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EN COURS DE REFORMATAGE

Le Festival de Marseille fait tomber les murs de La Criée avec « Eraritjaritjaka, Musée des Phares »

« Que va-t-il encore m’arriver ce soir ? ». Telle est ma question alors que j’arpente le hall du Théâtre de la Criée pour le deuxième spectacle du Festival de Marseille. Le titre imprononçable de la pièce, le texte opaque de la bible brouille les pistes. Installé, je tente de me laisser aller. Un quatuor prend place sur scène, lumière blanche, sol noir et Bach en introduction. Un homme arrive en costume trois-pièces (sublime André Wilms) et le décor se transforme. La lumière bouge, le suit et l’éclaire comme s’il cherchait la voie, le chemin. Il joue des fragments de textes d’Elias Canetti (1905 – 1994), prix Nobel de littérature. La mise en scène d’Heiner Goebbels prend alors des allures féeriques : l’homme s’amuse avec des robots comme avec un animal de compagnie. Métaphore d’une société déshumanisée, les textes poétiques de Canetti frappent par leur justesse et leur résonance. Mais je me sens enfermé, comme s’il n’y avait plus d’échappatoire dans cette société en perte de sens. Où vais-je dans ce spectacle ? Je suis rapidement perdu comme si je n’arrivais plus à relier le texte, la musique et le jeu de l’acteur. Fatigue ? Incompréhension ? Un vacarme envahit la salle ; les lumières dessinent sur la scène par petits points une ville futuriste. Je perds définitivement pied.
Une maison en miniature arrive sur scène ; comme suite à un numéro de magie, elle se met à fumer et s’éclaire pour finalement finir en fond d’écran où va se projeter l’impensable ! L’homme quitte la scène, accompagné d’un caméraman. Nous suivons son périple sur la « maison- écran ». Une voiture l’attend devant le Théâtre de la Criée. Installé à l’arrière, il nous parle avec les mots de Canetti. Rêve ? Réalité ? Je ne sais plus où je suis: comment Goebbels peut-il oser cela, nous laisser converser avec ce quatuor dedans alors que le comédien est dehors. Arrivé  de l’autre côté du port, il sort de sa voiture et entre chez lui. Le journal « La Provence » daté d’aujourd’hui est à terre. Nous rions. Il est donc bien dehors. Le cameraman accompagne les mots avec brio. Pour la première fois de ma vie de spectateur, la vidéo est une oeuvre d’art à part entière tant les mouvements de la caméra sont poétiques (moment de pure beauté lorsque le vieil écrivain est filmé à travers les grilles de la planche à repasser !). Nous partageons son intimité alors qu’il se prépare une omelette (on sentirait presque l’odeur dans la salle). C’est bon, je suis avec lui. Comme devant un tour de magie, je suis émerveillé de la prouesse technique et artistique. Et puis, tout se brouille à nouveau comme un poème dont le livre se transformerait au fur et à mesure que vous le lisez : de papier, il devient écran puis partition de musique. Par quel miracle, retrouvons-nous le sur scène avec le quatuor ? Comment peut-il être ici et là ? Le lien avec ce vieil homme attaché à son écriture pour vivre, m’envahit. Je me sens dedans sa maison et dehors pour l’observer. Le metteur en scène Heiner Goebbels signe une pièce majestueuse, car il brouille nos repères et nous positionne comme acteur de ce que nous voyons. Cette posture du dedans – dehors est une réponse au texte pessimiste de Canetti pour qui la société perd le sens. Le fait même que je quitte ce spectacle heureux, curieux, ouvert prouve à quel point la mise en scène de Goebbels donne cet espoir dont nous avons besoin : un monde ouvert où la pluridisciplinarité, en abattant les cloisons de nos maisons, ouvre le plus beau des chantiers : reconstruire ce que l’on n’avait pas prévu.

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