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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

À l’École d’Art d’Avignon, les retours pacifiques des spectateurs illuminent Maguy Marin.

Maguy Marin est au rendez-vous, avec tous ses danseurs. L’École d’Art affiche complet pour cette rencontre inoubliable. Alors que la dernière représentation de « Description d’un combat » dans le Festival d’Avignon approche, le public présent fait preuve d’un beau regard critique. Une heure d’échanges qui permet à Maguy Marin et à son collectif de se poser, d’écouter, loin de Paris et des grandes métropoles.

C’est précisément du public dont il est question dès le départ. « Comment expliquer la violence de certains spectateurs pendant ou  à l’issue des représentations ? ». Ces comportements ont longtemps « abasourdi » Maguy Marin : « pourquoi cela déchaîne-t-il du terrible ? ». Il se trouve que le public se ressent « expert » en danse et ce statut lui donne de l’assurance. « Le prix du billet lui procure des droits ». Il y a donc « une responsabilité partagée entre artistes – public- directeurs de salle dans cette violence qu’il nous faut travailler ». Une spectatrice avance une autre hypothèse : « Le jour où je me suis demandé « quand est-ce que cela commence » à propos d’Umwlet, j’ai commencé à m’interroger. Vous n’êtes jamais sur le consensus et cela nous oblige à changer de regard ». Or, c’est ce changement qui provoque la tension, la rage. Il en est un autre, tout aussi brutal : « Aujourd’hui, le problème,  c’est le cloisonnement. Pourtant, ce qui relie les disciplines, c’est l’Acteur. À Avignon, on apprend tout cela et c’est Pina Bausch qui a commencé cet apprentissage ».

Pourtant, le public et les institutions continuent à cloisonner. C’est une autre sauvagerie. En réponse, Maguy Marin précise : « Il est important que des artistes, des techniciens du jeu, s’emparent d’une parole qu’une norme empêche de prendre  dont celle qui est de permettre à des acteurs étrangers, danseurs de surcroît, de s’emparer d’un texte français  classique ! ». Un spectateur ajoute : « Le public doit cesser de mettre les artistes dans des fonctions. Le combat d’aujourd’hui, c’est lutter contre la spécialisation ».

La force de « Description d’un combat » est d’être au-dessus des cases et de procurer une force étonnante : « La façon dont vous traitez les images fait son effet à long terme. Cette ?uvre est un enchevêtrement de mots et d’images qui m’aide à voir les images de guerre et de combat » ; « Je pourrais en parler autant qu’il a duré…C’est un chant funèbre pour tous les morts et toutes les guerres » ; « La lumière amplifie le sens comme si elle prenait la parole. Nous sommes dans le cheminement avec vous ».

Cette «sauvagerie » du public est bien sûr en résonance avec le sujet de la pièce, rappelé par Maguy Marin : « Il y a des hommes qui se sont engagés pour des causes et ont laissé leurs vies. Aujourd’hui, c’est un gâchis, car nous sommes constamment en guerre. La question est de savoir comment nous vivons avec le passé, la mémoire ? Comment transmettons-nous à notre jeunesse ? ». À quoi un spectateur répond : « Le mot qui me revient au sujet de votre pièce, c’est la sauvagerie. Elle est partout, même à la Cour d’honneur où les spectateurs sont prêts à prendre votre place à l’entracte ! En Europe, on se bagarre tout le temps et l’on se parle mal. Maguy Marin est notre miroir à la différence d’un musée qui n’a pas cette fonction. Vous êtes sans arrêt sur l’invention or, celle-ci est rarement recevable. C’est important que le théâtre s’empare de cette boucherie. Vous y arrivez parce que vous êtes un corps vivant à plusieurs têtes ». Le public relie la danse et le théâtre jusqu’à souligner la « très grande dignité des interprètes : ils parlent de l’horreur sans jamais nous éclabousser ».

Alors bien sûr, on aurait pu attendre que Maguy Marin déclare la paix en toute fin du spectacle, mais cela aurait supposé un autre espace, un autre temps, car « la lenteur du spectacle est l’acception de la violence inéluctable du monde. C’est assumé », affirme un spectateur.

Assumons avec Maguy Marin.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Description d’un combat”, par Maguy Marin 8 au 16 juillet 2009 au gymnase Aubanel dans le cadre du Festival d’Avignon.

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

 

 

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HIVERNALES D'AVIGNON PAS CONTENT

Aux Hivernales d’Avignon, le Hip Hop s’affranchit du sens.

“L’inéluctable solitude de l’homme, voilà le point de départ de cet étonnant duo“, telle est la présentation de “Seuls, ensemble” de la compagnie Clash 66. A l’issue de cette représentation,  ce sera aussi le point d’arrivée pour bon nombre de spectateurs à l’exception du public jeune, enthousiaste, qui acclame ce duo de hip-hop.

L’histoire est celle de la confrontation à l’autre. Elle prend place ici et là-bas, grâce aux techniques de projections sur écran. Le tout a un côté kitsch assez déconcertant. Le savoir-faire de ces deux danseurs de hip hop (Raphaël Hillebrand et Sébastien Ramirez) est au rendez-vous, il n’y a rien à redire.

Mais, mais…

L’écriture dramaturgique est épaisse comme une brindille. C’est un enchaînement de bravoure hip hopienne et l’on finit par lâcher prise. Les prouesses techniques sont là, mais le hip hop, en se déplaçant de la rue au théâtre, se doit d’être exigeant avec lui-même. Il devrait s’affranchir du geste pour aller au-delà. Le discours retenu (la confrontation à l’autre puis l’entraide) aurait mérité un travail de fond pour dépasser les images toutes faites (celles des ombres qui se donnent la main, par exemple).

En s’adressant à la jeunesse, qui est le futur public de danse, les programmateurs doivent faire preuve de plus de discernement. Avec “Seuls, ensemble”, Clash 66 laisse place à une danse sans fondement et valide l’idée que le hip hop n’a plus rien à dire.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

“Seuls, ensemble”, au Studio des Hivernales, jusqu’au 26 juillet à 15h30. Relâche le 21 juillet.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

“Ode maritime” de Claude Régy : d’Avignon, les bateaux à voiles soulèvent les âmes.

Nous avons enfin trouvé les mots bleus. Ils ont arrêté le flot de paroles assourdissantes de ce festival. Jean-Quentin Châtelain s’avance vers nous, sur ce ponton métallique, vers cet océan de spectateurs prêt à vivre une expérience poétique inoubliable. Le décor est en soi un poème. À peine les vers de Fernando Pessoa résonnent que son visage, bleu, illumine, tel un phare. Comme avec Maguy Marin dans « Description d’un combat », la lumière amplifie le sens, prend la parole, et rend mystérieux cette poésie éclaireuse.

Cet homme est navire et nous devenons brume. Nous nous apprêtons à renaître, à nous plonger dans ce liquide amniotique de mots, fluidifiés par la voix de l’acteur dont le son rappelle la vague qui s’échoue. L’homme se tient droit pour puiser nos forces et nous emmener au large. Avec lui, nous retrouvons la vue des marins, nous ressentons l’air des pêcheurs, et entendons le bruit des bateaux alors que son râle traverse nos corps. Cet homme sur ce quai mélancolique nous dépossède de nos oripeaux, appareille avec nos désirs de voyages et nous accoste lentement par ses gestes doux pour qu’on apprivoise ses terres inconnues.

La mise en scène crée des archipels où sons et lumières prolongent la poésie de Pessoa : «tout se révèle multiple». Il faut toute l’ingéniosité, voire la malice de Claude Régy (quand le son monte, nous sursautons ; quand la lumière baisse, nous plongeons) pour nous attacher à cet acteur tout en nous déplaçant : ici, le dialogue est à deux, sinon rien. Car la mer charrie tant d’histoires et d’évolutions (de l’enfance à la mort, des bateaux à voiles au paquebot, de l’esclave à l’homme moderne,…) que nous ne pouvons baisser pavillon.

Et nous voilà accrochés à cet acteur qui divague parce qu’un tel voyage n’arrive qu’une seule fois dans une vie.

« Ah, n’importe comment, n’importe où, s’en aller !

Prendre le large, au gré des flots, au gré du danger, au gré de la mer,

Partir vers le Lointain, partir vers le Dehors, vers la Distance Abstraite,

Indéfiniment, par les nuits mystérieuses et profondes,

Emporté, comme la poussière, par les vents, par les tempêtes !

Partir, partir, partir, partir une fois pour toutes !

Tout mon sang rage pour des ailes !

Tout mon corps se jette en avant !

Je grimpe à travers mon imagination en torrents !

Je me renverse, je rugis, je me précipite !…

Explosent en écume mes désirs

Et ma chair est un flot qui cogne contre les rochers ! »

Fernando Pessoa – « Ode Maritime ».

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Ode maritime” de Fernando Pessoa mise en scène de Claude Régy, au Festival d’Avignon jusqu’au 25 juillet 2009 à 22h.

Photo: Pascal Victor.