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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au festival d’Avignon, les forces motrices de Jeanne Balibar et Boris Charmatz..

 

 

Bouleversé. Transpercé. Bousculé. Avec la danseuse malade“,  Jeanne Balibar et Boris Charmatz démontrent ce que l’on omet trop souvent: la danse est un art difficile, engageant, qui déforme, tord, essore, décolle, plie. Distancié de deux rangs seulement, je suis ébloui au sens propre, comme au figuré : rarement la danse ne m’a été évoqué de cette façon, avec autant de sincérité, de fragilité, d’humilité. Sans faire scandale, «la danseuse malade» fait rupture dans le consensus mou actuel qui entoure certains spectacles chorégraphiques, où le “public consommateur” se questionne peu sur le processus oubliant que cet art se régénère à partir de sa transdisciplinarité.
Tout commence par une explosion sur la tête. Le corps disparaît presque dans la fumée.
Ça tousse dans la salle.
Déjà.
Un camion blanc avance, téléguidé du plafond par un cordon ombilical. Boris Charmatz et Jeanne Balibard sont au sol, qu’ils décollent comme un plasma ; ils fusionnent puis se séparent. Je ressens une naissance, celle d’une nouvelle représentation du butô, l’une des danses les plus caricaturées qu’il soit. J’y suis. Ils ne me lâcheront jamais : du plasma à mes tripes. Les corps explosent, se liquéfient ; se fluidifient. C’est beau. Impressionnant. Elle se dégage, monte dans le camion. Elle a pris froid ; tout ceci finit par la fragiliser ; elle est enrhumée. Parle du nez. Le corps parle toujours.Nous voilà partis pour une conférence, où les mots de Tatsumi Hijikata « co-père » du buto, loin du bavardage, traversent le corps de Jeanne, prêt à se briser contre la vitre. Le camion véhicule le corps, mais peut à tout moment l’écraser, nous foncer dessus. Je le suis des yeux alors qu’il arpente la scène, avance, recule, tourne sur lui-même. Il nous éblouit et se fait danse. Les mots buttent, déchirent et le corps se cogne, à se prendre la tête.
Le butô vient du dedans, comprenez-vous ? C’est la danse des mots qui se heurtent au corps. Voyez-vous?
Ce spectacle me ronge de l’intérieur : il me révèle des émotions nouvelles.
Mes mots butent.
Ces deux-là m’ont trimbalé dans le chaos.
Boris Charmatz a fait danser le théâtre.

Pascal Bély
www.festivalier.net


“La Danseuse malade”, de et par Jeanne Balibar et Boris Charmatz, a été vu au Théâtre de la Ville du 12 au 15 novembre 2008. Actuellement, au Festival d’Avignon du 21 au 24 juillet 2010.

La blogosphére est inspirée: à lire deux regards sur “Un soir ou un autre” et sur “Images de danse

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Joseph Nadj rend plumes le Festival d’Avignon.

Il existe une danse démocratique, ouverte à tous, qui pousse délicatement les portes de l’imaginaire, sans brutaliser, mais avec la force du propos. Ce soir, au Festival d’Avignon, « Les corbeaux » du chorégraphe Joseph Nadj et du musicien Akosh Szelevényi ont ébloui, sans effraction, pour nous inviter à découvrir l’atelier du «peintre danseur» et du «musicien pinceau».

Tout est en place pour que nous puissions suivre avec délicatesse, loin du brouhaha des crises, cette métamorphose de l’homme-oiseau. Tel un médiateur, Nadj accompagne. Derrière une toile défilante, il se cache pour dessiner ce qui lui passe par la tête au carré...Le papier déroule et je m’enroule dans cette carte de l’imaginaire, celle tracée par les oiseaux migrateurs qui volent au dessus de nos têtes alors que nous empruntons les chemins de traverse.

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Puis, il apparaît. Avec son costume noir, il est nuit et ses cheveux gris se font lune. Tandis qu’une poudre noire descend du ciel, Nadj et Akosh jouent une musique d’étoiles filantes à partir de cylindres. Est-ce des bombes déterrées? Ce rituel funéraire prépare une renaissance. Ma vue se trouble.

Je le suis, j’ai confiance. La musique étonne, détonne, m’enveloppe. Joseph Nadj poursuit son voyage et le corbeau pointe le bout de son nez pour se faire pinceau. La danse remplume, le mouvement dessine le squelette de l’oiseau, et le corps vole. Le corbeau accueille le pinceau volatile de cet homme devenu le Michel Ange de nos parois nocturnes. La musique amplifie le battement d’ailes tandis qu’il plonge dans un liquide amniotique noir pour renaître de ses cendres.

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Nous y sommes. Il scintille comme si les étoiles s’étaient collées à lui pour l’éclairer. Il se pose sur la toile, sur le bord de nos fenêtres d’où nous contemplons son envolée qui provoque la tempête du sublime. Notre souffle coupé le fait fuir. Il ne crie pas et la musique silence. Cet oiseau de bel augure a rejoint les rapaces de nuit dans la forêt de Gisèle Vienne.

Je le suis, car le Festival est le territoire des humains migrateurs qui se perdent dans la forêt pour voler de leurs propres ailes.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Les corbeaux » de Joseph Nadj et Akosh Szelevényi. Au Festival d’Avignon du 18 au 26 juillet 2010.

Photo: Christophe Raynaud de Lage.