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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

Au Festival d’Avignon, Gisele Vienne provoque notre reforestation.

Il fallait bien que cela arrive. Chaque année, le festival d’Avignon nous fait vivre l’Expérience, soude la communauté de spectateurs, laisse l’empreinte indélébile. En cette fin d’après-midi caniculaire, la pièce de Gisèle VienneThis is how you will disappear ») est un havre de fraîcheur qui par moment glace la peau d’un spectateur peu habitué à vivre « sa » descente aux enfers. Comment écrire sur cette oeuvre sans rien dévoiler, car la surprise, l’étonnement, la peur font partie d’un processus magnifiquement travaillé?

Difficile de s’en tenir à l’histoire qui compte à peu de mots, mais où les corps projettent nos fantasmes, nos désirs inavoués, nos forces et fragilités. Il faut imaginer une forêt comme décor (avec de vrais arbres sans feuilles qui montent haut et des sapins d’un vert aux reflets noirs), où les odeurs remontent du plateau pour vous inviter à lâcher-prise, où le fond de scène semble s’enfoncer à l’infini pour y perdre votre regard. Votre corps ne résiste pas longtemps à l’appel des sons : l’exceptionnelle musique originale de O’Malley, de Rehberg, vous traverse à l’image de ce faucon et de cette chouette qui parcourent la scène de gauche à droite. Car, ici, tout n’est que traversée en descente dans une pureté de rapport à la nature déconcertante.

Elle est là. C’est une belle athlète. Il est là avec son survêtement blanc cache-misère d’une splendeur passée. Ils s’entraînent, de long en large, mais pas de travers. Impossible. Leur espace horizontal est trop étroit tandis que leur relation s’enfonce dans la forêt. La musique élargit le chemin de la souffrance à une telle soumission. Leur animalité ne fait plus de doute à mesure que les lumières se tamisent pour amplifier le contraste entre leurs corps. Elle est biche, il est loup. Elle est oiseau, il est l’appât. Vous serez peut-être l’arbitre de ce combat de cerfs. Il finit par disparaître, elle aussi, dans un déluge de brouillard et de pluie fine qui vient vers vous pour vous perdre. J’ai froid et je commence à avoir peur du plaisir. Cela sent bon, comme une peau après l’amour. À moins que cela ne soit l’odeur de la mort, celle que vous auriez provoquée pour préserver la survie de votre espèce. Mes vêtements collent et mon corps descend peu à peu du fauteuil. Le Théâtre se (me) métamorphose : dans un processus régressif qui semble ne plus vouloir s’arrêter, tout s’embrouille et tout renaît. De ce culte de la performance dont vous êtes le rapace qui rode, Giselle Vienne vous fait oiseau de nuit et la souffrance se fait brume…

L’arrivée d’une rock star suicidaire amplifie le décor de mort. Les arbres deviennent squelettes, comme s’il l’on projetait sur eux, les os enfouis des artistes et de ceux qui n’en sont jamais revenus. Le blanc de la mort se confond dans l’aube qui éclaire le visage de marionnettes posées là. Fantômes de notre enfance égarée, j’ai perdu de vue les trois personnages du cauchemar. La forêt est un théâtre et nous contemplons notre disparition. Au loin, j’entends le cri du hibou qui  m’emmène au-delà.

La séance est terminée. Je laisse mon fauteuil de théâtre et me retourne. Sophie, celle que j’ai connue il y a dix années sur le parvis de l’Opéra d’Avignon puis trop souvent perdue de vue, semble me dire : «on a fini par se retrouver, car la forêt ne perd jamais les oiseaux qui se reconnaissent à partir du cri d’une danse»…

Pascal Bély – www.festivalier.net

“This is how you will disappear” de Gisèle Vienne au Festival d’Avignon du 8 au 15 juillet 2010.

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FESTIVAL D'AVIGNON LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

À Avignon, la Cour du déshonneur.

Avant que le spectacle de Christoph Marthaler ne commence pour sa première, l’actrice Agnès Sourdillon s’approche vers nous. À droite de la grande scène de la Cour d’Honneur du Palais des Papes, elle lit un texte sur le contexte général des politiques publiques. Elle rappelle le bouclier fiscal et la réduction de la TVA dans la restauration dont le montant équivaut au budget de la culture au moment où celui-ci va subir un coup de rabot. Le Ministre est là. Le discours est applaudi, pour ce qu’il est : un diagnostic froid, implacable, mais qui arrive à nous inclure quand elle évoque notre imaginaire et notre engagement d’être là ce soir. Nous aurions pu en rester là. Mais deux comédiens surgissent des gradins et improvisent une bien triste tirade. Ils attaquent le nom du Ministre (Mitterrand) puis font référence à Jean-Luc Hess Président de Radio France. Les amalgames s’accumulent et le public, plutôt uni jusqu’à présent, se clive. La tension monte : spectateurs de gauche contre ceux de droite. Absurde. Car ce soir, ce qui nous lie, c’est le festival. C’était donc de là qu’il fallait nous guider vers une visée politique entendable. Suffit-il encore et toujours de répéter inlassablement le même discours (à savoir, les budgets baissent)? Ne serait-il pas le moment, de proposer aux spectateurs un nouveau contrat social et culturel qui les associerait? N’est-il pas opportun de suggérer des chemins de traverse qui permettraient d’ouvrir les financements ?

La Cour d’Honneur ne sera donc pas le lieu d’où partira l’étincelle, car il reste voué aux conservatismes de tout poil. Inutile de compter sur la presse, qui se contente au mieux de reporter l’événement, au pire de l’amplifier. Laurence Liban  de l’Express ne se gêne pas sur son blog pour poursuivre les amalgames (présent, le ministre de la Culture a reçu l’avertissement et l’appel à la manifestation du 15 juillet. Mais au vu des grappes de spectateurs qui s’enfuyaient au bout d’une heure, et, peut-être, au vu de ce spectacle assez pauvre, au fond, il a pensé que cet argent qui manque  pourrait être mieux employé. Il est possible aussi qu’il ait apprécié la soirée plus que moi. Manuel Vals, quant a lui, n’a pas tenu jusqu’au bout. Il ne fut pas le seul.). Elle mélange tous les niveaux et n’hésite pas à rendre public ce qui est dans la sphère privée. Car, jusqu’à preuve du contraire, le théâtre est encore un espace protégé qui permet à chacun d’entre nous d’être libre d’entrer et de sortir. Mr Valls retournera-t-il au théâtre s’il se sait épié?  Or, nous avons intérêt à ce qu’il s’y rende si l’on veut qu’il défende une politique culturelle globale.

Au final, Laurence Liban ne fait que diffuser une certaine idéologie de l’excellence, reprise par les caméras de BFM TV: les deniers publics ne doivent servir que les oeuvres réussies et qui plaisent au plus grand monde. Ainsi, elle préfère, avec d’autres, mélanger les genres plutôt que de nous offrir une lecture  critique des enjeux. Déconcertant.

Pascal Bély, www.festivalier.net