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FESTIVAL D'AVIGNON HIVERNALES D'AVIGNON

Avignon Off 2012: striptease postmoderne…

Pere Faura, chorégraphe catalan, présente un «Striptease» postmoderne aux Hivernales dans lequel on finit tous à poil! Accueilli en salle par une musique pour salon privé, le public prend de la hauteur tandis que les agents d’accueil nous demandent de préférer le premier rang. Je m’incline et m’assieds à l’endroit indiqué. Tout un imaginaire se met en place: la musique confère déjà au propos, l’ambiance est feutrée. Les codes sont là. Le spectacle peut commencer. Dans un dispositif scénique dépouillé, Pere Faura fait son entrée: borsalino sur la tête, cravate, chemise blanche, short. Il s’arrête derrière une caméra. Appuie sur le bouton «on» et l’enregistrement démarre. Souriez, vous êtes filmé !

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Il débute alors son strip. Tous les codes sont réunis : les déhanchés, la mise à nu, les regards coquins jetés au public et les ralentis aux poses suggestives laissent place aux phantasmes dont nous serions prisonniers. Sommes-nous tous ici pour voir un corps nu? Il y a de l’ironie dans son regard. Il nous invite à laisser tomber notre retenue, à paraître tel qu’il est. Le striptease bien engagé, il se saisit de sa caméra et descend dans le public, filme les visages, s’amuse avec les personnes du premier rang. Et puis tout s’arrête. D’un seul coup. Pere Faura prend la parole et nous tient conférence sur l’objet du désir que nous voulons voir en lui.

Avec son ton décalé, les propos sur l’art du striptease apportent matière à la réflexion. Si le modernisme place l’auteur et la création au centre de son esthétique, le postmodernisme fait jouer ce rôle à l’interprétation et au regard du spectateur. La boucle se met en dynamique. Le regardons-nous comme un objet sexuel ou bien comme un danseur? Quelle image lui donnons-nous à interpréter? Notre imaginaire sexué passe-t-il par notre regard? Qu’attendons-nous réellement de cet effeuillage? Autant de questions qui trouvent réponses dans les images captées auparavant et projetées sur l’écran en fond de scène.

Pere Faura reprend son striptease, je le et nous observe. Les images se chevauchent. L’émotion que suscite le nu à venir est palpable dans les regards, dans les respirations. De la gêne, il y en a, des sourires se dessinent aussi sur les visages, pour la cacher. Une certaine violence dans les images paraît et pourtant nous sommes les acteurs de l’interprétation que nous donnons aux mouvements de son corps.

J’apparais sur l’écran en gros plan. Les quelques secondes des images de mon visage sont des minutes interminables. Autant jouer le jeu jusqu’au bout, la caméra m’effeuille aux yeux de tous, je finis nu comme un ver.

Un tour d’intelligence rarement vue, assez subtil et fin pour être souligné. Une proposition qui se voit de près, de très près.

Laurent Bourbousson – Le Tadorne.

« Striptease » de Pere Faura aux Hivernales, jusqu’au 21 juillet à 18h00.

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FESTIVAL D'AVIGNON LECTURE

Avignon Off 2012: Au-delà des remparts, les hommes sont fragiles.

Il se passe quelque chose de l’autre côté de la voie ferrée. Dans ce sympathique endroit qu’est «L’entrepôt», l’Association TAMAM (Théâtre des Arts du Monde Arabe et de la Méditerranée) a invité une pièce tunisienne de Mériam Bousselmi. Pour (au moins) deux raisons, cette proposition mérite d’être soutenue et vue.

La première: malgré le désengagement du Théâtre National tunisien, empêchant le spectacle d’être présenté dans sa forme habituelle, l’auteure et metteure en scène à tenu à venir faire vivre ses mots. Elle a traduit l’oeuvre en français et en propose une lecture, mise en espace.

La deuxième: nous passons là, simplement, une belle heure. Cette «variation» de l’oeuvre est, malgré ses imperfections, d’une vraie qualité. Les deux comédiens qui ont accepté le projet, préparé en trois jours, le tissent de leur «en chantier». Ce contexte permet de sentir, voir de palper à certains moments, ce qui les “touche”, ce qui «accroche» ou les «écorche» dans ce dialogue entre père et fils. On est ici dans un entre-deux ; ce qui est écrit et ce qui s’écrit se construit. Entre ce qui est dit et ce qui affleure à se dire.

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Les mots offerts sous cette forme habillent de fragile les corps des acteurs; cela permet une belle présence vivante où un travail est en train de se faire. Les corps laissent entendre ce qu’ils n’ont pas «ingéré», «banalisé» et «dompté» de ce texte. Ils sont traversés parce que les mots ne sont pas fluides en bouche et font encore aspérité. Ils ne sont pas «maîtrisés» et laissent alors, un peu  “brut”, le mouvement corporel là où ils s’entrechoquent encore.

Ce beau moment «d’en cours» ouvre à ce texte fort des espaces où se glissent d’autres sens, empreints de notre mémoire d’enfants fragiles. Pour peu qu’elle ne soit pas encore en totale retraite et que les frémissements qu’elle procure ne soient pas «ensevelis», nous laissant toujours quelque peu «imparfaits» entre «souvenir et amnésie».

Bernard Gaurier, Le Tadorne

«Mémoire en retraite» texte et mise en espace Mériam Bousselmi. Mise en voix et en corps Kristof Lorion et Marcel Leccia. Du 16 au 20 juillet 21h30 à L’Entrepôt

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, les trop jolies «Zimages» de Sidi Larbi Cherkaoui.

Dans le cadre magnifique de Boulbon, Sidi Larbi Cherkaoui nous propose un «Puz/zle» d’une grande beauté. Trop, justement. Les images finissent par se tuer toutes seules, et l’on fini par trouver la proposition interminable! Dommage, tous les éléments sont là pour r/éveiller l’émotion, mais ce tout se fait lourd. On est envahi par l’esthétique et par l’accumulation de propos qui en deviennent clichés. On se retrouve happé par une lecture de premier degré trop imposée, empêchant de se laisser aller à des «voyages» plus intimement propres à nous mettre en marche.

Dans ce «Puz/zle» rien ne permet à nos pierres de rencontrer celles du lieu, nous sommes «trop» dans le spectaculaire pour trouver un espace où entendre se démêler nos enchevêtrements. Trop d’évidences nous bloquent pour déconstruire «palais» et «forteresses» afin d’y rencontrer un tangram-puzzle à agencer d’autre manière que celles dessinées. La belle danse du chorégraphe ne porte pas d’ouverture tant elle est enfermée dans un propos trop abondant, trop lisible et référencé. Le songe est impossible.

Pourtant la première scène est de bon augure. Sur la pierre, les images en boucle d’un musée vidé de son contenu. J’entends s’ouvrir  l’invitation à repeupler ces salles en voyageant au gré du temps «puzzlé» pour déconstruire, construire, reconstruire, créer. J’entrevois que cet espace m’est ouvert pour y déposer les «oeuvres» qui m’ont conduit jusque-là, pour y inviter les êtres chers et chair croisés sur le chemin à figurer traces et signatures de mon musée. Ouverture? Du corps, de la voix, Boulbon va raisonner de nos singularités pour s’ouvrir pluriels.

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Très vite, l’enfermement. Des Histoire(s) écrite(s), imposée(s). Pierres aux multiples noms d’un Dieu. Pierres fléaux et armes des humains en détresse ou en lutte. Pierre in-tranquille tant on la veut en mouvement, ordonnée, en mathématique avec probabilité calculée pour agencer des palais pacotilles, blocs destinés à porter la gloire un peu plus haut, illusoires abris aux corps friables. Alors la vague des corps «achoppe» en «angularité» et seule la voix porte encore le possible des mélanges. Axes étrangers perdant l’accord possible. Le groupal n’a pu trouver son langage «partagé» autrement que dans l’agencement de blocs de fausse pierre et dans une succession de soli. Dans ce travail, les corps en voix s’accorde et «font» «spectacle».

Mais, les corps en danse sont perdus dans le beau geste à ne plus être que des corps dé-singularisés en performances collectives commandées et de fait en désordre au milieu d’un «Kapla» géant. Les découpes de pièces d’un puzzle sont toutes en rondeurs. Ici en lieu des courbes ondulatoires, pourtant toutes en puissance chez Monsieur Cherkaoui, je n’ai trouvé en écho à la barre séparant les deux Z du titre, qu’une zébrure noire ou blanche séparant les hommes en bande solitaire.

Boulbon ce soir m’a été amer et le temps interminable. En ce lieu minéral, aucun son de corps n’a frotté le roc «en vrai même pour de faux» afin d’offrir en harmonie à ces polyphonies du mélange vocal autre chose qu’un mur, pour de faux, en vrai désincarné.

Bernard Gaurier, Le Tadorne

«Puz/zle» de Sidi Larbi Cherkaoui, Carriére de Boulbon du 10 au 20 juillet 2012 dans le cadre du Festival d’Avignon.