Catégories
FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Festival d’Automne de Paris: Pourquoi “Partita 2” peut-être une pièce-clé et comment a-t-elle créé le dissensus?

Du 26 novembre au 2 décembre 2013, les chorégraphes Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz présenteront «Partita 2» au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne. Nous sommes nombreux parmi les Tadornes à l’avoir vu au Palais des Papes lors du dernier Festival d’Avignon. Je me souviens encore de nos colères à la sortie d’un spectacle que nous n’avons pas accepté tant l’art de l’entre-soi considère le public comme une variable d’ajustement. Une véritable fracture était apparue entre les professionnels de «la culture» et les spectateurs : d’un côté, une critique d’érudits; de l’autre un public qui n’aurait pas compris. Cela faisait longtemps que l’on ne m’avait pas classé dans les ignorants. Soit.

Nous publions le regard de Sylvain Pack à qui je reconnais un beau travail de recherche, mais qui ne parvient pas à relier ma sensibilité à ce travail chorégraphique trop en hauteur…de vue?

Pascal Bély- Tadorne.

Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz n’auront pas besoin de mon regard pour défendre la pièce qu’ils ont interprétée en clôture du dernier Festival d’Avignon, mais je souhaite expliquer pourquoi je me dissocie autant de la critique entendue depuis qu’ils l’ont présenté dans la cour d’honneur. Prétentieuse, fainéante, élitiste, mesquine, plusieurs adjectifs qui résumeraient les reproches lus et formulés contre l’expérience proposée.

La structure en 3 actes : le temps de l’écoute, le temps de la danse, le temps de la rencontre entre son et mouvement semble pourtant être le meilleur choix pour offrir aux spectateurs les points de vue cardinaux sur l’objet d’une recherche scénique. Recherche de deux chorégraphes liés par l’écriture de la danse, la musicalité dans la danse et les avant-gardes en danse contemporaine. Ces deux artistes ont rencontré, collaboré et étudié les ruptures décisives (Lucinda Childs, Odile Duboc, Yvonne Rainer Deborah Hay, Simone Forti, ou plus récemment Julyen Hamilton, Mark Tompkins, David Zambrano…) Faisant un écho tardif aux arts plastiques, ces positionnements d’artistes ont permis à la danse de se dégager de la notion de représentation en se concentrant sur le quotidien du mouvement humain, en permettant aux danseurs d’utiliser les découvertes kinesthésiques, les relations somatiques aux gestes, un rapport plus naturel au sol et aux éléments, imposant de fait un nouveau lien au public. Mais celui-ci n’a pas encore eu accès à tout ce travail de fourmis, soit parce qu’il n’a pas été suffisamment présenté et expliqué sur les scènes nationales, soit parce qu’il est resté là, comme un malentendu technique, à l’abri, dans les studios de répétitions… me reviennent en mémoire des pièces de Merce Cunningham présentées il y a quelques années à l’Opéra de Paris, huées pendant la représentation ! Je crois qu’il est bon d’admettre que le public est sérieusement en retard et ce serait signe d’humilité de le reconnaître, ce qui n’est pas trop dans le caractère français. Avec Partita 2, nous avons donc eu la chance d’assister à une étude de premier choix. L’écoute d’un son intimiste et rigoureux, une chorégraphie intérieure et sans effet et enfin comment ces deux partitions peuvent s’influencer. L’art de la danse quitte ses apprêts et Anne Teresa de Keersmaker nous invite à la table avec un associé plus jeune, gourmand de contact, de buto, de danse urbaine. Ensemble, sciemment, ils ne choisissent pas la voie de la facilité : peu de portée, aucune acrobatie, pas de dramaturgie ni de décor, une partition lumière, à minima, accompagnant les 3 actes de la pièce.


Nous assistons à l’écriture de la rencontre en train de se faire. On rejoint de nouveau l’art contemporain et son goût du processus rendu visible. Deux chorégraphes et Amandine Beyer, violoniste à l’écoute, en attention, ramène cet espace « sacralisé » par son lien à l’art vivant, à l’atelier brut de l’artiste au travail, comme celui de Bruce Nauman, se filmant, traçant un carré au sol et marchant patiemment sur la ligne, jouant une note de violon jusqu’à épuisement. Ils montrent leur faille, dévoilant les imperfections spectaculaires du plaisir brut lorsqu’il est exposé, et de gestes plus internes, se risquant sur des questions inconfortables de danse : verticalité, marche, arrêt. Je pense qu’il est bon alors d’insister sur la cohérence de l’écriture : l’hésitation, la pauvreté, la nuance, la douleur, l’amour du mouvement dansé sont des motifs émotionnels qui ont dû, à plusieurs reprises, et en écho à Bach, être pensés. De ce temps nettoyé du savoir et de la technique, affleurent les raisons profondes et la vibration qu’il s’en dégage, l’enfance de l’art, le jeu absurde et répétitif qui permet de nous séparer de tout tuteur, mais qui lui demande cependant d’être le témoin de ses bêtises. Devenu complice, doit-on alors leur imposer les limites de notre raison et les codes esthétiques que nous avons retenus ? Ne peut-on pas accepter de nous mettre au niveau « souterrain » du jeu qu’ils nous proposent, réduisant nos ambitions de fantasmeurs professionnels, se tenant simplement assis dans cet immense espace rendu à sa taille humaine, en laissant passer le temps puis en réalisant enfin que nous avons en face de nous 2 chorégraphes qui ont une pleine maîtrise de leur langage (leur répertoire le prouve amplement), et nous livrent en secret cailloux et joyaux mélangés  ?

Cette proposition peut faire objet de défi à qui veut l’entendre et confirme le chemin que j’imagine dans la nouvelle voie engagée par Anne Teresa de Keersmaker depuis «En attendant» et «Cesena». Sa danse s’est subtilement détachée de l’illustration et de la narration musicale, comme si elle reprenait très lentement pour elle-même le changement de paradigme artistique du siècle dernier, confirmant cette transition en collaborant directement avec Boris Charmatz, qui a déjà assimilé ces modifications, né à la danse dans ce contexte et recevant une reconnaissance immédiate de ses pairs par la saisie convergente d’expressions physiques processuels.

Sylvain Pack.

«Partita 2» d’Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz  au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2013 puis au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne du 26 novembre au 2 décembre 2013.

Catégories
AUTOUR DE MONTPELLIER Vidéos

QueZATko?

Le 11 novembre 2013, journée de la mémoire de la Grande Guerre de 14/18… Le 11 novembre, nos mémoires se réveillent, mais sur un quartier de notre ville. C’est la septième édition de la ZAT de Montpellier, «Zone Artisitique Temporaire». Depuis 2010, l’art nous entraine dans les plus petits recoins de la ville. Nous vivons à Montpellier, croyant la connaitre, mais à travers une démarche interactive d’accompagnement artistique, nous ouvrons  de nouvelles recherches cognitives.

Le froid, le vent, se sont levés ce matin. Nous sommes quelques intrépides à nous glisser hors de nos lits, en ce dimanche, pour suivre une visite urbaine ou écouter des chercheurs, architectes, sportifs, artistes, nous dévoiler leur conception du ” Do it your self”.” Faire soi même”, nous sommes au coeur de cette actualité. Habitants, spectateurs, acteurs, citoyens, nous devenons tout à la fois, dans la polyvalence de nos déambulations. Nos errances ont un but: glaner l’artistique à chaque coin de rue, ou dans des lieux fermés habituellement.

L’interaction est partout; la rue et son public vivent à l’heure d’ un festival éphémère. Les langues se délient, les regards s’agrandissent, les visages s’animent. Petits et grands, citadins et banlieusards, nous voici tous réunis. Autorisés à prendre son temps, dans des espaces nettoyés de voitures et de contraintes. Autorisés à partager avec nos voisins ses sentiments. L’émotion
devient le principal levier de communication. Le plaisir est palpable. La patience est mise à l’épreuve, car l’attente peut être ponctuée de frustrations, si les portes restent closes faute de place. Mais on prend l’initiative d’aller quelques mètres plus loin, trouver refuge dans une salle éclairée, devant la chaleur d’un brasero, rencontrer un ami perdu de vue, écouter une musique, regarder un mouvement de danse, saisir une poésie…L’art fuse tout à coup dans l’urbain et rassemble. Il faut accepter de ne pas pouvoir tout voir. Deux jours, c’est trop court. À nous de prolonger ces formes artistiques dans la ville, de les relier, de les penser et de bâtir de nouveaux projets citoyens.

L’introduction ” Du Bohneur est dans le chant” de la Compagnie les Grooms, nous a fait imaginer quelques instants, un adjoint municipal à l’urbanisme, la culture et au développement local.

Vacheries” ont cultivé nos champs de citadins à travers la voix de Jean Louis Trintignant, accompagné par Michel Arbatz et Olivier Roman Garcia.

Poêtre” a ému la foule, dans les textes à étages du collectif  Brigade d’interventions Poétiques/ Compagnie Zigzag.

La fanfare des Kadors est devenue troupe dignement descendue de Pina Baush, chorégraphiée par François Rascalou.

La Laiterie, lieu de convivialité connu de tous, nous  fait découvrir la vie des artisans locaux et sourire devant les créations de Cyriak.

Dynamogène a réveillé nos âmes d’enfant dans les cliquetis de leurs machines. Tout à coup je me suis transposée dans l’atelier de mon grand-père. J’ai frôlé son bleu du bout des doigts, j’ai senti l’odeur de l’huile, et la scie musicale m’a coupé le souffle…

Lors de la tchat Zat, un géographe, Luc Gwiazdzinski, nous a donné à voir la Zat derrière la lumière de son esprit de chercheur. La Zat a tout à coup transformé notre cité en pistes de réflexion. Nous avons touché la notion d’éprouver, de gouter au choix du mouvement, de l’imaginaire, du modeste ” Do it yourself”,  brillamment théorisé la veille par l’architecte Étienne Delprat, a pris toute sa dimension utopique. Thomas Riffaud a apporté sa dose de prise de risque, dans le ludique conceptualisé  au milieu de l’espace urbain.

J’ai fini ce week-end par une ligne bleue; celle dessinée sur l’épaule  de Dimoné, chanteur aux accents du Sud. Pendant que sa chair était percée par l’aiguille du tatoueur Bruno, nos coeurs battaient fort. Ce quartier, oui on le connaît. Cette voix, oui on la connait, cette complicité musicale on la reconnait.  Ses mots de mélancolie chaleureuse nous accompagnent dans la nuit bleutée. Demain nous nous  réveillerons jiminys, avec de nouveaux désirs, pour dessiner un nouvel horizon plus clair en sortant du ventre de la baleine.

La Zat a mis en valeur la dynamique d’un nouveau quartier, du potentiel qui vit en chacun de nous. Maintenant à nous de relier ces énergies :””Get lucky yourself “.

Sylvie Lefrère – Tadorne.

"ZAT" de Montpellier les 10 et 11 novembre 2013 dans le quartier Boutonnet.
Catégories
LA VIE DU BLOG

Où pister les spectateurs Tadornes en novembre 2013?

Le mois de novembre s’avère particulièrement chargé pour les spectateurs du Tadorne. De grands festivals (« Mettre en scène » à Rennes) côtoient des plus petits (« Les rencontres à l’échelle » à Marseille) tandis que les théâtres en profitent pour avancer dans leur saison. Pour la première année, le Tadorne sera à la ZAT de Montpellier (manifestation centrée sur un quartier où des artistes de plusieurs disciplines occupent la rue et les espaces culturels).

Parmi tous ces spectacles, combien feront l’objet d’un écrit, d’un engouement, d’un engagement de notre part ? À suivre…

Voici donc l’agenda du mois de novembre 2013 de Sylvie Lefrere, Bernard Gaurier, Laurent Bourbousson, Sylvain Saint Pierre et Pascal Bély.

De Marseille, à Paris, en passant par Rennes, Nantes, Nîmes, Montpellier, Marseille et Aix en Provence.

5 novembre >  “Café Lab” au Théatre de la Chapelle – Montpellier.

5 novembre > « La mouette » Yann-Joël Collin- L’aire libre  – Saint Jacques de la Lande.

6 novembre > “Trace(s)” de Sabine Tamisier – Salle du Bois de l’Aune – Aix en Provence.

7 novembre > « Henry VI » (épisode 3) Thomas Jolly – TNB – Rennes

7 novembre > “Les jeunes” de David Lescot – ATP – Aix en Provence.

8 novembre > “To B, the real tragedy” par Germana Civera – 3 Bis F – Aix en Provence.

9 novembre > “Bleu!” par la compagnie TPO – Théâtre Minoterie Joliette – Marseille.

9 novembre > “Mémoire du grand nord” par Mathieu ma fille Foundation – Théâtre des Bernardines – Marseille.

9 novembre > “22h13” de Pierrick Sorin – Théâtre de la Criée – Marseille.

9 novembre > Forum Libération – Montpellier Danse , “Pour corps féminin , corps étendart et danse: la révolution sur la pointe des pieds”. Corum – Montpellier.

9 novembre > “Orlando” de Guy Cassiers- Théâtre de la Bastille – Paris.

9 novembre > “Tambours dans la nuit” d’après Brecht mis en scène par Dag Jeanneret – Sortie Ouest – Béziers.

9 novembre > « Passim » François Tanguy – TNB Gabily – Rennes

9 novembre > « Carne » Sandrine Roche – La Paillette – Rennes

10 novembre > Festival Instants vidéos – Friche Belle de mai – Marseille

10 et 11 novembre > La Zat – Montpellier.

11 novembre > « Secret » Johann Le Guillerm – Chapiteau Cosec – Bruz

12 novembre > « Adieu et merci » Latifa Laâbissi – Musée de la danse – Rennes

13 novembre > « Aïlòviou » Didier Galas/Pascal Contet, Joël Grare/Christian Rizzo – TNB – Rennes

13 novembre > « Democracy » Maud Le Pladec – TNB  Ropartz – Rennes

13 novembre > “Dead Dog / vision” de Mounir Saeed – Les Rencontres à l’Echelle – Marseille.

13 novembre > “Early Works” Trisha Brown Danse Company – Marseille Objectif Danse – Marseille.

14 novembre > “AIR” de Vincent Dupond – Théâtre de l’Odéon – Nîmes.

15 novembre >  “Viejo, solo, y puto” de Sergio Boris.  Théâtre de la Vignette – Montpellier

15 novembre > « Utopia » Anne-Cécile Vandalem – La Paillette – Rennes

15 novembre > “Al Atlal” de Sharif Andoura – Les Rencontres à l’Echelle – Marseille.

16 novembre > “Taste me de Gurshad Shaheman – Les Rencontres à l’Echelle – Marseille.

16 novembre > “Touch me de Gurshad Shaheman- Les Rencontres à l’Echelle – Marseille.

16 novembre >« Polices ! » Rachid Ouramdane/Sonia Chiambretto – Le Triangle – Rennes

16 novembre > « Beaux Arts » Philippe Decouflé – Musée des Beaux Arts – Rennes

16 et 17 novembre >Festival Cour c’est court – Cabrières d’Avignon

19 novembre > « Ionesco suite » d’Emmanuel Demarcy-Mota – TNB  Gabily – Rennes

20 novembre > « Soirée composée » Marlene Monteiro Freitas/Volmir Cordeiro – Musée de la danse – Rennes

20 novembre > Danielle Ninarello – sortie de résidence au CDC Les Hivernales

21 novembre >  ” Histoires parallèles, pays mélés” d’Alain Buffard- Centre Chorégraphique de Montpellier .

21 novembre > “Fuck americapar la Compagnie Théâtre provisoire – Théâtre Joliette Minoterie – Marseille.

21 novembre > « Au bord du gouffre » Cédric Gourmelon – Vieux Saint-Etienne – Rennes

21 novembre >  Lecture de Carole Thibault – Une liaison contemporaine à la CHartreuse de Villeneuve les Avignon

22 novembre > « Rendez-vous sous la couette » Benoît Gasnier – TNB – Rennes

22 novembre > « Kristin/Fräulein Julie » Katie Mitchell, Léo Warner – TNB – Rennes

22 novembre > “Le Batman dans ta tête“, chantier de résidence d’artiste de David Léon- La Baignoire – Montpellier.

23 novembre >  ZAL, zone artistique littéraire – Montpellier.

23 novembre > « S Druge Strane » Nataša Rajković, Bobo Jelćić – La Paillette – Rennes

23 novembre >  « Nella Tempesta » Motus – TNB  Ropartz – Rennes

23 novembre > « Pleurage et scintillement » Jean-Baptiste André, Julia Christ – Grand Logis – Bruz

25 novembre > ” Têtes mortes de Beckett mis en scène par Marie Lamachaire – Théâtre de la Vignette- Montpellier.

26 novembre > ” Mauvais genre” d’Alain Buffard- Théâtre de Gramont, Montpellier Danse.

27 novembre : Le tourbillon de l’amour – Théâtre de Nîmes

28 novembre >« Le songe d’une nuit d’été » Compagnie l’unijambiste – Le Canal – Redon

30 novembre > “Todo el cielo sobre la tierra” d’Angélica Liddell – Théâtre de l’Odéon – Paris

30 novembre > « Antitéâtre l’intégrale » Gwenaël Morin – T U – Nantes

30 novembre > “La réunification des deux Corées” – Joël Pommerat – Chateauvallon.

 

 

 

 

 

 

 

Catégories
PETITE ENFANCE Vidéos

À Mantova, j’ai trouvé une brebis dans un kinder surprise.

Rendez-vous m’a été donné par Cristina Cazzola, directrice artistique du festival «Segni d’Infanzia» à Mantova. Nous nous étions rencontrés à «Petits et grands» à Nantes. Avec une détermination qui force le respect, elle anime depuis plusieurs années un festival pour les enfants dans un contexte économique particulièrement délicat en Italie. Afin d’amplifier la lisibilité de la programmation, elle propose au public et aux professionnels, d’entendre différents regards, d’où qu’ils viennent (de spectateurs et de journalistes). Six critiques internationaux ont donc été invités à débattre, démontrant pour l’occasion que le théâtre dit «jeune public» suscite un échange de qualité capable de transcender le clivage entre critique professionnel et amateur. Les contributeurs du Tadorne aimeraient que cet exemple soit suivi en France…

Quelles visions émergent de ce festival? Globalement, la parole est fortement présente sur les plateaux. Certaines propositions font le pari d’une approche didactique à partir d’une pédagogie créative de la différence entre forme et matière tandis que d’autres utilisent des effets de mise en scène au détriment du jeu de l’acteur. À l’enfant souvent bruyant dans la salle, répondent certaines oeuvres qui le sont tout autant parce que l’esthétique s’efface au profit de la démonstration. À la saturation de l’imaginaire des enfants par la société consumériste, répond sur scène une avalanche d’effets et de mots où l’objet tout puissant gomme le sujet. Le poids de la crise et la fatigue d’une civilisation sont palpables: corps courbés, habits des années soixante-dix, mécanismes de répétition, logiques de domination. Le tout dégage parfois un parfum nostalgique, voire mélancolique pour rejeter notre époque.

La créativité est alors la seule ressource pour résister, l’unique solution pour redonner une autre parole, trop longtemps confisquée comme dans « Pour la petite histoire » de la compagnie Sémaphore, où l’on questionne la manière de  raconter les histoires tout en y invitant le théâtre. Le dialogue entre la narratrice et “Scribout » (petite souris) est une occasion de renouveller le genre : au traditionnel Petit Chaperon Rouge, vient se substituer un petit prince né dans un livre qui se met en mouvement sur différents écrans vidéos de papiers mobiles et fragiles. L’histoire est un paysage de passages dans laquelle le tout-petit et son éducateur sont du voyage. On aurait aimé une chorégraphie pour fluidifier les liens entre les beaux moments de vidéo et la scène : car au-delà des mots, c’est le corps qui est langage. Mais là, c’est une tout autre histoire…

Avec « The House » par les Britanniques Sofie Krog et David Faraco, les plus grands sont gâtés. Cette compagnie anglaise nourrit le genre hitchcockien avec pour protagonistes les habitants d’une maison…hantée par la mort. Sujet délicat, mais abordé avec malice par des marionnettes aussi adroites que leur désir d’en découdre avec l’art funéraire ! Sur le plateau, la maison en miniature en impose et voit s’affronter des morts-vivants, des croque-morts, des cambrioleurs apeurés par leurs ombres…L’histoire trouve ses ressorts dans un rythme qui ne faiblit jamais et joue avec nos fantasmes sur la mort. Le public rit d’autant plus que la maison se dévoile là où l’on ne l’attend pas toujours. Mais j’aurais aimé une pause, une fragilité, une émotion : évoquer la mort n’exclut pas la profondeur poétique d’une tristesse.

Nous la trouvons dans « La bicicletta rossa » par la compagnie Attivo Teatro, l’un des spectacles les plus forts du festival. Ici, l’appartement d’une famille pauvre est aussi unité de production de boules en plastique où se cache une surprise. Les enfants connaissent bien cette friandise martelée à coup de publicités avant leur dessin animé préféré. Sauf qu’ici, le jeu a un gout amer : la famille s’épuise dans ce travail et doit produire toujours plus pour satisfaire un homme à l’allure berlusconnienne qui contrôle également les ressorts de leur imaginaire. Tandis que le plus petit rêve d’une bicyclette pour se promener dans la voie lactée, les plus grands s’appuient sur le système économique pour le corrompre de l’intérieur et appeler les enfants à la révolution ! La mise en scène est majestueuse, car elle sait humaniser la mécanique des corps, poétiser le désir d’émancipation, incarner le rêve par un dispositif vidéo particulièrement inventif.

rodisio2_ode

Changement radical de registre avec « Ode Alla Vita » par la compagnie Rodisio. Un couple âgé, habillé façon Deschiens (que l’on imagine parent avec la famille de la «bicicletta rosa»), débarque lentement sur scène, plié en deux, de fatigue, mais aussi de rire ! Ces deux-là veulent en découdre avec cette fin inéluctable que leur promettent leurs corps cassés. Leur créativité les guide vers un imaginaire florissant où la fête est une danse. Ils ne reculent devant aucune de leur invention pourvu qu’elle provoque amour, gloire et beauté ! C’est parfois répétitif parce que l’autre en redemande jusqu’à plus soif…Le public est convié à ce délire sénile, rit beaucoup, mais je me questionne encore : la vieillesse est-elle un retour à la liberté créative de l’enfant ? Ce spectacle rencontre-t-il le monde de l’enfance ? N’est-il pas une façon pour les adultes de se justifier d’être si peu créatifs,  de se rattraper de leurs erreurs présentes, de se promettre un futur joyeux ? J’ai eu l’étrange impression que les enfants étaient spectateurs passifs d’un rendez-vous entre adultes. J’ai moi-même attendu une «bicicletta rosa» qui n’est jamais venue…

«La pecora nera» du Teatro Distinto a réussi le pari de réunir petits et grands avec une œuvre d’une belle qualité d’écriture. Ils sont deux, tel Laurel et Hardy : moi le petit blanc chauve avec une cloche autour du cou, toi le grand noir avec grosse touffe de cheveux. L’un protège ses brebis blanches ; l’autre accueille un cochon dans son pré capillaire ! L’un semble avoir le pouvoir ; l’autre la puissance créative. À ce petit jeu sans parole où la danse et le jazz se taillent la part du lion (!), rien d’étonnant à ce que l’un impose à l’autre sa vision de l’animalité: ce cochon sera recouvert de laine! Après d’âpres négociations et de batailles, il sera brebis mi-blanche, mi-noire. La scène métaphorise à merveille le cloisonnement entre les genres, l’antagonisme entre deux approches de l’humanité : biologique et culturelle. Je n’ai pu m’empêcher de faire le lien avec le récent débat autour du mariage pour tous. La force de «La pecora nera» est de nous proposer un langage artistique qui transcende les différences, qui offre une vision dynamique de la mondialisation où la diversité crée l’unité pourvu que le lien soit au service du sens. C’est rondement bien interprété, joliment scénographié, musicalement astucieux. Ce spectacle est un tour de force parce qu’il invite petits et grands à questionner leur image du village global là où le politique leur promet de faire sienne une maxime populiste : «chacun sa brebis, les cochons seront bien gardés».

Pascal Bély – Le Tadorne.

« La pecora nera » du Teatro Distinto ;  « Ode Alla Vita » par la compagnie Rodisio ; « La bicicletta rossa » par la compagnie Attivo Teatro ; « The House » par Sofie Krog et David Faraco ; « Pour la petite histoire » de la compagnie Sémaphore ; au Festival Segni d’Infanzia à Mantova du 30 octobre au 3 novembre 2013.