Jour : 12 juillet 2011
Cette page de spectateurs est une issue. Après une heure quarante de «Maudit soit l’homme qui se confie à l’homme : un projet d’Alphabétisation» d’Angelica Liddell, je jette l’éponge et quitte le parking de la salle de Montfavet. Il reste encore une heure qui doit actuellement se dérouler et je ne veux même pas l’imaginer tant la moutarde me monte au nez.
Je me demande si c’est à chaque fois la même histoire pour nos figures contestataires de l’art vivant (Roméo Castellucci, Jan Fabre, Rodrigo Garcia) ou si c’est moi qui, à chaque fois, arrive après le cri primal, la première provocation signataire. Est-ce l’expression de la révolte puis son intégration à un système de production à grande échelle qui appauvrit autant le propos de ces artistes ? Je ne peux que me poser cette question face à autant d’agressivité et de prétention. Angelica Liddell en est à sa vingtième création : elle a dû intensément travailler la partie marketing de ses productions (c’est aujourd’hui un passage obligé du spectacle). Elle nous livre pour ce Festival d’Avignon, un défouloir puzzle et fragmenté, qui est fondé sur le concept ultra antique de la catharsis. Spécialiste de la douleur, Angelica Liddell nous engage, à grand renfort de diffusions sonores plein volume, dans sa guerre contre l’humanité et sa violence endémique. Non content de nous asséner quatre mêmes morceaux de Schubert, en déroulant un filage d’une chorégraphie approximative, Angelica Liddell se met à entonner sa longue plainte contre les intellectuels bourgeois que nous sommes, tous complices d’une potentialité pédophilie, qu’elle n’est apparemment pas. Hic ! Je n’ai pas lu Wittgenstein, mais elle, oui. C’est le mot qu’elle assigne au W de son alphabet post-Deleuzien. Ce projet d’alphabétisation commence sérieusement à devenir péremptoire. Pauvre analphabète que je suis et jouisseur-branleur-voyeur de spectacles, je fais partie d’une masse venue voir la nouvelle tête de proue d’Avignon, qui se met, de plus en plus, à m’engueuler, parce que je n’ai jamais voulu tuer un homme ou que je n’ai pas encore assez souffert. Suis-je en train d’assister à une nouvelle messe de fanatiques ? A une débâcle où les punks sont devenus les curés de l’Apocalypse ?
Je me sens conservateur, cette pièce a décidément des effets nauséabonds sur mon mental. J’ai envie de me lever et de lui crier : « Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ? » C’est vrai que la réponse serait plus simple, plutôt que de nous retourner dans tous les sens la violence martyre, unique, christico-nationalisto-espagnole. Il y a ici, pour moi, un choix qui manque de distance et de maturité, l’exploitation classique d’une névrose avec l’impossibilité de la transformer, de la formaliser pour qu’elle devienne notre histoire, pour que l’on puisse s’en servir. Pas d’horizontalité, pas même de verticalité transcendante, un grand mur, une grosse façade richement bariolée de griffures et de sang, en haut duquel, s’agite une prédicatrice, éperdument triste. Angelica Liddell est douée, éperdument douée. Voix gutturale et plurielle, courage scénique jusque dans l’absolu, intelligence du paradoxe, affranchissement de la narration… Autant de talent m’amène à autant d’acrimonie. Je me risque enfin à une critique plus sérieuse, celle robespierrisante du terrorisme. La formation d’acrobates tai-chi qui parsème la première partie de votre spectacle, la présence de votre double pareillement costumée en porte-jarretelles et robe de soie, m’ont fait l’effet d’accessoires complètement déshumanisés. Vous vilipendez la sauvagerie humaine, mais vous appelez de vos voeux une Bande (B de votre alphabet) rassemblée par la Haine (H). Vous êtes assise sur votre propre lame. Aussi, je suis déçu qu’il ne s’agisse pas de politique, mais de votre thérapie. Angelica Liddell, vous faites peur.
Pourquoi Jean-Louis Costes, très grand performer de la catharsis, n’a-t-il jamais été invité au Festival d’Avignon ? Est-ce parce qu’il s’adresse à la Cour des Miracles dans laquelle il s’inclue pleinement, et qu’on craint que son public de fidèles fasse fuir la clientèle intelectuello-bourgeoise que châtient Angelica Liddell ou Rodrigo Garcia ou est-ce parce qu’il a refusé, qu’il a eu peur de gagner en pouvoir, de passer d’une bête de foire consentante et chamanique à un instrument de rancoeur médiatisé par le succès et l’attente ?
Je regrette de ne pas avoir vu «La caza de la fuerza», votre création acclamée l’an dernier au Festival.
Je regrette aussi l’état de nervosité dans lequel vous m’avez mis.
Sylvain Pack , http://sylvainpack.blogspot.com
A lire le point de vue du Tadorne, Pascal Bély.
« Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation » d’Angélica Liddell du 8 au 13 juillet 2011 dans le cadre du Festival d’Avignon.
Un bruit sourd envahit la salle. Dans l’attente, nous crions pour nous faire entendre. L’assemblée des spectateurs et les entrées symbolisent la ville bruyante. D’un coup, le vacarme s’arrête. Un grand mur vidéo nous affronte pour nous plonger, dans un silence quasi religieux, dans le flot incessant de la circulation de la capitale belge. Le corps est en totale symbiose avec l’automobile. L’anonymat le plus absolu.
Tandis que l’actrice-comédienne Olivia Carrère apparaît du fond de son lit rouge sang, le théâtre s’incruste peu à peu. Nue, elle regarde le monde au travers des stores. À cet instant précis, le théâtre fait son cinéma pour filmer théâtralement la solitude d’une jeune femme. Pas un mot ne sera prononcé, tout juste résonneront «Dis quand reviendras-tu?» de Barbara et «The winner takes it all» du groupe Abba. Les premiers tableaux me rappellent «Le concert à la carte» de Franz-Xaver Kroetz, mise en scène par Thomas Ostermeier et présenté au Festival d’Avignon 2004. Mais ici, la solitude est en troisième dimension: le corps en scène, le mal de vivre en film, la quête d’un amour absolu en internet. Face à un tel dispositif, nous sommes probablement aussi seuls qu’elle : notre désir d’une certaine théâtralité doit cohabiter avec des effets scéniques qui nous éloignent peu à peu d’un propos que nous voudrions limpide.
L’atmosphère rappelle “Inland Empire» de David Lynch comme pour renforcer sa descente aux enfers et nous guider vers l’inexplicable : elle préfère son avatar tandis qu’elle déforme son corps; elle s’ouvre vers la toile pour s’enfermer chez elle et finir barricadée alors que la ville capitale grouille d’humains. Fabrice Murgia filme, théâtralise, connecte pour distancier, isoler tout en tissant des liens d’effets et de causes. Nous vivons en direct, ce processus qui paraît inéluctable : le plus petit acte répétitif du quotidien fait sens, le corps ne répond plus au désir de le rendre beau, l’internet est une prison ouverte à partir de connexions infinies avec un homme-lapin, mais qui réduisent et définitisent tout. Effrayant. Nous voilà à distance alors que probablement, nous souffrons d’une solitude imposée par une société qui objective le subjectif, cloisonne l’inséparable. Désirons nous humaniser pour communiquer ? Supportons-nous l’improbable quand internet nous promet l’autre à notre image ? Acceptons-nous le corps biologique alors que le virtuel nous propose un lien amical désincarné ? Toutes ces questions sont superbement portées sur scène, au croisement des esthétiques qui, une par une, symbolise notre rapport au corps, au temps, à la représentation de la réalité. Le sort de cette jeune femme émeut à peine (sauf quand elle chante Abba avec sa belle robe rouge), comme si nous étions trop occupés à ressentir ce qui se joue sur la toile, cette réalité «psychique» dont nous ignorons encore les ressorts.
Fabrice Murgia mouvemente l’interconnexion du théâtre, du cinéma et de l’internet. Il ouvre des possibles pour mettre en scène nos connexions entre virtualité et réalité.
Il nous offre un art théâtral pour éclairer le Nouveau Monde.
Pascal Bély – « Le Tadorne ».
« Life : reset / chronique d’une ville épuisée » de Christophe Murgia à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon 2011.