C'est avec cette ?uvre inclassable que s'ouvre le Festival de Marseille ! J'ai la douce impression de poursuivre le KunstenFestivaldesArts de mai dernier à Bruxelles tant « l'homme de février » de Gildas Milin est profondément transdisciplinaire.Nous arrivons au Théâtre de la Criée de Marseille et les comédiens (habillés en tenue de plongée) nous accueillent dans une petite salle. Une centaine de personnes prend place à partir d'un dispositif bifrontal. Cette proximité avec les acteurs et le public n'est pas anodine ; elle nous plonge au c?ur de la folie, de la déconstruction. Pour entrer dans « l'homme de février » autant oublier nos schémas rationalistes (des acteurs, un texte, un début, une fin) ; seule un telle disposition de la salle peut aider le public à se laisser aller à sa créativité.
Décidément, après « Psychiatrie / Déconniatrie » de Serge Valletti, « VSPRS » d'Alain Platel, « sx.rx.Rx » de Patricia Allio, « Lugares Communes » de Benoît Lachambre, je suis en quelques mois projeté dans l'univers de la déconstruction. Coïncidence ? Mouvement artistique de fond ? Toujours est-il que depuis la crise de l'intermittence en 2003, les frontières entre les disciplines me paraissent bien poreuses. Théâtre, danse, arts plastiques, musique, tout semble s'enchevêtrer pour mieux déconstruire nos schémas linéaires. Dans ce monde complexe, ouvert, le rationalisme scientifique rend fou, le politique prend le contrôle des comportements pour mieux s'immiscer dans la psyché (l'UMP légifère sur la psychanalyse, Sarkozy veut détecter les actes déviants dès le plus jeune âge). Les artistes alertent et nous positionnent au c?ur de cette prise de conscience : les théories comportementalistes nous amènent tout droit vers le fascisme. Vouloir contrôler la psyché pour faire face à la complexité est une pure folie. Gildas Milin le sent et compte bien nous le faire sentir. Mais je suis fatigué ce soir : j'ai travaillé avec une équipe de la petite enfance toute la journée pour les accompagner à se décloisonner, à tendre vers la vision globale, la créativité?
Cristal arrive sur scène (magnifique Julie Pilod) ; elle ne cesse de répéter « je ne suis pas sûre ». Elle court, se jette à terre, se relève. Les mots sont mécaniques, comme un robot. Elle est entourée de huit plongeurs qui, comme dans une salle des machines, donnent des consignes. Cristal, chanteuse de rock de son état, est donc sous contrôle et l'espace scénique semble sous l'?il d'une vidéosurveillance. Cristal est désespérément seule et la prise de médicaments est son alternative pour survivre dans ce monde si complexe. Elle se promène avec sa mallette remplie de potions (des bêta – bloquants) qui vont diffuser dans son corps des milliers de molécules aux missions très précises (être rationnel, avoir des émotions contenues,?). Christelle, son amie, veut l'aider pour sortir de cette souffrance. Elle invente un clone, « l'homme de février », dont le pouvoir est de la rendre heureuse. Ce clone la suit du regard; il s'installe dans le public (comme un simple spectateur) ; se lève parfois pour être à côté d'elle puis reprend sa place parmi nous. S'enchaîne alors différentes scènes où alterne transe, conscience, et inconscience. Nous voyageons dans la psyché de Cristal. Comme des voyeurs, nous rions, observons les moindres faits et gestes. Certains spectateurs n'hésitent pas à se déplacer pour changer d'angle de vue notamment lors du concert où Cristal semble se jeter à corps perdu dans le rock (magnifiques comédiens ? rockeurs ? musiciens !). Je bouge peu comme intrigué par ce que je vois et entends. Et pourtant, je ne cesse de bouger dans ma tête : est-ce du théâtre ? de la danse ? un concert Rock ? En fait, l'histoire de Cristal prend sens à partir du regard que je porte sur elle. Je peux y voir ce que je veux. Par cette prouesse artistique où nous passons du réel à l'imaginaire, Gildas Milin m'envoie de beaux anti ? bêta ? bloquants qui donne à l'ensemble un aspect euphorisant, ouvert et me positionne comme spectateur actif. Au bout de deux heures trente d'un spectacle mené tambour battant, je sors quelque peu sonné, mais heureux d'avoir assisté à une ?uvre « politique » en ces temps de perte de créativité dans les milieux médiatico ? politique.Arrivé au parking, cinq membres d'une équipe petite enfance que j'accompagne comme consultant dans une collectivité m'interpellent. Elles sortent d'un repas où elles ont travaillé leur réseau. Je n'en reviens pas de cette coïncidence. Face à l'incertitude, au complexe, elles répondent par le collectif, le transversal et le projet. J'ai rencontré les « femmes de juin »?
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Elle fut à l’origine de ce blog lorsqu’elle m’a suggéré en mai 2005 d’écrire mes analyses sur les nombreux spectacles que je voyais. Un an plus tard, un « pass » à la main, elle arpente les lieux du Kunsten à Bruxelles pour se forger une idée sur la création contemporaine. Elle a d’ailleurs écrit pour le blog. Tout est lié?C’est donc avec Peggy que « Le Tadorne » commence une série d’interviews de spectateurs pour dresser le bilan des festivals. Elle inaugure celui du KunstenFestivalDesArts. Et puisque nous sommes sur un blog, c’est un dialogue à deux voix qui vous est proposé en direct d’un café de Bruxelles?
Peggy: Sans hésitation, «
Le Tadorne : comment as-tu vécu le fait d’écrire des articles sur le Kunsten pour un blog ?
Ils sont neuf sur scène coiffés de perruques grisonnantes. Ils sont assis dans des sièges noirs, très fonctionnels au design digne d’une salle d’un Conseil d’Administration de Clearstream. Ils se lèvent progressivement et leurs pas se font de plus en plus saccadés. Comme chez Alain Platel, la transe fait la danse. Les comportements frôlent la folie. Cela fait mal aux corps. Il s’agit alors de se regrouper pour tenter de dialoguer, mais rien n’est possible. L’important n’est pas d’écouter, mais d’affirmer ses arguments. Le débat n’est qu’illusion. On se croirait dans une émission d’Arlette Chabot, la directrice de l’information de France 2, célèbre spécialiste de la question qui clive ! Il faut donc réinventer l’espace entre eux et nous. Dans cette recherche d’un lieu commun, Benoît Lachambre semble vouloir nous associer. Il cherche avec nous. Cela tombe bien, je sens ses artistes si proches de moi que rien, de leurs faits et gestes, ne m’échappe. Plus je les observe, plus je crée moi aussi cet espace. C’est une sensation nouvelle!
Ainsi se succèdent plusieurs scènes où ces neuf danseurs – comédiens (tous magnifiques) tentent de créer le lieu commun, celui où toute leur créativité peut s’exprimer dans le non-jugement et loin des conventions du marketing (la scène où quatre d’entre eux semblent mimer le langage de la publicité est hilarant !). Et puis, deux instants purement magiques m’emmènent symboliquement sur scène. Sur la droite, trois femmes sur un podium lisent une magnifique poésie sur une musique entraînante, tapant la mesure avec leurs doigts. Au même moment, l’espace se transforme et deux trios investissent d’autres lieux où deux hommes et une femme se tiennent par la main, assis, n’échangeant que par la force de leur lien. A ce moment précis, la chorégraphie est de toute beauté alors que les corps bougent peu. Emerge ainsi la force de « Lugares communes »: ouvrir notre regard sur le collectif transversal, au moment où les sociétés se communautarisent. Lachambre nous aide à repérer le lien créatif au détriment du lien qui clive. En choisissant de faire parler les comédiens dans une langue inconnue que nous ne comprenons pas, ils nous invitent à sortir du langage qui enferme pour nous ouvrir sur le lien qui complexifie. Cette pièce a eu des effets trois jours après. Signe que Benoit Lachambre m’a touché. Quelque part au niveau du vécu. 
Un nouveau monde apparaît alors. Une cantatrice arrive et chante devant la scène où le chaos produit ses effets sur un écran vidéo. C'est beau, mais je ne suis pas touché. Tout est à distance comme si Castellucci avait eu peur de Marseille, aveuglé par la lumière, par la religiosité de cette ville. Je sors de cet épisode avec le sentiment que, décidément, Catellucci ne me touche pas avec son théâtre d'ombres, de sons et de lumières.
L'exposition du grand Palais
Le lendemain, devant les photographies de Willy Ronis, j'ai les larmes aux yeux. Le regard porté sur les parisiens est si touchant que l'on comprend pourquoi son ?uvre a été associée à la « photographie humaniste ». Nous hésitons à enchaîner sur l'expo Paris au cinéma, mais Willy Ronis m'a déjà rasséréné, je n'ai plus de place pour accueillir autre chose, je veux rester encore un peu dans son univers bienveillant.
Dernier jour. Mus par la volonté de comprendre, nous décidons de nous rendre à la Villette pour «
Le rideau se lève. Le décor, sur des roulettes, est à deux faces. Il est imposant et très massif sur cette petite scène. C’est une prison. Sur le toit, les policiers voient tout, le doigt sur la gâchette. Mais ils jouent aussi le soleil et la lune pour nous éclairer sur la dualité complexe des personnages, entre ombre et lumière, entre masculin et féminin. Sur scène, le Directeur, l’aumônier-économe et Marchetti, le plus beau gardien du bagne. Ils ont à eux trois main mise sur les neuf bagnards. Séduction, coups tordus, violence physique et verbale ponctuent les rapports entre ces hommes que tout oppose, mais dont le lien s’avère indestructible tant il est ancré dans des jeux pervers. L’arrivée d’un nouveau bagnard, Forlano, déstabilise ce bel équilibre. Tout au long de l’histoire, nous ne l’entendons presque pas, mais ses gestes et postures en disent long sur ses intentions. Il est l’enjeu du pouvoir entre deux autres bagnards (Rocky et Ferrand) qui se livrent aux plus basses stratégies pour conquérir ses faveurs. L’assassinat de Marchetti envoie Forlano à la guillotine (le Directeur ne s’embarrasse pas d’un procès !). Vous l’aurez compris, la pièce de Genet se joue en eaux troubles. Les dialogues sont inégaux (est-ce sa plus belle oeuvre?) ; certaines scènes prennent à la gorge (lorsque le gardien présente Forlano à ses compères ou quand les bagnards refusent à tour de rôle d’étendre le linge !).
une scène plus longue avec un décor moins haut (comment regarder la lune et le soleil alors que les comédiens jouent en bas !). J’ai surtout l’étrange sensation que la mise en scène ne s’inscrit pas dans un contexte. Si Genet passe sous silence l’aspect politique du bagne, Bourseiller aurait pu replacer la pièce dans un contexte historique (certes la France n’a jamais fait ce travail d’introspection ; il aurait pu le faire). Au final, cette pièce ne mérite pas certains commentaires excessifs entendus à la sortie («
Le premier, « Transgedy » de Caterina est dansé par Alessandro Bernardeschi. Sur scène, un guéridon, une radio-cassette, et tous les ingrédients pour passer à l'heure de l'apéro. Une photo trône sur cette si petite table. L'homme fume puis se lève pour danser sur la musique des Bee Gees (« Tragedy »). Il danse sa solitude et je me sens dérouté. Rien n'est linéaire dans les gestes, tout est saccadé comme une vie qui perdrait le fil conducteur, le sens. Pendant plus de vingt minutes, j'assiste à la souffrance d'un homme seul, qui se jette à terre, pour se relever, souffrant, mythomane de surcroît (il se prend pour Shakespeare ? la photo, c'est lui !-). Et pourtant, je reste à distance, sans empathie particulière pour cet homme, comme si ma position ne faisait qu'accentuer sa solitude. Le final où il s'asperge de Ketch'up pour simuler un drame shakespearien frôle le pathétique. Mais loin du ridicule et du pathos, Caterina Sagna touche là où cela lui fait mal ; nous fait mal. Avec poésie.
Le deuxième solo (« Tourlourou ») dansé par Carlotta Sagna va faire l'effet d'une petite bombe dans ce si joli théâtre. Elle arrive, tutu vert et pointes au pied. Un petit plateau en forme de cible l'attend. Au cours d'un très beau texte, elle nous annonce qu'il ne lui reste que dix minutes à vivre. Une autre tragédie se joue devant nous (on n'est quand même pas là pour rigoler ce soir?). Dans ce si petit espace, Carlotta Sagna va danser l'impossible à savoir le passage de la danse classique à la danse moderne, métaphore des transformations, des virages qui parsèment la vie. Je reste ébloui par ce corps qui se plie, se déplie, se lève, se couche alors que tout va se terminer dans quelques minutes. Le corps habite l'intensité dramatique comme je l'ai rarement vu en danse. A la voir se remettre à danser avec ses pointes, provoque en moi un élan d'émotion comme si le film de sa vie se jouait là, face à nous, dans cet espace si petit. Carlotta Sagna est au cours de ces trente minutes, plus qu'une danseuse. Elle est une artiste qui repousse les frontières de son art à l'image de la Needcompany, espace de création pluridisciplinaire basé à Bruxelles et animé par Jan Lauwers. « Tourlourou » est beaucoup plus qu'une « Transgedy ». C'est un petit chef d'?uvre d'humanité.
Le KunstenFestivaldesArts à Bruxelles, c’est aussi la découverte de troupes aux moyens dérisoires issues de cultures lointaines, à 100 000 lieux de nos standards occidentaux. Ce fut le cas cet après-midi avec « Pression / Impro-visé_2 », du chorégraphe congolais Andréya Ouamba. Nous nous installons au Théâtre 140 pour un huis clos avec des danseurs sénégalais, sur quelques notes de musiques, deux caissons de bois, du papier journal, un abri modeste. On est loin du faste de
Mais que vous a-t-on fait ? Deux heures de spectacle et seulement dix minutes dansées, dix minutes d’un même enchaînement repris inlassablement – cette transe, ce tremblement compulsif que vous affectionnez tant.
Un homme, donc, se plie, se tord dans tout les sens. Soudain, l’ampoule qui pend à quelques mètres, tombe et s’explose. Noir. Une dizaine de personnes nous apparaissent alors occupant la scène, statique. Tableau magistral. L’ambiance est électrique, les couleurs métalliques hormis ce grand drap rouge pendu quasi au milieu. Trois êtres, tels des mannequins évadés d’un grand magasin, traversent la scène dans un pas mécanique, rapide, fou. Une femme, tout devant, drapée dans une toge noire, marmonne dans un micro. Bock&Vincenzi ont tout prévu pour nous rendre le tout insupportable : madame marmonne dans son micro suffisamment fort pour que l’on soit tenté d’écouter, pas assez pour que l’on puisse comprendre ; dans la sono toujours la même tension ponctuée d’explosions électriques qui traversent l’espace faisant bondir mes voisins et moi-même par intervalles réguliers ; il y a un problème avec la sono, ou peut-être ce sont les amplis …mais bon sang pourquoi ne pas partir ? Se casser tout simplement ?