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FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon 2015 – “Moi je”, l’autre et combien ça coûte…

Le Festival d’Avignon vient de commencer. Cette année point de rendez-vous avec les spectateurs dans le cadre des « Offinités », espace critique interactif et créatif que nous avons créés en 2009 pour le OFF. Nous « autres », les spectateurs, sommes priés de consommer et le Tadorne de penser ailleurs…

Cette année, point d’ambition dans la programmation du In, où l’omniprésence d’Olivier Py et l’absence d’une vision sur le rôle du Festival, laisse présager une édition molle, égocentrée, d’autant plus que le festival connait une baisse de ses subventions entraînant la suppression de deux journées de spectacles.

Olivier Py s’est dernièrement répandu dans les médias pour protester. Nous ne savons rien des motivations qui poussent les collectivités locales à diminuer leur contribution. Depuis six mois, aucune prise de position dans le milieu culturel ne vient faire politique. On se contente de réclamer sa subvention. Les mêmes qui saluaient une étude conjointe du Ministère de la Culture et de l’Économie sur l’importance du secteur culturel dans l’économie du pays s’étonnent que cette vision cloisonnée se retourne contre eux. Les processus des politiques culturelles transforment l’art en marchandise, réduisent la pensée en incantation à bien penser à l’image de la trouvaille d’Olivier Py qui, avec « je suis l’autre », nous fait la leçon : « C’est comme cela la culture commence, mais aussi la conscience politique ». « Je suis l’autre »…ou comment redéfinir l’altérité pour légitimer son pouvoir sur nos consciences…

Cette année, point d’intermittents en lutte…Et pourtant. C’est maintenant qu’il faudrait faire du bruit, provoquer des agoras. Mais le dépassement des revendications catégorielles pour penser la politique n’est pas dans notre culture, car nous ne travaillons pas suffisamment les processus transversaux au cœur de la pensée complexe. Nous restons vissés à des approches binaires enfermées dans les visions égocentrées des politiques culturelles et démissionnons face au diktat du chiffre, du quantitatif.

Inutile de compter sur la presse institutionnelle pour ouvrir des perspectives. Le dernier article de Rosita Boisseau dans l’édition du Monde consacrée au Festival m’a sidéré. Autour du merveilleux spectacle du chorégraphe Philippe Lafeuille programmé au OFF (“Tutu), la journaliste évoque les affres de la production en Avignon. Quasiment rien sur le propos artistique. Ce serait un article pour Les Échos que je ne trouverais rien à redire. Ici, l’artiste n’est qu’une variable d’ajustement d’enjeux économiques. Pas une ligne sur la visée politique de «Tutu». Rosita Boisseau nous prend à témoin des dessous d’une production privée qui en aucun cas n’interrogent notre positionnement de spectateur et de citoyen. Pour cela, elle aurait dû s’intéresser aux modes de fabrication du In, certes moins visibles, mais qui questionnent les processus d’élaboration d’une politique culturelle. Mais le clivage entre le OFF et le IN ne l’autorise pas à penser autrement : au OFF l’économie du spectacle vivant, au IN la noblesse de la culture à la française ! Rosita Boisseau glisse vers le journalisme économique et valide ainsi les stratégies politiques et managériales qui nous éloignent de ce qui nous regarde vraiment : pour quoi «Tutu» en Avignon, comment Olivier Py fait sa politique contre la politique, vers quoi aller pour repenser la place de l’art dans une société en mutation ?

Autant de questions qui me traversent en ce début de festival.Tandis que le paradigme quantitatif tourne à plein régime, « La maison brûle et nous regardons ailleurs » (déclaration de Jacques Chirac en 2002 au sommet de la terre de Johannesburg).

Le soleil brûle à Avignon. Regardons le théâtre et pensons l’ailleurs. Il est si proche et se rapproche.

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Dessin de Luz dans son dernier ouvrage, Catharsis.

Pascal Bély – Le Tadorne