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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’adolescence chagrine.

Belle tentative que d’essayer de mettre le doigt là où ça fait mal à l’adolescence. “Le chagrin des ogres”  de Fabrice Murgia s’appuie fortement (trop?) sur la technologie pour tenter de nous faire entendre (de nous rappeler) le bruit et la fureur de cet âge “cruel”.

Autopsie d’un passage où l’on doit lâcher hier pour aller vers un ailleurs dont on ne perçoit, à ce moment,  que le tonitruant bruit d’un renoncement de soi. L’enfance est là abîmée, ensanglantée, à l’image de cette poupée humaine qui arpente la scène et enjoint, câline ou vociférante, de ne pas céder. Le monde adolescent nous est montré comme enfermé dans la prison des espaces numériques, la relation à l’autre s’établissant via la caméra et internet à coup de « mensonges » scénarisés ou d’obsessions « infantiles ».

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Peut-être est-on avec «le chagrin des ogres» trop dans la métaphore archétypée,  tant dans les tableaux pathologiques des personnages que dans les rappels d’un réel de faits divers. Il me semble regrettable d’avoir raccroché ces portraits à des faits d’actualités trop marqués par les couvertures médiatiques dont ils ont fait l’objet. Le tableau me paraît trop tranché et pourrait renforcer l’idée que c’est par le « scoop » que l’on peut faire entendre sa souffrance. Cela bien sûr étant, je le crois, à l’encontre de ce que souhaite la troupe.
Ce travail pourrait être un excellent outil de prévention et permettrait d’ouvrir le dialogue avec ceux qui traversent ce bouleversement. En ce qui me concerne je n’ai pas retrouvé trace de mon histoire, je sais…, elle date du temps d’avant internet. Mais, en cela, cette proposition peut revendiquer une parole de son époque.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à une autre pièce vue l’an dernier au Off : « Chatroom » qui traitait une problématique similaire, mais avec une mise en scène moins « spectaculaire » et un propos à mon sens plus fouillé.
Cette proposition me laisse donc sceptique, je ne peux m’inscrire dans un regard net, c’est peut-être là l’un des objectifs de ce chagrin que de donner à questionner ce que l’on voit et de ne pas trancher. Puissent, dans ce cas, les larmes des ogres ouvrir des espaces où percevoir et entendre que l’enfance n’a pas besoin d’être jetée comme un vieux « doudou » pour se lancer dans le monde des « grands».

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Le chagrin des ogres” de Fabrice Murgia à la Manufacture (Avignon) jusqu’au 27 juillet 2010.

Crédit photo: Cici Olsson.

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Au Festival d’Avignon, Cosima, Jean-Luc, Papa, maman, le festival, et moi. Sans moi.

« Le sujet à vif » m’ennuie. Nichée au coeur du Festival d’Avignon, cette programmation a longtemps étonné. Depuis trois années, elle déroute comme si le schéma de « commande passée à » produisait un « entre soi », des formes narcissiques où l’on se regarde à défaut d’ouvrir le regard vers un ailleurs.
Je ne m’attarderais pas trop sur le programme D où se succèdent les commandes passées à Christophe Fiat et Foofwa d’Imobolité. Dans le premier cas, Laurent Sauvage, guitare en bandoulière, nous conte l’histoire de Cosima de Flavigny (maitresse de Richard Wagner). C’est long, froid, immobile. Fiat transforme ce bel homme en glaçon qui peine à fondre. Pour la deuxième proposition, « Au contraire », le chorégraphe Foofwa d’Imobolité nous propose une danse à partir de Jean-Luc Godard. Je connais peu ce cinéaste. Je n’en saurais pas plus. Il y a de l’amusement sur le plateau, mais je me sens au dehors d’une chorégraphie pourtant érotique. Je deviens glaçon, qui ne fond pas.
Le programme C déçoit fortement d’autant plus que deux grands noms en ont pris les commandes : la chorégraphe Olivia Grandville et la comédienne Ariane Ascaride.

La première conte l’histoire du festival d’Avignon à partir de sa famille. En fond de plateau, un grand panneau (genre brainstorming né d’une réunion de managers d’entreprise), où l’on a jeté là les figures mythiques du Festival d’Avignon (Vilar, Bagouet, Bausch, Godard, Moreau,.. ;) et des dates clefs (1968, 1992, 2003, ?). Sur scène, Olivia Grandville, sa mère (Léone Nogarède) et la danseuse Catherine Legrand. Ainsi peut commencer le voyage comme un défilé de cartes postales. Cela ne me traverse jamais d’autant plus qu’Olivia Grandville fait peu de liens entre ce festival et les processus familiaux. Or, la relation au Festival d’Avignon est un rapport presque « charnel » que la danse met à distance. Olivia Grandville semble dépassée par l’ampleur de la tache d’où ce besoin de délimiter par des ronds et des traits qui ne veulent rien dire sauf à tracer sa propre traversée dont elle peine à donner de la substance.

Suffit-il qu’un nom soit posé pour qu’il soit incarné ? Suffit-il d’inviter sa mère sur le plateau (au demeurant fort sympathique, mais dont je ressens la fonction contrôlante du « témoin ») pour qu’un lien se noue entre l’histoire du théâtre, d’Avignon et celle des spectateurs ? La forme donne l’impression d’une déconstruction (en effet, rien n’est chronologique) mais la façon d’aborder l’histoire reste binaire tant la succession d’images et de sons finit par exclure le sens de l’Histoire. C’est un passage en revue, un diaporama, un texte à l’épaisseur d’une carte postale, là où j’aurais tant apprécié du relief, de l’écho. Seule l’évocation de la crise de l’intermittence de 2003 trouve une certaine résonance mais ici aussi, on survole à partir de bribes de discours et de lettres des ASSEDIC là où le silence aurait été plus approprié.

Avec Ariane Ascaride dans “proposition d’un jour d’été” l’histoire prend son temps. Pendant un long moment, elle nous explique le concept de « commande ». Elle s’excuserait presque d’être là. Enfermée elle aussi dans la carte postale, elle nous conte l’histoire du théâtre à partir de sa vie familiale à Marseille. En se plaignant d’être « la madone des ouvriers », elle ne peut s’empêcher d’y revenir même si l’habit ne fait pas le moine. Ariane Ascaride joue la petite fille de son père, là où j’aurais aimé approcher l’humilité de la grande comédienne face à l’histoire. Elle me perd définitivement dans le pittoresque et le dernier tableau où elle danse dans un costume de lumière ne me rattrape pas. Je suis déjà loin.

Au final, entre une “semaine » et « un jour d’été“, on effleure de peur d’être trop présent.
Pascal Bély – Le Tadorne

“Proposition d’un jour d’été” à partir d’un texte de Marie Desplechin; “Une semaine d’art en Avignon” d’Olivia Grandville au “Sujet à vif” du 19 au 25 juillet 2010.

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Big Bang au Festival d’Avignon.

Même le chien ne parlera pas…ou pas de blablabla“, ou “ padutoutpaperlapap »…ou peut-être “ une île pour quoi faire“.
Ça me change des éléments de langage…
Ça me change du prêt à voir et à entendre…
Ça me change…

Avec « Big Bang », Monsieur  Philippe Quesne est doué pour l’art du rien et du tout à la fois.
Monsieur Philippe Quesne est peu loquace, mais il arrive à dire beaucoup de choses avec juste un peu de rien qui nous remplit. La fin du festival d’Avignon approche. On m’a beaucoup dit, mais j’accueille. Il y a encore de la place pour qu’il m’aide à articuler tout ça…

Dans “La Mélancolie des Dragons“, spectacle présenté en 2008 au Festival d’Avignon, il y avait une histoire, du début à la fin, totalement insolente.
Il nous surprenait constamment, et on était ébahi, heureux, émus, déstabilisé, émerveillé comme des enfants. C’était un conte de nulle part, avec sa magie incongrue qui tombait, il faut dire, toujours à pic…
Big Bang“est autre chose.
C’est une proposition différente même si on retrouve ses points de repère. C’est  un concept plus abstrait, c’est une situation qui se veut être plus un état qu’un récit parlé. À vrai dire, ce  n’est pas une vraie histoire.
Et si on lâchait l’histoire? Comme ça, pour voir ce que ça nous fait. Sans histoire, que devient le spectateur ? ll est nu, il cherche à se rhabiller. Moi, j’enlève, j’enlève…Sans être à poil, «Big Bang» me met seulement à découvert…

Je vous livre un secret…le chien ne parlera pas, et en plus  n’attendez pas de long discours.
Décrire ce qui se passe serait réducteur.
Il y a l’éternelle neige chère à Philippe Quesne. Il y a la voiture toujours là, mais cette fois à l’envers…
Il ya le feu des hommes préhistoriques, des formes informes en fausse fourrure qui, comme des pachydermes, se meuvent en rampant; il y a comme des pingouins qui ressemblent à des Pénitents en goguette, il y la neige, la chaleur, il y aura l’eau, l’île, les bateaux, les arbres…
Il y de l’humanité. Celle que l’on ressent si peu à force d’être soumis tous les jours au flux des images, au flux RSS, au flot des mots…Ici, du mouvement, que du mouvement. Et du beau. Oui, du beau, car c’est le langage de l’humanité. Vous ne voulez tout de même pas qu’elle se mette à parler SMS traduit en Anglais ?
 
On prépare quoi ? Nous, on ne sait pas vraiment, mais le Script, lui, le sait. Il s’occupe de “ses ouvriers” de l’espace, des lumières, il bricole en coulisse et les comédiens obéissent docilement aux conseils prodigués.
On ouvre l’espace de la scène, et on comprend à ce moment-là que le Maître de cérémonie a dû être plasticien, ou graphiste. En tout cas, maître es-espace, maître es-insolite, peut-être maître es-absurde.
Ce maître de cérémonie remet délicatement du sens. Les «autres», sont hors du coup, hors champ. Ils ont explosé en vol, laissant derrière eux voiture retournée, barbecue d’été et une cargaison de bateaux gonflables. Du stock, il ne reste plus grand-chose. Le toujours plus, le travailler plus pour gagner plus n’est qu’une vieille inscription retrouvée sur les parois des trous à rats.
 
(Les Chemises hawaïennes rivalisent de couleur, les bateaux arrivent…il ne manque plus que le Youkoulélé…!)
Le script -metteur en scène est habile. Souvent présent sur le plateau, il dirige…Mais que dirige-t-il et qui dirige-t-il …? Des singes, des otaries, des scaphandriers, des astronautes ?
Il essaye de donner des indications minimales pour une éventuelle « Règle du Jeu ».
Il ressemble à un maitre de ballet qui donnerait des conseils sur scène, c’est un absurde directeur d’acteurs, c’est Tadeusz Kantor dirigeant des poissons dans un nébuleux Vivarium…
C’est le chorégraphe de nos âmes perdues entre crise interminable, chaos politique et  promesse d’une révolution verte qui développe peu à peu le langage de la norme, du contrôle du désir. Ici, entre l’eau, la terre et le feu, l’homme marche sur l’eau, plonge si c’est beau, seulement si c’est beau. Il est cosmonaute pour se prendre la tête et redécouvrir d’en haut ce que la fourmilière du bas lui cache…

 
Si sur scène on prépare quelque chose, c’est avec beaucoup de riens et ce sera juste vouloir bouger d’un centimètre l’objet du décor pour que ce soit parfait.
Un voyage  imaginaire ou plutôt dire le Big Bang ?
Pas d’importance,  car c’est un moment suspendu, un humour tellement tendre, une “caverne pour nos vieux jours”…c’était juste, c’était chaleureux, on aime, on se laisse aller au plaisir…
Au Big bang, le laisser aller est un art, là où ailleurs, il est la politique du pire…

Francis Braun en maître de cérémonie, Pascal Bély enpachydermerampant sous les couleurs du Big Bang!, tous les deux Tadornes..

“Big Bang” de Philippe Quesne au Festival d’Avignon du 19 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.