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THEATRE MODERNE

Au Festival Off, enfin la crise.

Pour Louis Jouvet, il faut une dose de vanité pour oser monter sur scène et une autre pour y rester : « Le renoncement de soi pour l’avancement de soi-même ».

« Occident » d’après Rémi de Vos, mise en scène et joué par François Bergoin et Catherine Graziani permet de ressentir ce dépassement de soi, ce qui échappe à l’acteur et confère à l’art ce « je ne sais quoi » d’indispensable pour donner sens à la vie. Cette oeuvre à la noirceur décapante, voit un couple se déchirer et maintenir l’équilibre précaire de leur relation de pouvoir, dans un contexte social et politique qui exclut la différence. C’est un théâtre où l’acteur s’accroche aux mots de Rémi de Vos telle une bouée de secours alors qu’il tangue, danse, sur  un plateau fait de matelas mousse.

La mise en scène accentue les injonctions paradoxales qui minent et nourrissent le couple (« si tu m’aimes, ne m’aime pas ») en multipliant les espaces par l’utilisation intelligente de la vidéo et des parois amovibles du décor. « Occident » est un hymne à la complexité, au refus du réductionnisme. Un hommage à l’acteur qui renonce au “je” au prix d’un jeu sans cesse déstabilisé par les mots, le bruit sourd du chaos et les rires nerveux du public. La puissance d’« Occident » est de propulser l’acteur et le spectateur dans un espace d’où l’ont peut voir le jeu et donner à chacun la force d’en modifier certaines règles. 

Allons au théâtre ! Renonçons. Avançons.

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Occident” de Rémi De Vos par la Compagnie Théâtre Alibi (Bastia) au Festival Off d’Avignon à la Manufacture jusqu’au 28 juillet à 16h05.

A voir également au Festival Off: “Le bal de Kafka”, mise en scène d’Isabelle Starkier, au Théâtre des Halles.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Le festival Off d’Avignon ouvre le bal avec Kafka. Dansons !

Parmi la profusion des propositions du Off, il en est une qu’il est urgent de voir parce qu’elle (r)éveille le spectateur, l’émerveille et le positionne à la traversée des chemins. Urgent, car en cette période d’abondance théâtrale, il convient d’aller directement au sens, sans détour inutiles pour trouver de multiples réponses à la question : pour quoi le théâtre ? « Le bal de Kafka » de Timothy Dalty, mise en scène d’Isabelle Starkier pour la Compagnie Star Théâtre, est une ode à l’espace transversal où littérature, culture yiddish, leçons sur le théâtre et la danse, tissent une toile où le spectateur tire les ficelles des marionnettes de ce conte dont la principale force est dans sa résonance avec nos histoires singulières.

Sur scène, Kafka, habité par l’exceptionnel Sébastien Desjours, fait corps avec sa table d’écriture. Tout autour de lui, parents, soeur et fiancée entrent pour jouer leur numéro d’équilibriste au sein d’une famille où la culture yiddish créée les chemins tout tracés.  Tout  semble donc déjà écrit et comme dirait Kafka, « ma famille a été crée spécialement pour moi ». Mais tout paraîtrait si linéaire présenté ainsi. Cette famille a aussi son double, celle du théâtre !

Revoilà les mêmes personnages, mais affublés de masques comme des fantômes bienveillants qui donnent la force à Kafka d’être le comédien (car suffit-il d’écrire pour survivre parmi eux ?) ; Et l’on assiste médusés à la lente métamorphose d’un homme qui lutte contre les cafards pour les transformer en papillon, qui échange son bégaiement pour la folle mécanique du poète, qui renonce au « je » pour avancer grâce au « jeu ». Le tragique et le rire se côtoient en bonne intelligence parce que la mise en scène n’oublie jamais que nous savons faire la part des choses. Et c’est ainsi que nous rions par amour pour Kafka et pour cette famille de dégénérés qui ne peuvent imaginer un « mariage juif intime » et qui ne voient même pas le danger de confier à un écrivain l’usine d’amiante qu’elle possède ! Ces comédiens, tous exceptionnels, nous aident à comprendre qu’il ne suffit pas de vouloir empoisonner sa famille si l’on n’endosse pas le rôle de l’assassin.

Finalement, le spectateur ne cesse d’être propulsé entre deux réalités qui finissent par n’en former qu’une : celle de notre condition humaine, traversée de paradoxes et où seul le théâtre peut nous aider à nous en amuser pour mieux les apprivoiser.

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Le bal de Kafka” , mise en scène d’Isabelle Starkier au Théâtre des Halles à 14h jusqu’au 30 juillet 2009.