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FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon Off 2012 : Méchant plongeon dans la piscine.

Lors des «Offinités» organisées sous le chapiteau du Village off par les Tadornes, la question de l’engagement du corps dans les propositions donne lieu à de véritables échanges. Que ce soit en matière de théâtre, de danse ou de formes hybrides, la présence du corps doit être entière pour raconter et émouvoir. Il est le lien qui nous unit au plateau. Cet engagement doit être fécond, apporter une lisibilité au propos et le servir sans faille. La compagnie Gazoline, qui présente «Piscine (Pas d’eau)» à l’Entrepôt, est la démonstration même que le corps peut être est un langage global.

Par sa forme alambiquée sous forme de flash-back, le texte de Mark Ravenhill, prend corps dans le jeu des comédiens. Les mots, portés avec une énergie débordante, soulignent le danger à mettre en scène un tel texte. Les comédiens n’ont pas droit à l’erreur au risque de faire retomber la tension et l’attention du spectateur dans les échanges qui sont d’une cruauté et d’une méchanceté sans pareil.


La mise en scène de Cécile Auxire-Marmouget est jubilatoire. Elle nous entraîne dans cette histoire d’amitié et de jalousie avec une réelle aisance, sans faire de surenchère. Par une analyse sociologique de la notion d’appartenance au groupe, «Piscine (pas d’eau)» explore les relations amicales. Chacun à un rôle à jouer, bien défini, pour la survie du collectif. Une hiérarchie s’impose d’elle-même. On y retrouve le meneur, le rigolo, le ringard,  le laisser pour compte, le looser. L’étiquette avec laquelle l’individu évolue lui colle à la peau, crispant les relations.  La cruauté, la jalousie et l’envie agissent alors comme un miroir déformant de notre relation à l’autre.

Le dispositif scénique de Pierre Mélé rend compte de l’atmosphère du texte. Il n’est pas si facile de faire rentrer une piscine sur un plateau; de convier le public à un vernissage d’exposition; de prendre l’avion pour rejoindre l’amie de toujours qui a réussi là où les autres se sont contentés de vivre un simulacre de réussite; de nous emmener dans le service des urgences d’un hôpital. Et pourtant, toutes ces situations se télescopent sur le plateau sans s’empiler.

Les mots de Ravenhill tourbillonnent, explosent dans une énergie que la compagnie Gazoline déploie à merveille. Comédie méchante, voire très méchante, sur nos amitiés perdues et factices de notre société d’aujourd’hui.

Laurent Bourbousson – Le Tadorne.

Piscine (Pas d’eau), compagnie Gazoline, au Théâtre de l’Entrepôt, tous les jours à 17h30, jusqu’au 28 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, incritiquable Romeo Castellucci.

Il est vain de vouloir comprendre la feuille de salle écrite pour le Festival d’Avignon sur le nouveau spectacle de Roméo Castellucci, «The Four Seasons Restaurant». C’est totalement illisible. Un verbiage comme on n’en fait plus. Est-ce calculé? L’interview qui suit reste plus accessible, mais je lâche très vite tandis que l’on me tend une paire de boules Quies. Sylvie Lefrere, contributrice pour le Tadorne, est à mes côtés. Deux Tadornes pour une expérience hors du commun?

Pendant plus d’une heure, je perds tout, progressivement. Mon corps et mon intellect ne vont plus communiquer. Dès les cinq premières minutes, je suis plongé dans le noir pour entendre le bruit du trou noir dans le cosmos. Belle entrée en matière. Arrivent dix femmes qui, une à une, se coupe la langue. Je ferme les yeux. Autre trou noir, mais moins vertigineux. Elles entament alors un long poème, “La mort d’Empédocle” de Hölderlin, évoquant le suicide «esthétique» du philosophe grec. Le passage est interminable. Mon corps va lâcher. Il lâche. L’espace d’une seconde, je tombe dans un trou noir, un rêve éveillé. Un visage. Mais lequel? Je me redresse, apeuré, le c?ur survolté. Au bord du malaise. Ces femmes produisent une étrange image entre portraits photographiques, prière dansée, sculpture groupale. Leurs mouvements paraissent naïfs comme pour m’inviter à retrouver la grâce. Je ne saisis rien de ce qu’elles disent. Elles semblent vouloir communiquer avec l’absent. Avec nous. Avec moi. C’est plus qu’une distance entre une scène et des gradins. Il y a un Monde. Une galaxie de comètes égarées, de corps disparus, d’âmes envolées. Je voudrais attraper au vol ce qu’elles envoient, mais plus rien ne vient. Mon désarroi est indéfinissable.

Sylvie ??

En regardant ces jeunes filles se mutiler, je me remémore Pasolini dans “Salo ou les 120 jours de Sodom”. Privées de parole, elles dégagent un collectif qui se rassemble en une ronde. Elles forment une étoile avec leur sarrau d’écolière des années quarante qui me renvoie les images des camps de la mort. Elles nous attachent à notre patrimoine historique et religieux au moment où nos croyances se perdent et suscitent conflits et souffrances. Nous sommes des naïfs dans cette société où le pouvoir écrase tous les systèmes, et nous laisse en quête d’un guide, d’un Dieu. Se trouverait-il dans une nouvelle gouvernance, dans la relation autour de valeurs et de force pour se rassembler? Elles se passent de tête en tête une couronne dorée de César pour symboliser le passage du pouvoir, générateurs de heurts et destructions. Il tue. Les armes sont là, mais semblent inutiles. Elles peuvent peindre le colt en or, mais il reste déposé à terre. Le poids de la défense est ailleurs…
 
Après qu’elles aient rendu les armes de la persuasion, de la dissuasion, surgit une scène, difficilement descriptible. Le groupe se resserre pour chorégraphier la chrysalide: une à une, elles émergent du coeur, du trou noir pour ressortir nue et quitter le plateau. Est-ce là, l’au-delà? Est-ce ici qu’il faut tout abandonner pour renaître? Est-ce la forme du changement de civilisation évoqué à longueur d’émissions et de colloques? Est-ce là-bas la nouvelle espèce, l’Homme féminin? L’Autre image? Le noir total revient. C’est là que je disparais. Le rideau du théâtre avance et recule accompagné du son du trou noir. Éclairs. Vrombissements. Tout tremble. Je perds l’image. Des éclairs. Plus que des éclairs. Une apocalypse. Un cheval mort apparaît puis disparait. L’animal comme unique relation à l’humain. Je perds tout ce qui fait lien entre le spectateur et la scène. Je ne suis plus au théâtre. Cela en est fini. Je suis aspiré dans ce trou noir qui n’a plus rien de circulaire. Je ne comprends plus rien. Je vois au-delà de mon corps. Au-delà de l’inconscient vers une autre conscience. Je perçois l’âme qui vole, tandis que les corps nus des femmes apparaissent.
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Sylvie ?…
Des bras de ces jeunes filles émerge la force du groupe, tous genres confondus, où une succession de naissances apparait sous nos yeux. Le sujet sort habillé, puis mis à nu par les autres, offrant à chacun la liberté de reconstruire. Tout est à faire. La page du plateau redevient blanche. Roméo Castellucci nous projette alors dans le cosmos et nous rend sourds et aveugles, comme pour nous interpeller, nous rendre plus réactifs, nous réveiller. Je repense au film de Lars Von Trier, “Mélancholia”. La fin inexorable de notre monde est proche, mais le lien humain semble plus clairvoyant et renforcé. Qui a dit que le chaos était nécessaire?
Après le martèlement dans nos oreilles, des explosions blanches éclatent et nous surprennent par ses salves. Aveuglés, nous sommes forcés à fermer nos  yeux. Nous restons impuissants face à ces déchaînements de l’espace complètement inexploré. Puis le noir réapparaît, apaise notre regard et les explosions s’éloignent comme les éclairs d’un orage. Les grands rideaux s’éclaircissent et glissent d’avant en arrière, comme le ressac de la mer. Les vagues de tissu brillant rejoignent celles du bateau de Fellini et nous convient au grand voyage. Un cheval est à terre, le ventre tendu et rond, sur le point de mettre à bas. L’animal, ami de l’homme, sans sa fougue habituelle, semble anéanti…Des boulets noirs lui succèdent. Déchets, fruits, armes?..C’est alors que les jeunes filles, nues, se précipitent toutes contre les lèvres de cette mère symbolique. La confiance en la parole est attendue et pe
ut renaitre pour un retour au sens. Malgré un film protecteur qui nous sépare, tout semble à notre portée.
La clôture du spectacle est fascinante: un tourbillon d’éléments naturels, une vaste tempête venteuse emportant tout sur son passage. Quel  avenir nous attend?
Pascal ?
 
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Sylvie Lefrere, Pascal Bély, Tadornes. 
« The four seasons Restaurant » de Roméo Castellucci au Festival d’Avignon du 17 au 25 juillet 2012.
Roméo Castellucci sur le Tadorne:

Pour Roméo Castellucci, contre la censure des malades de Dieu.

Au Festival d’Avignon, Roméo Castellucci n’entend rien.

La fille collante de Roméo Castellucci au Festival d’Avignon.

Romeo Castellucci amarre le KunstenFestivaldesArts à Marseille.

B. ¹03 Berlin de Roméo Castellucci m’a perdu…

L’Europe vu par Roméo Castellucci au festival d’Avignon.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon Off 2012 : Chantal Loïal, Mont Vénus.

C’est déjà la dernière représentation pour découvrir le travail de Chantal Loïal à la Chapelle du Verbe Incarné. Au Festival Off d’Avignon, une vigilance s’impose, car certaines compagnies ne se produisent pas pendant toute la durée du festival.

Je me souviens de l’histoire de Vénus. C’était au cinéma; à cette époque, les débats provquaient la controverse. Chantal Loïal, nous offre sa version, dans une représentation chorégraphique généreuse de Philippe Lafeuille. Je la découvre avec un grand plaisir. Elle est là, dressée devant nous. Tout simplement belle. La  musique classique semble glisser sur  les courbes de son corps. Dés les premières minutes, elle se révèle dans ces traits. Face au souvenir du travail de Nacera Belaza au Festival “In” qui m’avait écrasé dans l’obscurité quasi totale et la linéarité, je retrouve ici la lumière et l’empathie.

Le visage de Chantal est lumineux, ovale lissé, entouré d’un turban blanc, comme une madone. Elle nous livre la représentation de la beauté de la femme dans son origine. Le don de soi transpire dans ses mouvements de port. Enveloppée de coton, elle porte, conduit, nourrit, englobe ceux qui l’entourent de ses grands bras. Elle fait glisser ses volutes charnelles et se transforme en paysage, en vallées et en montagnes puissantes, que nous allons parcourir, de long en large, comme dans une  belle randonnée. La  fluidité s’installe. Traversée de rivières, difficultés suivant la qualité des pentes. Mais à son sommet, on y respire, libéré. Chantal nous fait vibrer dans ses émotions, ses chemins, ses rencontres douces ou violentes…ses guerres aussi qui l’ont conduite aujourd’hui à incarner la Vénus Hottentote.

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Un gant rouge, gainé à son bras et la grâce apparaît; mais nous sommes vite rattrapés par la violence de l’Histoire qui envahit le plateau. La montagne devient alors un lieu de danger et de souffrance. La chevelure se dévoile, et les fines nattes jaillissent, dans des sursauts pour survivre. Un crane magnifié dans son cercueil de verre lumineux, nous rappelle la mort des populations, le pays dévasté. Je repense à la collection de crânes de François Pineau vue à Venise. De main en main, cette précieuse boite se transporte dans le public et nous fait toucher du doigt notre conscience de passeurs. Telle une luciole dans la nuit des gradins, l’Afrique, lieu de transmission orale, chemine sur nos genoux. Mais c’est aussi le berceau de l’humanité, à travers l’image de cette “Vénus Lucy“, métamorphosée en crâne brillant.

La lumière s’abaisse, et nous fait rentrer dans une nuit claire, comme un soleil de minuit. Très pudiquement, la danseuse nous laisse entrevoir le bas de ses reins;  sa pleine lune apparait, nous invitant à la méditation sur ce que nous venons de partager à travers elle.

Son corps est comme un grand réceptacle d’émotions du souvenir. Au-delà de l’évocation des fesses volumineuses de la Vénus Hottentote, le continent africain se révèle dans tous ses reliefs géographiques, et humains…Cette réflexion est réveillée par un clin d’oeil d’expressions, jetées par un sourire en coin de Chantal, qui finit en pirouette.

Le voyage est terminé. Le jeu des mots emporte notre rêverie, autour du mont Vénus.

Sylvie Lefrere. Le Tadorne.

“On t’appelle Vénus «de Chantal Loïal, compagnie Difé Kako. Chapelle du verbe incarné au festival OFF d’Avignon du 13 au 16.07.12.