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AUTOUR DE MONTPELLIER THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

L’échappée belle.

Clermont-L’Hérault se trouve à 40 km de Montpellier. Aux portes du Lac du Salagou et de Lodève, cette petite ville possède un vrai théâtre avec des strapontins rembourrés et confortables ainsi qu’un lieu d’accueil pour le forum avec les spectateurs. Devant, de grandes allées piétonnes offrent un parvis très agréable qui suscite la convivialité. L’équipe y est particulièrement chaleureuse. C’est pour moi une belle découverte. Le ciel noir de nuages, et les rafales de vent m’accueillent. Mais je suis déterminée: je veux aller à la rencontre de Catherine Vasseur et de Jean Cagnard. Leur façon passionnée d’évoquer leur travail artistique m’avait à une époque vraiment alléché. Je ne vais pas être déçue…

La salle est composée de spectateurs de la région, de quelques professionnels et d’enfants d’une dizaine d’années. Quand l’enfant et la jeunesse sont là, je suis d’autant plus attentive, car je m’amuse de leur réception. Ils ont le goût du vivant. Le plateau est comme un vaste garage rempli, dans un bazar organisé. Comme dans une vie…Jean Cagnard, l’auteur, s’affaire bruyamment sur un établi, nous tournant le dos. Il met en jeu son travail. Il sera comme un Géo Trouvetou, bricoleur de génie. Les mots sont en mouvement dans la langue ainsi que dans les objets. De petites pancartes portent des mots clefs pour nous faire suivre différents chapitres. Elle défilent le long de fils, reliés à des rouages qui structurent notre pensée à partir de celle de Jean. Il est l’artisan de son esprit, en lien avec nous. Il cherche sans cesse à nous stimuler ludiquement et intellectuellement, à travers des rythmes et des mécanismes dynamiques.

Catherine est comédienne, entre ce manipulateur de la langue et la musicienne, Julie. Catherine pose sa voix, intègre les jeux de lumière, chorégraphie sa posture, seule ou en lien avec ses compères, car complicité et harmonie il y a. J’observe un spectacle savamment orchestré, entre supports d’images, de sons, d’objets, de pas de danse et de musique. Les matériaux bruts s’élèvent vers une perspective, une vision. Le temps passe à travers l’eau qui s’écoule par les petits trous d’un tuyau d’arrosage. Ce fluide transparent, si difficile à maîtriser, nous nourrit, nous hydrate…Voilà un théâtre qui nous alimente. Il nous fait entrer dans des mondes surréalistes qui nous embarquent. Il est rare d’assister à un plateau artistique aussi complet.

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Je retrouve Agnès Varda et sa plage dans “Les plages d’Agnès”  et son humour un peu loufoque, mais si poétique. Je repense à Maguelone Vidal, musicienne comme Julie, passionnée, élève de conservatoire, mais qui conçoit son art comme un perpétuel renouvellement, dans des improvisations qui rebondissent contre les mots. Ce soir, les corps de l’instrument et de Julie s’accouplent en ballet, et la voix les porte haut. Tout est exprimé comme pour donner un jus savoureux à nos oreilles, réveillées, et apaisées, dans cette invitation au voyage de la poésie. Les objets sont centraux et l’instrument est aussi prégnant que les artistes autour. Il capte la lumière, devient polyphonique. Les pas de danse lents me renvoient à la douceur de ceux vus cet été à Avignon dans «La Mouette» d’Arthur Nauzyciel. Le théâtre me touche dès qu’il y a un corps qui s’engage, en finesse et en recherche de sens.

La distance qui nous sépare du prochain poème” est une pièce qui renouvelle le théâtre en se donnant le luxe du  temps de la réflexion, de la création…Et si on se distanciait aussi sur notre propre parcours et celui qu’il reste à bâtir comme semble le suggérer la superbe dernière scène où sont posés différents mannequins métalliques, couverts de rétroviseurs? Nous voici face à notre vie passée, et au loin, dans un désir de regarder devant, la route qui s’ouvre vers un collectif poétique en marche.

Sylvie Lefrere, Le Tadorne.

 “La distance qui nous sépare du prochain poème” de Jean Cagnard. (Texte paru aux éditions Espace 34) Compagnie 1057 roses. Au théâtre de Clermont-l’Hérault le 18.10.12 puis le 8 et 9 novembre au Périscope à Nîmes, le 28 novembre 2012 au théâtre de la Mauvaise Tête  à Marvejols et le 14 décembre 2012 à la maison théâtre d’Amiens.