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Au Festival d’Avignon, Vanessa Paradis.

C’est l’un des grands moments du début de ce Festival d’Avignon 2010. Bouleversant à plus d’un titre. « Gardenia » du chorégraphe Alain Platel et du metteur en scène Frank Van Laecke prouve, une fois de plus, que le Théâtre flamand sait décaler notre regard vers les “angles morts” de notre société. Vanessa Van Durme que nous avions tant aimée ici lors de son dernier spectacle, leur a soufflé une idée de départ: réunir sur scène de « vieux travestis qui dansent gaiement sur une musique triste ! ». Quelque temps plus tard, ils sont sept sur scène autour de Vanessa et d’un jeune danseur pour faire revivre ce cabaret éphémère, pour que le rideau se lève enfin et dévoile un pan entier de l’histoire du spectacle vivant.

Autant enlever le masque. L’émotion ne m’a pas quitté tout au long de la représentation. De la première minute (si politique, tant attendu) à la dernière (si respectueuse de la part du public), j’ai baissé la garde pour (re) vivre mon histoire. Car ces hommes et ces femmes ont été sur la route de jeunes adultes perdus, apeurés par le sid’amour, pour leur donner la force de s’affranchir des habits sur pièce confectionnés par des familles oppressantes et une société autoritaire. Alors qu’ils s’avancent vers nous, dans leurs vêtements de ville, sur ce sol en pente, je sens que les lumières et la scène vont les libérer de cette atmosphère de maison de retraite dans laquelle nous les avions oubliés. Mais Alain Platel et Franck Van Laecke n’éludent en rien notre responsabilité d’avoir fait basculer cette pente afin que  disparaissent peu à peu ces corps qui nous ont pourtant tant donnés. Pas plus qu’ils n’épargnent le milieu de la nuit sur la violence de ses rapports sociaux et amoureux.

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Mais ce soir, il est temps de nous rapprocher, de créer l’équilibre entre notre gradin en pente et leur scène verticale. C’est ainsi que « Gardenia » multiplie les points de rencontre pour que le «genre» ne soit plus une question, mais un corps en mouvement. Le résultat est magnifique, généreux, car la mise en scène épouse le processus du travestissement en évitant de tomber dans la gaudriole et la moquerie. La musique joue une fois de plus dans ce festival sa fonction mémorielle et pacificatrice : «Gigi», «comme ils disent», nous est revenu « d’Alexandrie, Alexandra » tandis que la longue dame brune veille sur le destin de chacun. La présence de ce jeune danseur majestueux au milieu de ces vieux travestis amplifie la tragédie, rend poreuse la frontière entre masculin et féminin, symbolise le commencement là où approche la fin et incarne pour toujours «l’objet de tous nos tourments». Les tableaux se succèdent et la scène bascule vers le conte, l’enfer pour n’être qu’à la fin qu’un pacte respectueux entre nous et ces artistes de l’âme. On prend ainsi conscience du rôle déterminant des acteurs travestis pour que le mouvement du corps incarne le désir refoulé (il est d’ailleurs troublant de constater le poids du travestissement dans certaines créations actuelles).

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« Gardenia » est situé sur la frontière poreuse entre la danse, le théâtre, le cabaret, la musique. Dans une explosion de joie, le public du Festival d’Avignon signifie une fois de plus qu’il est grand temps d’ouvrir les codes de la représentation. Il en va de notre désir d’être encore uni, divers et fraternel.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Poursuivons avec Bernard Gaurier…

« Gardenia », troubles fleurs des riantes années

Sur un plateau en pente douce (parquet usé des vieux dancings et chaises sans âge pour le repos des danseurs fatigués) ils sont neuf à nous regarder dans leurs costumes gris impeccables. Doucement l’un d’entre eux s’avance et se place face au micro pour lancer en l’air les mots qui ouvrent la danse.
Du Shanghai au Piano, des virées au creux du Marseille de la nuit à celles en bus au bois. Une pluie de souvenirs et de visages remontent alors à mémoire, la force politique et humaine de cette invitation me colore les yeux de brume. Il était une fois, un hier… et, aujourd’hui, ces quelques un/une là devant nous vont en porter la force et l’accrocher très haut dans le ciel de l’humanitude. Très vite nous sommes amenés à lâcher la barre de nos retenues et invités à entrer dans l’émergence du monde de nos souvenirs les plus « secrets ».
Après que les masques soient tombés c’est aux costumes de glisser à terre et aux corps qui se dévoilent de se révéler/revêtir d’apparats plus troubles et vaporeux. Pour souligner une singularité encore bien singulière aux yeux de beaucoup, une « vraie femme » et un jeune homme accompagne ce bel attelage. Les dieux de la nuit sont ici convoqués pour ouvrir les regards tendres et généreux de qui les observe. Elles, ils, ilelles sont magnifiques de leur chair offerte et de leur force à être.
Qui est qui ? Le genre ici importe peut, le corps et le c?ur s’affirmant bien au-delà. La tendresse, quand bien même elle soit vache, cruelle  ou « vulgaire » (soulignant ici la violence et la désespérance qu’on croise parfois au milieu de la nuit) porte haut la douceur humaine de ces différences qui ici viennent à notre rencontre. La dignité qui se dégage invite à ouvrir l&apos
;histoire vers la singularité de chaque être humain, à se percevoir soit même singulier, même si notre différence ne nous porte pas là où sont ces beaux oiseaux de nuit.
En cela le pari d’Alain Platel, Franck Van Laecke et Vanessa Van Durne est gagné, ils offrent ici à chacun l’espace où intimement se rencontrer avec tendresse et respect. Fleurs de pavots, du mal ou du souvenir, ces gardénias sont une gerbe de baisers. Le public ne s’y trompe pas en leur offrant un bouquet de bravos, debout comme il se doit lorsqu’on reconnait la justesse et la générosité.

« Gardenia » d’Alain Platel et Frank Van Laecke, au festival d’Avignon du 9 au 12 juillet 2010.

 Credit photo: Christophe Raynaud de Lage