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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, « Airport Kids » perd la partie.

Avec “Airport Kids“, Lola Arias et Stefan Kaegi invitent le public à s’immerger au coeur de la mondialisation. Je suis un habitué. Dans «Call Cutta in a box» présenté au KunstenFesitvalDesArts de Bruxelles en mai dernier, j’étais enfermé dans un bureau où, en direct d’un centre d’appel basé en Inde, une opératrice tirait les ficelles d’un théâtre virtuel. Il y a deux ans, « Mmenopark» dénonçait les conséquences de la mondialisation vue par des amateurs suisses de modélisme. Il y a quinze jours, au Festival de Marseille, dans “Cargo Sofia – Marseille“, j’étais transporté «telle une pastèque» dans un camion rempli de 45 voyageurs qui pendant deux heures, de Marseille à Vitrolles, nous a fait voyager entre Sofia et Marseille, au coeur du réseau des routiers mondialisés. Au Festival d’Avignon édition 2008, me voilà maintenant convié dans un sous-sol d’aéroport. Mais cette fois-ci cela se passe dans un théâtre où je suis normalement assis.
Une heure quinze avec neuf gosses de 7 à 14 ans, qui ont la particularité d’être «portables», c’est-à-dire de parents agents économiques mondiaux qui rayonnent de Lausanne vers l’ensemble de la planète. La mondialisation est un théâtre très fragile : ces enfants ne sont pas des comédiens. À chaque instant, tout peut se casser la figure.
Si au départ cette fragilité m’amuse, elle fatigue sur la durée, car elle appauvrit progressivement le propos. Du théâtre pour enfant, nous passons rapidement vers le jeu de rôles d’adultes, plaisant à regarder au demeurant, mais éthiquement contestable. Le plus troublant est la permanence de ce processus quelque soit le concept que développe Stefan Kaegi dans chacune des ?uvres mentionnées plus haut. Il y a une forte distorsion entre le beau témoignage de ces enfants (comme ceux des routiers, de l’opératrice et des personnes âgées suisses) et la capacité du dispositif à transcender le propos. On reste souvent collé à une réalité qui a du mal à nous donner les enjeux complexes de la mondialisation.
Stefan Kaegi et Lola Arias font un beau zoom (scénographie parfaite, alternance de moments poétiques et de rappels sur la mauvaise santé psychologique de ces gosses de riches) mais la focale me paraît toujours étroite. Il est à ce sujet intéressant de faire référence à Edgar Morin, auteur de la théorie sur la complexité qui déclarait sur le site internent Nonfiction.fr: «Non seulement une partie est dans un tout, mais aussi le tout se trouve à l’intérieur de la partie, comme par exemple la totalité du patrimoine génétique se trouve dans chaque cellule, y compris de notre peau, ou encore la société en tant que tout est présente par l’éducation, la culture, le langage dans l’esprit de chacun…tout est dans tout et réciproquement”. Or, les parties décrites par Kaegi et Arias ne me donnent pas les propriétés du tout. Pour résumer, la partie ne parle qu’aux parties! Alors, on salue à chaque fois la créativité des acteurs-amateurs, la manière dont ils sont mis en scène dans leur fragilité, manipulés pour la «bonne cause» : la méchante mondialisation face au gentil public d’Avignon.
À mesure que le jeu se déroule, je ressens le paradoxe: la globalisation réduit, casse, mais elle permet à Kaegi d’être dans une «hyper créativité». À sa façon, à force de comprendre certains processus réducteurs de la mondialisation, Kaegi les fait vivre à son public.
Dans «AirportsKids», tout nous est donné. Manque peut-être notre partie.
Pascal Bély – Le Tadorne.
“Airport Kids” de Lola Arias et Stefan Kaegi a été joué le 6 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon
“Cargo Sofia – Marseille” du collectif Rimini Protokoll et de Stefan Kaegi a été joué le 4 juillet 2008 dans le cadre du Festival de Marseille.
«Call Cutta in a box” par Haug, Kaegi et Wettzel / Rimini Protokoll a été joué du 9 jusqu’au 31 mai 2008 à Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.

 

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La 25ème heure du Festival d’Avignon: “Guardamunt 55′” ou la folie de Nijinski.

La 25ème heure est un moment dans la nuit durant lequel, abîmé par la fatigue de la journée, le spectateur se laisse envahir, pénétrer, par ce qu’il voit ou décide de s’endormir sur son siège. Pour cette première 25ème heure du Festival, j’ai pris le parti d’être Nijinski, danseur étoile qui se consacra à l’écriture dans sa villa de Guardamunt avant d’être interné. Et pas n’importe quel Nijinski, celui du collectif «pEqUOd».
Effectivement, celui qui n’a pas croisé « Les Cahiers » de Nijinski ne saura reconnaître le travail méticuleux et la belle performance de l’ensemble que constituent Bénédicte Le Lamer et Pascal Kirsch.
Pendant près d’une heure (la durée est dans le titre), les paroles de Nijinski prennent place dans les sous-sols de l’école d’art. Des balbutiements d’enfants aux grandes envolées mystiques, Bénédicte Le Lamer nous livre de par sa voie la version des écrits de Nijinski, plus précisément celle du poème « Au Hommes » et d’un extrait de son journal.
Me laissant envahir par le son obsédant et strident du saxophone et bercer par les chuchotements et autres cris, je suis guidé dans la folie nijinskieste si bien retranscrite et prends plaisir à écouter ce que j’avais lu six ans auparavant pour des besoins universitaires.
Aux paroles, se joint la présence de Didier Le Lamer, assis sur sa chaise, le regard dans le vide. Tel un Nijinski, il exécute par la suite quelques étirements si chers au danseur afin de réveiller son corps, puis ira se coucher comme pour signifier sa mort.
« Cahiers » de Nijinski retrace, à mon sens, la perte de l’individu qu’il a été. Devenu autre, il n’a pas d’autre choix que de se nier lui-même jusqu’à parler à la place de Dieu et combattre sa folie qui le pousse à écrire que « Mort est mort, et je suis vie
Je suis vie, et tu es mort
Ayant vaincu la mort par la mort
Je suis mort, et tu n’es pas vie
».
Traduire “Guardamunt 55‘” par l’écrit relève du défi ou bien… de la folie.
Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

Guardamunt 55′” de Bénédicte LeLamer et Florent Manneveau a été joué dans la nuit du 8 au 9 juillet 2008  au Festival d’Avignon.

  © Christophe Raynaud de Lage.