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LA VIE DU BLOG

En 2010, face au “toujours plus”, l’art de l’épure. Essentiel.

En ces temps troublés où la mécanique tend à prendre le pouvoir sur le processus créatif, nombreux sont les artistes à nous avoir offert en 2010 une immersion dans l’immatérialité la plus totale. Peu ou pas d’histoire, comme s’il y avait urgence à laisser transpirer les corps d’effluves essentiels. Petite sélection sur les 140 spectacles vus en 2010…

Anne Teresa de Keersmaeker / “En atendant” /Festivald’Avignon

Cindy Van Acker / “Lanx”,”Obvie”, “Nixe”, “Obtus“/ Festival d’Avignon

Michel Kelemenis / “Henriette et Matisse” / Théâtre des Salins de Martigues – Biennale de la Danse de Lyon

Virgilio Sieni / “Tristes tropiques” / Biennale de la Danse de Lyon

Yan Raballand / «Viola» / (re) connaissances à Décines

Thomas Lebrun / « Allone#3 » / Présence Pasteur , Festival Off d’Avignon

Collectif Petit Travers / «Pan Pot ou modérément chantant“/ l’Hexagone, Scène Nationale de Meylan

Joseph Nadj et Akosh Szelevényi / « Les corbeaux » / Festival d’Avignon

Christian Rizzo / ?l’oubli, toucher du bois?/ Festival de Marseille

Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah et May Zarhy / «Zero» / KunstenFestivalDesArts de Bruxelles

Patrick Servius / «Lespri Ko»/ Les Hivernales d’Avignon

De la terre comme plateau. La lumière du soleil couchant comme seul éclairage. Tout n’était qu’épure pour une danse innommable. Avec «en atendant», Anne Teresa de Keersmaeker a signé un chef d’oeuvre en retirant de son langage chorégraphique des élisions dangereuses pour y placer des traits d’union entre des danseurs majestueux et des spectateurs respectueux. Inoubliable.

Dans la « lignée », entre les empreintes sur le sol, et la lumière, matière pour traces chorégraphiées, Cindy Van Acker avec quatre solos («Lanx” / “Obvie», «Nixe “/ “Obtus») a provoqué le «syndrome de Florence» au coeur d’Avignon. Palpitant.

Avec “Viola”, le jeune chorégraphe Yan Raballand a composé une partition chorégraphique légère  et lourde de sens (avec cette étrange impression que le corps pèse deux plumes) pour nous envoyer des vibrations délestées d’un propos qu’il aurait fallu comprendre.

Dans «Allone#3», Thomas Lebrun a tombé le masque pour nous offrir une danse virtuose qui soulève le coeur de tant de grâce. Elle signe l’exigence d’un chorégraphe prêt à métamorphoser ses questionnements essentiels en mouvement généreux. Rare et précieux.

Avec «Pan Pot ou modérément chantant“, le collectif “Petit Travers” a réinventé l’art du jonglage pour en faire l’éloge de l’inattendu où la virtuosité surprend à chaque mouvement comme s’il jonglait avec le liquide.

Christian Rizzo a évoqué ce besoin presque vital de toucher du doigt que la danse est affaire de peau et de mémoire, de vie et de mort. Dans “l’oubli, toucher du bois, j’ai été propulsé dans un espace quasiment dématérialisé, où l’on navigue entre vie et mort, sens et perte, évanescence et effervescence.

Dans “Zero“, Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah et May Zarhy ont osé chorégraphier des corps sans mémoire: ne restaient plus alors que le déséquilibre et le toucher pour explorer le mouvement à partir d’articulations insensées. Inquiétant et jouissif!

Je n’
oublierais pas de sitôt “Tristes tropiques” de Virgilio Sieni. L’épure est ici dans la rencontre avec « l’autre différent »: au point de convergence du symbole et du lien, du rituel et de la tendresse, du jumeau et du frère, du corps animal et de la danse animale.

La différence, l’identité est une recherche du mouvement, à l’image de la danse de Patrick Servius. Dans «Lespri Ko», Patricia Guannel a beaucoup impressionné: c’est une actrice qui danse. Rare.

Dans «Les corbeaux», le chorégraphe Joseph Nadj et le musicien Akosh Szelevényi nous ont fait découvrir l’atelier du «peintre danseur» et du «musicien pinceau» pour y dévoiler le territoire des humains migrateurs qui se perdent dans la forêt pour voler de leurs propres ailes. Sublime.

Le travail de l’épure conduit inéluctablement vers la peinture à l’image du beau et sensible travail de Michel Kelemenis. Dans “Henriette et Matisse” , «le clair de lune» de Debussy a éclairé «les Nus bleus» de Matisse , tous deux complices pour puiser dans nos fragilités les ressorts de notre sensibilité.

Rendez-vous en 2011, pour voir encore de la danse en peinture…

Pascal Bély, www.festivalier.net