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OEUVRES MAJEURES

C’est un truc chorégraphique ou une variation du ça.

Il est temps pour eux de se poser. De dévoiler leurs dessous. De table et de scène. D’ouvrir leurs boîtes à coucou, leurs malles à jouets, et de sortir leurs doudous. Par fraternité. Par sororité. Pour en pleurer de rire et vivre, in situ, la condition de l’artiste chorégraphique. Ils sont trois : Viviana Moin, Laure Mathis et Arnaud Saury. Il y en a toujours un au centre, deux autour. À tour de rôles. Ainsi vont les artistes : différents, mais groupés.

Viviana Moin vient vers nous. Elle a de jolies formes, de celles qui vous accueillent sans vous écraser. Son corps est un tableau, non sur l’origine du monde, mais sur son avenir : des petits tourbillons rouges de tissu dessinent ses seins dans lesquels le regard se perd. Comme une ode à la créativité. Mais déjà le réel la rattrape : elle nous informe que nous sommes le 27 novembre, date incontournable, qu’elle aurait bien oubliée. Cela fait probablement des mois qu’elle se le répète, qu’elle fait et défait, qu’elle pense cette création pour nous. Elle voudrait sauter cette date, mais nous y sommes. C’est le moment. Sans nous le dire, Viviana a peur. C’est beau un trac sur scène. C’est offert.

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J’ai confiance. Nous voilà maintenant embarqués pour soixante minutes de générosité artistique entre improvisations et maîtrise, sur la place de l’artiste, oubliée des discours politiques et des politiques publiques autour de l’éducation du jeune enfant. De toute façon, ces trois-là n’ont plus rien à perdre. Leur prochaine création est programmée pour de dans sept ans ! Putain, sept ans ! Belle métaphore d’un système qui convoque le public et les artistes sur des durées de plus en plus longues quitte à précariser et uniformiser.

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Mais qu’importe, notre trio se met au boulot en appelant au mythe (ah, la licorne bleue !) pour le transformer et s’en fabriquer un nouveau. Drôle d’époque. Peine perdue, tout va trop vite. C’est casse-gueule. Mieux vaut passer à autre chose. En attendant…On peut toujours causer lors d’une conférence sur l’avenir de l’art contemporain et se positionner en spécialistes. Ils improvisent une table ronde bien carrée, avec une peluche, une poupée et un doudou. Il en sortira tôt ou tard quelque chose. Mais on finit par ne plus savoir de quoi on parle : qu’importe le discours tant qu’on a la place!

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Notre trio continue d’égrainer les possibles pour que le processus de création ait encore une fonction dans un environnement où le temps de l’immédiateté prend le pouvoir. Mais rien ne marche. Quand Arnaud joue avec sa poupée qu’il désarticule dans tous les sens, elle ne répond pas. Il semble ne plus pouvoir penser le mouvement jusqu’au moment où, un squelette en habit de princesse lui donne des ailes.  Alors que ses camarades  le mettent en danger, Arnaud finit par devenir fou jusqu’à sortir de la scène pour courir dans les jardins du 3 Bis F (lieu d’Arts contemporains niché au coeur de l’hôpital psychiatrique d’Aix en Provence). Moment magnifique. Et la poésie dans tout ça ? Laure peut bien lire un poème, mais elle est une enfant surprise dans le noir qui doit dégager. Il faut aller vite, produire toujours plus.

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«Espiral» est une oeuvre drôle, noire et profondément optimiste. Une scène la résume : alors qu’ils s’apprêtent à créer un concert acoustique ( !), Viviana, Laure et Arnaud enfilent un masque. Leurs petits jeux d’enfant permettent de maintenir le lien, coûte que coûte, même si c’est difficile. Ils les  autorisent à toutes les créativités. Avec courage et obstination, la scène est le foutoir de leur chambre d’adolescent. Il y a dans leurs gestes, leurs mots, leurs postures, toute l’ingéniosité de l’enfant dans un corps d’adulte.  Il y a ce désir fou d’un art brut, raté, mais qui véhicule l’essentiel : la fantaisie, le travail à la marge, l’expérimentation pour se fabriquer des mythes. À l’encontre de notre époque qui rationalise tout. Pourtant, le potentiel est là : tout semble si ouvert !

Viviana, Laure et Arnaud font partie de ma fratrie. De ceux qui pensent que l’on ne gagne rien à faire mal au sensible. De ceux qui croient que les chemins de traverse nous mèneront là où enfant nous avions décidés d’aller.
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Espiral » de Viviana Moin, Arnaud Saury et Laure Mathis. Les 26 et 27 novembre au 3 bis F d’Aix en Provence dans le cadre du Festival DANSEM.