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En 2010, les artistes fraternels.

«Ce qui nous arrive au théâtre, c’est l’AUTRE. C’est la rencontre avec mon frère, ma soeur, mon semblable» – Ariane Mnouchkine – France Culture, 19 mars 2010.

Ce sont des rencontres inoubliables parce qu’elles sont à la croisée des chemins. Ces artistes du théâtre autobiographique m’ont marqué. Ils ont forcé l’écoute, le respect et le questionnement sur soi. La surprise a procuré l’enchantement tandis qu’un souvenir enfoui provoquait la douleur.

 

Alain Platel et Frank Van Laecke / “Gardenia” / Festival d’Avignon

Angelica Liddell,  “La casa de la Fuerza“, Festival d’Avignon,

The Forsythe Company / “White Bouncy Castle / Festival Montpellier Danse

Toshiki Okada / « We are the Undamaged Others » /   Festival d’Automne de Paris

Jérôme Bel / “Cédric Andrieux / Festival de Marseille.

Fabrice Ramalingom  / “Comment se Ment ” / Les Hivernales, Avignon

Marlene Freitas / “Guintche” / Questions de Danse, Marseille.

Aude Lachaise / “Marlon” / Festival Off d’Avignon.

Zachary Oberzan / “Your brother, remembert?” / KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Michel André et Florence Lloret  / “Nous ne nous étions jamais rencontrés /  “La cité”, Marseille

Olivier Tchang-Tchong – Valérie Brancq  / « LB 25 (putes) »/ Festival Off d’Avignon.

Il y a eu Angelica Liddell au Festival d’Avignon. LA rencontre. Je pense à elle souvent, à celle qui accueille la souffrance pour en faire un nouveau monde. Elle reviendra en France, mais pas avant 2012. Dans la lignée, je revois la transe de la Portugaise Marlène Freitas dans “Guintche“. Elle m’a totalement bouleversé, transpercé: comme avec Angélica, elle est venue nous chercher pour nous gueuler dessus avec tendresse. Dans la même veine, Aude Lachaise dans “Marlon”, nous a proposé sa «mayonnaise» pour créer du lien autour du sexe. Jubilatoire.

Je connaissais de nom Fabrice Ramalingom (danseur chez Dominique Bagouet et Mathilde Monnier). Cet été, avec “Comment se Ment “, il nous a offert un beau solo sur la condition humaine. Cet homme est animal. Je l’imagine à ses côtés dans sa recherche de la vérité: Valérie Brancq dans LB 25 (putes) est une putain d’actrice qui  transforme la scène en trottoir tandis que défile sur écran géant l’histoire de celles «qui n’en sont pas revenues». Bouleversant.

Il est arrivé seul, face à nous: «Je m’appelle Cédric Andrieux. Ancien de chez Merce Cunningham, son solo orchestré par Jérôme Bel a donné corps à l’engagement du danseur. Poignant. L’américain Zachary Oberzan est venu à Bruxelles nous parler de sa relation avec son frère: l’un est artiste, l’autre sort de prison. La force de “Your brother, remembert?”  a été de déjouer les statuts (qui est finalement l’acteur, le prisonnier?) pour relier les destins autour d’une histoire commune qui n’est pas loin d’être la nôtre : nous jouons tous notre partition artistique pour échapper au sort que nous réserve notre classe sociale. C’est une superbe partition qu’ont offerte Michel André et Florence Lloret à un groupe d’adolescents des quartiers nord de Marseille.
Nous ne nous étions jamais rencontrés est une oeuvre théâtrale d’une belle force “politique” où la parole ne s’est jamais perdue pas dans une “sensiblerie” déplacée. Même désir chez Alain Platel et Frank Van Laecke. Dans “Gardenia” , la vie de vieux travestis a été portée sur scène avec talent pour que revive ce cabaret éphémère, pour que le rideau se lève enfin et dévoile un pan entier de l’histoire du spectacle vivant. Majestueux.

Dans «We are the Undamaged Others», Toshiki Okada  a mis en scène la vie banale d’anonymes. Son théâtre chorégraphié nous a tendu le miroir de notre profonde vacuité à parler du bonheur pour ne rien en dire tandis que nos corps malheureux caressent l’espoir qu’une utopie vienne créer le mouvement des possibles. Inoubliable.
Et puis, en 2010, il y a eu William Forsythe. Il a posé sur le plateau du Corum de Montpellier, un château fort gonflable où les spectateurs sont venus sauter (de joie). Il était blanc, couleur de tous les possibles. Nous l’avons repeint en y entrant, alors que sol se dérobait sous nos pas pour que nos désirs de danse prennent forme! Nous avons fait corps avec la danse. Cette utopie démocratique, participative, a positionné l’art chorégraphique comme le seul capable de s’affranchir de nos théâtres en dur, de nos cités de la danse.

Si j’ai monté White Bouncy Castle, c’est justement parce que la démocratisation de la danse à l’intérieur d’un théâtre me semble impossible” (William Forsythe).

Pascal Bély – www.festivalier.net

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En 2010, dix oeuvres envahissantes.

En 2010, ils ont envahi la scène, avec démesure, comme une occupation pour faire face au déluge du laid et du bête.  Ils ont bousculé les codes de la représentation, les mythes, l’histoire pour nous offrir en spectacle nos névroses collectives et individuelles et nous donner notre part de rêve, car c’est elle qui préserve le processus de création des bouffons du roi. Petite sélection parmi 140 spectacles vus en 2010: dix oeuvres qui, sans être à la mode, sont d’une belle modernité. 

Pina Bausch / «Nelkein», “Le sacre” / Biennale de la danse de Lyon et Monaco Danse Forum 
Simon McBurney, «Shun-Kin», Festival d’Autonme de Paris. 
Gisèle Vienne / «This is how you will disappear” / Festival d’Avignon 
Christoph Marthaler et Anna Viebrock / “Papperlapapp” / Festival d’Avignon. 
Christoph Schlingensief / « Via Intolleranza II » / KunstenFestivalDesArts de Bruxelles 
David Bobée / «Hamlet» / Les Subsistances, Lyon. 
Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde / «Un nid pour quoi faire» / Festival d’Avignon. 
Pierre Rigal, «Micro» / Festival d’Avignon. 
Grégoire Calliés / « La petite Odyssée” / Théâtre Massalia (Marseille) 
Gwenaël Morin / «Bérénice d’après Bérénice de Racine» / Théâtre de la Bastille, Paris.
Il fallait être Suisse-Allemand pour oser métamorphoser la Cour d’Honneur du Palais des Papes et se payer sa(ses) tête(s). “Papperlapapp” de Christoph Marthaler et Anna Viebrock fut décrié, mais je persiste: jamais ce lieu n’a été aussi génialement occupé pour un spectacle qui m’a fait hurlé de rire et frissonner de peur.
À la chapelle des Penitents Blancs d’Avignon, le chorégraphe Pierre Rigal a lui aussi transformé le site en salle de concert! Avec son groupe, il s’est autorisé dans «Micro» toutes les audaces pour que son rock chorégraphié soit une révolution.
Il est allemand et probablement africain. Il nous a quittés à la fin de l’été. Avec  «Via Intolleranza II», Christoph Schlingensief a osé occuper la scène du KVS-BOL à Bruxelles pour y donner un opéra germano-africain totalement fou pour en appeler à la raison: l’Afrique n’est pas à vendre, mais elle peut nous accueillir.
Personne ne peut la caser et c’est sa chance. Gisèle Vienne a créé une forêt sur scène pour nous embrumer jusqu’à soulever l’humus posé sur des corps violentés. «This is how you will disappear” restera pour longtemps une très belle oeuvre théâtrale, chorégraphique et musicale.
Allait-il oser toucher à «Hamlet» ? Le jeune metteur en scène David Bobée a créé l’événement de la rentrée dernière en proposant une mise en scène branchée avec des acteurs sensibles pour comprendre la folie du pouvoir. Efficace par les temps qui courent. D’autant plus qu’au cours de l’été, Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde avec «Un nid pour quoi faire» nous avaient déjà conté l’histoire d’un roi fou barricadé dans un décor de chalet de montagne. Cette allégorie du système sarkozyste et berlusconien fut spectaculaire, car inattendu dans un paysage théâtral français bien mou à l’égard du pouvoir en place.

Avec son majestueux théâtre de marionnettes, Grégoire Calliés  dans  «La petite Odyssée” a convoqué petits et grands pour nous entraîner dans la folle histoire des idées où les innovations, l’art et les  conflits s’enchevêtrent à partir d’une mise en scène et de décors qui  ont mobilisé tout notre «sensible disponible. Notre petit roi n’y fut même pas évoqué…

Encore une histoire de roi et de reine avec «Bérénice d’après Bérénice de Racine» mis en scène par Gwenaël Morin. Le spectacle, c’est lorsque la langue de Racine se pare des beaux atouts de la modernité: le texte s’envole, se débarrasse de ses oripeaux et nous fait peuple de Rome et de Palestine, garant de la raison d’État et protecteur de l’amour d’un roi pour sa reine! Entre le théâtre de Grégoire Calliés et celui de Gwenaël Morin, il y a eu Simon McBurney. Dans «Shun-Kin», le corps amoureux prend le pouvoir sur la douleur du monde, sur la lente déflagration de nos sociétés individualistes.Un spectacle si beau que l’on  aurait pu fermer les yeux.
Et puis, en 2010, il y a eu Pina Bausch. Il a fallu en faire des kilomètres pour la voir à Lyon («Nelkein») puis à Monaco («le sacre»). Deux oeuvres majeures où la scène parsemée d’oeillets ou de terre a vu les corps se fracasser d’amour. La danse de Pina Bausch a laissé ses empreintes.
C’est spectaculaire, croyez-moi.
Pascal Bély, Le Tadorne