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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, les réactionnaires ont le gourdin et sortent du bois?

«Promenons-nous dans les bois, pendant que le  le loup n’y est pas»…et bien non, ce n’est pas le loup, c’est Tonton…et  vous savez quoi ? Tonton, il a le gourdin et Tata est une Lutin. Bienvenue dans «Oncle gourdin»  de Sophie Perez et Xavier Boussiron…

Chaque édition du Festival In a son objet fétiche, son truc, son appareil scénique, et souvent une attitude commune à tous les spectacles…Une année, ce fut des ballons gonflables, puis des filets de maille suspendus, des échafaudages,  les fumées sur les plateaux, le sang à toutes les sauces, beaucoup de bruit pour rien, des bruits de chemin de fer. Une autre fois, ils étaient tous nus…

En 2011, après quelques représentations, le faux prend sa revanche sur le vrai…La taxidermie est partout, les scènes sont envahies par des peluches,  des animaux de compagnie . Le furet est là en guise de spectre, le chien sert de défouloir, et le chat que l’on force à danser… Avec le thème dominant de l’enfance,  la régression irradie bien des spectacles : c’est le “nin- nin”, le doudou, la poupée, la  fourrure qui prennent le dessus…Tout ce que l’on touche doit être doux, ce que l’on caresse doit apaiser, ce  que l’on cajole doit rassurer.

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Ce soir dans «Oncle Gourdin», on caresse, mais on scie aussi. On découpe en tranches son animal préféré, on sort du bois, on se couche, on se touche, on s’exhibe, on prend une carotte en guise d’outil masturbatoire, on s’assoie sur un sexe avec des pattes d’araignée….

Toute cette folie forestière sert d’artifice pour dire que nous sommes tous des Lutins fous et lubriques, qu’on joue tout le temps comme si on était en représentation…..jusqu’à se prendre pour Pina Bausch, pour Jeanne Moreau en E.T qui appellerait désespérément le fantôme de Jean Vilar.

Allez, allons-y, n’ayons pas peur, on se fout gentiment de la gueule de tout le monde. En avant la Déraison, en avant l’Autodérision. C est  parfois désopilant même si au bout d’un moment on commence à se lasser.  N’est pas Pina Bausch qui veut ! Contrairement à  Vincent Macaigne (qui fout autant de bordel sur scène que nos lutins lubriques), l’histoire s’éparpille, et ce bric-à-brac (dans le sens noble du terme) ne devient qu’une suite de gags et de sketches sans cohésion. Juxtaposition et non Intégration. À regret.

On reste souvent au bord du lit même si les Lutins veulent “être in bed with Paul  Claudel” ! On regrette une vraie Yolande Moreau et ses vrais Deschiens sachant que, comme ils disent, “Jean Vilar ne nous laissera jamais tranquille” et que l’on est inquiet quant à «la venue d’Olivier Py» à la tête de la direction du Festival d’Avignon en 2014.

On est loin de l’univers de Philippe Quesne et de sa “Mélancolie des Dragons présentée en 2009. On aimerait bien que le chorégraphe Dave St-Pierre nous revienne aussi avec sa bande d’illuminés….eux qui nous avaient tant attendris en 2009 avec «Un peu de tendresse, bordel de merde!».Comment ne pas évoquer Olivier Dubois et son “Après Midi d’un Faune” présent à Avignon en 2008 : c’est la même forêt qu’en 2011 mais on regrette les fondements, qui en sont absents…..

En passant,  les comédiens d’Oncle Gourdain nous disent qu’ils ne sont pas danseurs, qu’ils ne sont que  des performeurs… c’est peut-être vrai, c’est ironique, mais on les appellera toujours “Pudelague et Kaunasse”…de drôles de Lutins perdus, superbes, magnifiques et attendrissants.

C’est un bon moment passé avec eux, les FousFous, mais on reste quand même, caché derrière un arbre, un peu insatisfait, et va savoir… on se demande pourquoi on reste sur sa FIN…La Dérision ne masque-t-elle pas un  désespoir caché ?…Allez savoir…

Francis Braun.

Mon désespoir, c’est la répétition d’un tel propos: faute de pouvoir penser le théâtre comme  un geste artistique et politique permettant de renouveler la pensée, des artistes tapent.  Même sur le Festival d’Avignon (en évitant soigneusement de s’en prendre à la direction actuelle…). On tape sur le système tout en profitant de ses largesses. Cette génération de metteurs en scène (ils ont entre trente et quarante ans)  est enfermée dans une vision romantique : ils croient à l’immensité de leur talent, mais ils pensent que le monde actuel leur est hostile. Alors, ils tapent…Et nous rions…sauf que derrière ces lutins, se cache une bande de réactionnaires, ceux-là mêmes qui nous pourrissent la  vie en empêchant l’émergence d’une pensée complexe qui serait capable de redistribuer les cartes, avec d’autres jeux, dans d’autres mains. Je combats ces gens au quotidien dans mon métier et sur ce blog. Car nul ne doute que si ces lutins voyaient un tadorne, ils le déplumeraient pour le jeter aux chiens.

Pascal Bély  – Le Tadorne.

“Oncle Gourdin” de Sophie Perez et Xavier Boussiron du 12 au 17 juiillet 2011 au Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON

Des hommes sur le fil du Festival Off d’Avignon.

Il entre en scène, vêtu d’un manteau gris. Un bâton de dynamite à la main, il allume la mèche pour se faire éclater. Fini la comédie. Il faut ranger les rires, introspecter l’homme qui se cache derrière le clown. Une déflagration résonne. Il réapparaît avec son nez rouge.  Avec «Anatomie d’un clown», Philippe Goudard s’interroge : pourquoi rien ne marche dans ses numéros ? Doit-on donner du sens à tout?  Avec une mécanique précise, cet enseignant-chercheur en arts du spectacle explore les ressorts du cirque et ceux du théâtre. L’un ne rencontre jamais l’autre malgré leur enchevêtrement. Il s’amuse à distinguer les deux en les incluant dans ses numéros. Les tours ratés servent alors de postulat pour disséquer le clown et poser une frontière poreuse avec son double.

Dans la mise en scène de la vie quotidienne,  le sociologue Erwing Goffman précise que donner vraisemblance au rôle que l’on s’attribue, c’est faire passer l’image que l’on se fait de soi. Une représentation au coeur même de la proposition. Si le clown fait rire, est-il à son image ? Si le public s’amuse, renvoie-t-il l’image que l’on attend de lui?

L’écriture dramatique du jeu clownesque, sur lequel vogue Philippe Goudard nous interroge sur la notion introspective d’un spectacle. Si l’artiste s’inspire de sa propre expérience pour interpréter un rôle, de quoi se nourrit le spectateur ? La réflexion devient vertigineuse. Qui de l’homme ou du clown vient de nous divertir ?

Le public assiste à cette mise à nu du Jeu. L’homme joue, le clown en fait de même. Nul besoin de faire de distinguo, tous deux sont fait de la même matière.  Ainsi prend sens ce cours d’anatomie. Bravo l’artiste !

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Sur une piste de cirque miroir, Mircea Silaghi s’avance. Une boîte musicale entre les mains et des poupées pour acrobates. Il joue et nous emporte dans un flot de paroles. Son accent aux teintes d’Europe de l’Est entraîne notre imaginaire sur le fil des mots. Mircea Silaghi embrase l’écriture du «Funambule» de  Jean Genet qui aurait certainement dit de lui : «Il est beau comme un Dieu»?

Suspendu à ses lèvres, je frissonne lorsqu’il l’imagine sur un fil d’acier, tiré entre deux mats de chapiteau. Il l’écoute glisser ses pieds sur la froide matière, l’écoute rebondir, l’écoute vivre. Les mots de Jean Genet effleurent, caressent, pénètrent dans ma peau. De ce funambule, j’en découvre la vie, voit son corps dans son habit, imagine son sexe ganté. Je vis à titre posthume, cet amour pour l’artiste. De son art, j’en saisis la grâce, l’indéfectible lien qui l’unit à lui, à nous. Mirca Silaghi a cette beauté insolente qui donne chair aux mots de Genet. Il les déclame, joue avec, pour mieux m’attraper. Le reflet de son visage me renvoie la profondeur de la piste de cirque. Plonger dans son regard, c’est faire le choix de tomber dans l’abîme. Une douleur exquise qui parcourt la peau. L’écriture est charnelle, la proposition l’est tout autant.

Du funambule, ne pas détourner les yeux lorsque ce dernier, marchant sur son fil, sautille comme s’il était à même le sol. Du funambule, en regarder la puissance, celle de déjouer la mort. Du funambule, garder en mémoire son existence misérable pour mieux briller sur son fil.

Approchez, Mesdames et Messieurs, laissez-vous porter par ce requiem. Jean Genet avait la force des mots, Mircea Silaghi a la force de l’incarnation.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Anatomie d’un clown, avec Philippe Goudard. Théâtre de l’Adresse. Tous les jours à midi jusqu’au 31 juillet.

Le Funambule de Jean Genet. Mise en scène de François Jacob, avec Mircea Silaghi. Une production Franco-Roumaine. Au Collège de la Salle jusqu’au 28 juillet à 9h45.