Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Sale temps au Festival d’Avignon.

Le Festival d’Avignon suppose des prises de risques. Elles sont d’autant plus fortes qu’elles sont liées avec le positionnement de «l’artiste associé» qui ne vient généralement pas seul: accompagné de son réseau, le metteur en scène britannique Simon Mc Burney parsème cette année la programmation de propositions d’amis. Une d’entre elles ne franchirait probablement pas les jurys de nos chers programmateurs français. Et pour cause.

«Refuse the Hour» (la négation du temps) du Sud-Africain William Kentridge étonne d’emblée: musiciens et acteurs palabrent pendant que nous prenons place. L’ambiance festive et les costumes colorés m’évoquent immédiatement la chorégraphe Robyn Orlin avant que l’image ne soit chassée par d’autres: celles de l’opéra loufoque «Via Intolleranza II» de Christoph Schlingensief joué en 2010 au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles où il s’amusait à comparer l’Europe Culturelle à l’Afrique créative. Une autre image percute: celle de l’installation vidéo de William Kentridge  pour la dOCUMENTA de Kassel qui m’avait particulièrement étonné le mois dernier. Elle y évoquait notre soumission au temps mécanique, celui de nos «urgences» à désirer inconsciemment faire exploser le temps du sens. La plupart des animations vues à Kassel sont intégrées à «Refuse the Hour», commande du Festival d’Avignon. Et puis il y a ce décor totalement fascinant: en levant la tête, un orchestre mécanique à l’envers avec tambours et trompettes trône prêt à faire tomber sur nos têtes une pluie de notes sur nos rêves de partitions. Je pense alors au piano majestueux d’Heiner Goebbels vu à Avignon il y a quelques années.

Me voici donc accueilli: reliant ce plateau animé avec de belles références, je suis prêt à me laisser aller pour entrer dans ce concert de mots et de sons nés des dialogues de William Kentridge avec le physicien Peter Galion, le compositeur Philip Miller, la chorégraphe Dada Basilo et la vidéaste Catherine Marburg. Mais je déchante très rapidement. À peine l’acteur s’avance-t-il avec son carnet nous pour faire sa leçon (elle traverse le temps des mythes, celui des colonies, de Paris,…) que je ressens l’impasse de la proposition. L’absence de dramaturgie ne permet pas d’articuler les différents langages (opéra, danse, installation, vidéo), se contentant de les accumuler. Ce qui ne peut-être «joué» sur scène est projeté à partir des vidéos de Kassel. On passe de l’écran à l’orchestre, de l’opéra à la danse, de la performance à la narration par une mécanique de la représentation très vite ennuyeuse: le temps de l’installation de Kassel peine à s’inclure au temps théâtral. Un comble pour une oeuvre censée nous faire réfléchir sur la relativité du temps scientifique qui s’impose à nous dans nos contextes…même au théâtre! William Kentridge «organise» la démonstration tel un «curator» d’une salle d’exposition d’arts pluridisciplinaires sauf que nous sommes assis, sans possibilité de nous mouvoir pour entrer dans le temps de la contemplation, de la divagation, de la danse partagée. Ne fallait-il pas envisager une performance participative avec les spectateurs? Rien n’encourage le rêve pour ressentir l’époque où, enfant, nous nous émerveillions à poser des questions incongrues pour y trouver des réponses imaginaires incomprises des adultes (entendu l’autre jour dans le train : «Dis maman, pourquoi une minute ne fait qu’une minute alors que ça passe trop vite»). De tout cela, je n’ai rien tant «Refuse the Hour» démontre, mais ne «joue» pas. L’oeuvre n’est qu’un cours récréatif à défaut d’être transcendant. Le temps s’allonge tellement que l’ennui n’en finit plus.

Cette proposition est  le fruit de l’orgueil: William Kentridge pense qu’il suffit de traverser les arts pour les imposer sur scène. Sauf que la scène n’est pas là où il croit la dompter.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Refuse de Hour » de William Kentridge au Festival d’Avignon du 7 au 13 juillet 2012.

A la dOCUMENTA de Kassel en Allemagne jusqu’au 16 septembre 2012.