finiront par brûler si une partie de l’humanité crève d’exode.

Loin des idéologies enfermantes, Christophe Haleb nous a permis de repenser la « terre patrie ».  Cette guidance est exceptionnelle, car elle n’est jamais disqualifiante. En s’appuyant sur nos ressorts créatifs, cette troupe est visionnaire lorsqu’elle repense le collectif comme force pour transcender le réel.

À voir la rangée des professionnels de la culture et de journalistes nous observer de loin sans jamais s’être impliqué dans cette épopée humaine, je comprends vite que certains vont y perdre leur parcelle de pouvoir.

Marchons.

Pascal Bély – www.festivalier.net

?????? « Résidence secondaire» de Christophe Haleb a été joué le 20 juin 2008 dans le cadre du Festival Uzès Danse..


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La soeurité cachée de l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes.

La France du foot retient son souffle pour ne pas sombrer dans le ridicule. Pendant ce temps, les élèves de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes se préparent à Montévidéo (Marseille) pour la première de « Soeurs et frères » d’Olivier Cadiot mis en scène par Ludovic Lagarde et Laurent Poitrenaux. Deux beaux mentors pour cette promotion 2008 qui poursuivra l’aventure, cet été, au Festival d’Avignon. Le public entre gratuitement dans le théâtre et je ressens le poids de la fonction : serions-nous jurés pour nous faire un si joli cadeau? Sommes-nous juges et partie ?

La fratrie s’invite ce soir. A chacun d’y trouver la métaphore la plus pertinente: nos frères et s?urs, la troupe de comédiens (et pourquoi pas celle de l’ERAC comme le suggère Ludovic Lagarde dans la note d’intention distribuée à l’entrée), votre équipe de travail ou celle de Raymond Domenech, le gouvernement…Ce soir, ils sont quatre frères, trois s?urs, à se réunir pendant quatre jours et quatre nuits pour faire l’inventaire de leur histoire commune. Toutes les techniques y passent (appel aux esprits autour d’une table, séance de Yoga, chants religieux, hypnose) pour libérer une parole trop longtemps étouffée ; le théâtre fait sous nos yeux ce qu’un thérapeute familial n’oserait peut-être pas entreprendre (quoique) !

Leur histoire semble écrite dans ces piles de livres posées à terre, que chacun soulève, soupèse, feuillette pour y chercher le secret, la phrase-choc d’un souvenir enfoui d’un écho sidérant ! Tous recouverts d’une couverture orange, on ne connaît jamais l’auteur de ces livres, seulement les titres. Ce pourrait être eux, vous, moi. À chaque situation d’étouffement, un évitement, une respiration, une note de musique, une parole décalée, une danse. Les mots percutants et « musicaux » d’Olivier Cadiot trouvent leur prolongement dans un jeu de ping-pong où tous excellent à tomber le masque, emmuré dans leur solitude, prisonnier de cette escalade symétrique qui faiblit rarement.

Mais rapidement, le contexte de l’École nous rattrape. La mise en scène joliment stylisée  guide les acteurs jusqu’à faire peser sur chacun un plafond de verre, une verticalité oppressante. Ils sont sous contrôle et la sensation d’assister à un concours de comédiens conforte l’éclatement de la fratrie. Je me sens éloigné alors que je suis issu d’une fratrie de quatre frères et trois s?urs ! Tout cela résonnerait-il trop pour que je sois touché ? La  longue table où nos protagonistes se passent les livres de l’un à l’autre, tel un travail à la chaîne, ne renforce-t-elle pas la distance ? Cette linéarité, métaphore d’une société industrielle, donne l’impression que « Soeurs et frères » s’étire en longueur. Les comédiens habitent leur personnage, mais peu la fratrie. Le corps est handicapé à l’image de ce frère sur chaise roulante, à défaut d’être le vecteur de ce lien transversal. Là où les Belges auraient transcendé l’individu par le collectif à partir de pratiques artistiques décloisonnées, nos metteurs en scène français n’expriment la souffrance dans le lien groupal qu’en fonction des symptômes de l’individu. Là où l’on aurait aimé un spectacle transdisciplinaire, Lagarde et Poitrenaux empilent les disciplines, jouent sur des effets de style et ne permettent pas de ressentir la fratrie, la troupe de comédiens. C’est ainsi que notre société se donne en spectacle dans son modèle descendant à défaut de jouer l’articulation du transversal et du vertical.

Dès l’École, il faut offrir à nos jeunes comédiens des espaces beaucoup plus élargis pour que leur imaginaire (et finalement le nôtre) puisse se déployer dans une recherche d’un sens global qui nous fait sérieusement défaut à l’aube de la postmodernité.

Pascal Bély – www.festivalier.net


Pour poursuivre la réflexion : « Équipe, frères et s?urs » par Catherine Méhu.

  ?????? ?Soeurs et frères? d’Olivier Cadiot,m ise en scène de Ludovic Lagarde et Laurent Poitrenaux a été joué le 17 juin 2008 à Montévidéo (Marseille).

La troupe sera au Festival d’Avignon du 18 au 24 juillet à 18h à l’Atelier ISTS au Cloître Saint Louis.


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Ludovic Lagarde sur le Tadorne:
Richard III”.


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A Uzès Danse, “OmU” de Laurie Young ou l’art de l’introspection cérébrale.

Après avoir croisé le chemin de Sasha Waltz, Benoît Lachambre, Emio Greco, Nasser Martin Gousset…, Laurie Young présente au Festival Uzès Danse sa première chorégraphie, provoquant pour ma part une certaine fébrilité.

« OmU »- titre de sa proposition – traite de ses questionnements et réflexions sur la notion d’identité.  N’est-il d’ailleurs pas le propre de chaque créateur de traiter de ses angoisses, de ses introspections ? Sauf que « OmU » se retrouve être une sorte de bric-à-brac d’analyses, d’idées qui finit dans l’incohérence la plus totale.

En jetant le trouble dès les premières minutes avec une projection d’images floues et des commentaires d’hommes et de femmes exposant ce qu’ils croient voir (une forme, une personne ?), nous oscillons entre le masculin et le féminin. La voix masculine décrie un aspect féminin et inversement. Amusant. La perception dépendrait-elle de notre rôle sexué, que l’argumentation est intéressante.

Apparaissent nos quatre danseurs. Alessio Bonaccorsi parfait androgyne colle à merveille au propos de Laurie Young. Troublé par l’image qui s’en dégage, je rejoins la question : “qui définit notre identité ?” La force de ce postulat est telle que je décide de m’abandonner dans les bras de Laurie Young pour sa démonstration.

Cependant, tout ne tourne pas autour de cette question. Laurie Young s’interroge aussi sur sa position face à la projection qu’en fait le public, autrement dit à sa posture d’interprète et de chorégraphe. Et c’est à ce moment que tout redevient flou. Retour à la case départ.

Je perds le fil conducteur pour me retrouver dans une mise en scène de goûter d’anniversaire sur une musique de A-HA (« Take on me »), sur des séances de maquillage filmées (travestir l’autre pour qu’il devienne autre que soi), sur la perte d’identité (couvrir tout le corps et ne plus voir de peau), sur la transformation d’Alessio Bonaccorsi, digne du roman de Kafka, sur un moment de parlotte durant lequel  les voix préenregistrées interférent dans les propos des danseurs. Les scènes se suivent et se zappent entre elles, finissent par me lâcher et rendre la proposition indigeste.

Je pense alors au dernier spectacle de Christian UBL qui interroge la place du spectateur et sur la valeur des applaudissements.

Le noir se fait. De timides applaudissements retentissent dans la cour de l’Archevêché. Je reste perplexe. Sans Klap, Klap.

Laurent Bourbousson- www.festivalier.net


?????? “OmU” de Laurie Young a été joué le 18 juin 2008 dans le cadre du Festival Uzès Danse.

© photo: Arnaud Poumarat

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A Uzès Danse, famous Alexandre Castres.

Quel bonheur d’avoir croisé le chemin d’Alexandre Castres, lors du Festival « Uzès Danse », avec sa création « Monsieur Zéro, famous when dead » créée dans le non moins select « Festival Temps Image » à La Ferme du Buisson !

Assis sur sa motte de terre, à pleurer son chien enterré, Monsieur Zéro cherche un projet pour nous proposer un spectacle. Il fouille, voit une idée germer, l’attrape et nous la formule : « je vais m’amuser à mourir ». Alliant vidéo-projections et mouvements, Olivier Castres nous emmène sur le terrain de la farce burlesque. Un parfum de Pippo Delbono flotte alors sur la scène…

Il saisit au bond toutes les facettes de l’absurde en nous comparant aux papillons, êtres éphémères qui peuplent nos jardins. Si notre fin est celle-ci, pourquoi se donner la mort ? En jouant différentes scènes de suicide, Alexandre Castres nous amuse et démontre l’absurdité de vouloir mettre fin à sa vie : « Même si la vie n’est pas drôle tous les jours, n’est-il pas bête de théâtraliser sa mort ? ». S’ôter la vie, même pour participer à un jeu de téléréalité intitulé « Night Shot » avec pour générique « Personal Jesus » des Depeche Mode, chanté en personne par Alexandre Castres, reste incohérent !

C’est alors que résonne la musique du film « Eyes Wide Shut » et nous voilà confrontés à l’image du suicidé par asphyxie. Moment d’une poésie suprême durant lequel l’homme se retrouve face à lui même, égoïste, s’ôtant le dernier souffle de vie en plongeant sa tête dans la terre comme pour s’enterrer et rester maître de son « après ».

Au travers de ses péripéties, Monsieur Zéro nous démontre que trop en faire en se donnant la mort empêche l’être de mourir proprement. Qu’allons-nous laisser alors comme image de notre personne ? Formulation absurde puisque si nous ne sommes plus, nous n’existons plus et notre image finit par s’effacer de la mémoire des connaissances.

Mais quand je n’existe plus, qu’est-ce qu’il advient pour mon être? Rien, le vide, le néant. Mais pourquoi ne plus vouloir être ? L’existence mène à la résistance. Résister à ne pas vouloir penser que l’on va oublier. Vivre.

Teinté de philosophie, le conte qu’Alexandre Castres nous a dévoilé est d’une poésie, d’une justesse absolue et aussi burlesque que notre vie. À travers ses yeux, je vois pointer une féroce envie de vivre et de rire aux éclats.

Alexandre Castres est un artiste en devenir.

À suivre de près, voire de très près.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

?????? « Monsieur Zéro, famous when dead » d’alexandre Castres a été joué le 18 juin 2008 dans le cadre du Festival Uzès Danse.

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Robin Decourcy, étonnant voyageur.


Le théâtre comme un refuge, une bulle pour s’arrêter. Net. Juste le désir d’une cassure. De rompre. Arrivés à la Friche Belle de Mai de Marseille, quelques minutes avant l’invitation de Robin Decourcy pour sa « Lettre au Mexique »,  nous sommes quelques-uns à caresser ce rêve de tout déposer, à l’image de ce spectateur assoupi dans un fauteuil de l’entrée. Une envie de confier à l’artiste la lourdeur de nos corps, pour tout lâcher. L’a-t-il prémédité pour avoir installé au premier rang quelques transats sur la scène? Aurait-il posé une oreille sur notre souffle coupé par la fatigue? Nous faisons face aux gradins vides. Timidement, il s’avance pour nous expliquer d’une voix hésitante le contexte de ce que nous allons entendre (des rushes sonores d’un voyage en Amérique Centrale). En nous souhaitant une belle « séance d’écoute », ses quelques mots résonnent dans une société atteinte de surdité. La lumière s’éteint.

Plongée en apnée : la respiration est haletante, j’entends des pas et le son coule sur moi, puis m’enveloppe. Rien n’arrête le voyage, car rien n’attache, tout me détache. Les amarres sont lâchées et je vois les gradins s’éloigner : le spectateur quitte son immobilité pour étirer son corps sur ce transat, élargir l’espace pour tout imaginer. Je divague. Il revient, torse nu. Son dos est une carte blanche, un territoire inexploré, à l’image d’une page où l’on poserait nos balises pour que tout soit possible. Il bouge lentement, se déforme puis disparaît. Le son s’amplifie pour ouvrir la scène. Les gradins, éclairés par l’arrière, prolongent le territoire de cette odyssée : tel un miroir réfléchissant, le spectateur se voit. La rangée de sièges vides devient par l’énergie de lampes de chevet, un espace cloisonné d’où j’observe la scène pour la première fois. Toutes ces petites cases font par la force du son, un territoire, celui du dépassement de soi.

Je (nous) vois assis, en face. Ce soir, nous sommes l’artiste de ce voyage où l’introspection est notre seul scénario. Notre bel homme n’hésite pas à s’asseoir, là où nous aurions dû être, entouré de ces deux lampes, comme s’il nous lisait le récit d’une vie. Mais nous n’entendons rien. Nous sommes déjà loin, dans un espace où je perds tout repère linéaire. Je navigue du global au local et me projette dans cet interstice où tous mes sens sont en éveil. De mon transat aux gradins, j’écoute, je m’écoute et ce sont ces allers-retours permanents qui font de « lettre au Mexique » une ?uvre rare, d’une intense fragilité, sensible au moindre mouvement du spectateur. Robin Decourcy n’impose rien, mais pose juste un cadre suffisamment flottant pour qu’un sentiment de très grande liberté m’habite, à l’image de la « machine » d’Heiner Goebbels présentée au  KunstenFestivalDesArts de Bruxelles  (« Stifters Dingue »).

 « Lettre au Mexique » est une ?uvre d’écoute active, une alchimie merveilleuse entre le son, le corps et l’espace.

Je n’en suis toujours pas revenu.

Pascal Bély www.festivalier.net

Lettre au Mexique”  de Robin Decourcy à la Friche Belle de Mai le 12 juin 2008 dans le cadre d’une fin de résidence à Euphonia.

  Photo: Robin Decourcy, 2006 photographie Vincent Leroux – http://www.tempsmachine.com/

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PETITE ENFANCE

“Pinocchio” par Joël Pommerat ou le parcours initiatique de la vie.

“Ce spectacle dénonce beaucoup de choses, notamment la justice et la société dans laquelle on vit.”  

Manon Bourbousson

Comment est le Pinocchio de Pommerat? À cette question, je serais tenté d’écrire: noir, très noir. Tant pas sa mise en scène, que par le sujet abordé, nous sommes loin des images édulcorées que tout un chacun a en sa mémoire d’un Pinocchio sorti d’une célèbre firme américaine. Ce conte vieux de 127 ans de Collodi nous projette dans ce que l’on peut appeler le parcours initiatique de cette marionnette devenu enfant.

Joël Pommerat prend appui sur ce récit pour expliquer aux enfants – car n’oublions pas qu’il s’agit d’un spectacle jeune public – la difficulté de devenir un être bon. Sa réécriture fait de notre Pinocchio un enfant contemporain, avec ses propres codes, son propre langage, dénonçant les travers de notre société. Et ils sont nombreux. Invités par une sorte de Monsieur Loyal, issu des cabarets, nous sommes entraînés dans ce récit à une vitesse folle.

C’est par une succession de tableaux et de noirs que Pommerat décide de nous dévoiler sa vision de notre monde et la difficulté de garder le cap pour être une personne respectable et respectée. La solitude qui ronge l’être (Gepetto se construit un fils pour ne plus être seul), la pauvreté (Gepetto qui ne peut lui offrir à manger), la banalisation du langage violent (un Pinocchio que l’on aimerait corriger tant les paroles envers son père sont blessantes), la société de l’image (que peut-on penser de moi si je n’ai rien de neuf), le sexe (les enfants sont confrontés au monde sexuel quotidiennement : dans la rue par les devantures des presses, à la télévision, sur internet), la naïveté des enfants face aux adultes (« viens, suis-moi, je t’emmène dans un lieu où tu joueras tout le temps »), la course à l’argent, l’oisiveté et les loisirs pour ne pas penser et réfléchir, le rejet des racines familiales pour briller en société (“je ne suis pas pauvre“), le racisme (combattre l’autre pour sauver une identité), la justice punitive à l’excès et l’imbécillité de l’humain. L’ensemble de ces tableaux compose le monde capitaliste et égoïste dans lequel nous vivons.

Fort heureusement, la fée veille sur Pinocchio pour lui faire entendre que l’on ne peut être si l’on n’est rien, que se mentir à soi-même à une limite, celle d’être toujours rattrapé par ce que nous fuyons. Être, verbe indispensable dans notre langage, est la déclaration de ce Pinocchio quand il renaît et devient le petit garçon pensant, réfléchi et réaliste.

J’aimerais être un de ces enfants découvrant ce spectacle pour déjouer les pièges que l’on me tend, grâce à cette belle leçon humaine.

Laurent Bourbousson.

Pinocchio” de Joël Pommerat a été joué le 28 mai 2008 au Théâtre des Salins de Martigues.