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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, hum…c’est…genre…hum.

À peine entré, je m’interroge : «pourquoi le Cloître des Célestins est-il aux trois quarts plein?».

À peine commencé, je m’interroge à nouveau : «est-ce une plaisanterie ? Est-ce encore une pièce tendance dénichée par le Festival à laquelle nous ne comprenons rien?». Le premier tableau voit un orchestre au pied de la scène et trois actrices au look d’adolescentes uniformisé se déhancher, danser et chanter.

Je m’interroge puis?ils m’invitent à lâcher toutes mes références théâtrales. Ce que je perçois n’a pas de précédent. En deux parties (cinq heures trente au total!), ces acteurs hors-normes retranscrivent la vie de Krinstin Worrall (l’une des musiciennes qui joue de la flûte traversière), tirée d’un enregistrement téléphonique. Rien ne nous est épargné : ni les «hum», ni les «genre»?tout, mais tout est chanté et dansé. Du premier cri de la naissance aux premiers boutons sulfureux de l’adolescence,  les moindres détails de la famille sont passés en revue. Nous voilà ainsi immergé au c?ur de la middle class des États-Unis : sans intrigue, ces acteurs hors pair arrivent à nous passionner. La partition est totale : chorégraphique, chantée et musicale. Les mouvements épousent l’évolution du corps biologique tandis que la voix traduit l’étendue du changement émotionnel éprouvé. Hommes et femmes se relayent pour nous conter cette histoire sans héros et nous offrir toute une palette de postures et de positionnements. Car la famille est un système complexe régi par ses jeux de pouvoir, ses stratégies d’affrontement et de contournement. Dès la plus petite enfance, âge de toutes les fureurs, la sexualité pose question. Dans “Life and times“, le Nature Theater of Oklahoma enfante d’un nouveau regard sur l’enfance et c’est jubilatoire. Car l’histoire de Krinstin Worrall met en scène notre Histoire d’enfant : «cela nous parle», à chaque instant. De la danse de la marelle à la boom, les metteurs en scène Kelly Copper et Pavol Liska ravivent notre mémoire chorégraphique et vont explorer l’origine de notre sensible, celui-là même qui nous guide vers le théâtre. Peu à peu, cette troupe de dix-huit acteurs enchante le quotidien, mais aussi notre regard de spectateur :leur projet est profondément participatif sans que nous ayons besoin de monter sur scène. Ils y sont pour nous !

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En jouant ce texte brut, ils nous offrent la possibilité d’en étudier toutes les subtilités pour en dénicher le sens caché. Notre écoute est donc mobilisée. En retour, notre altérité  est célébrée ! Est- ce pour cette raison que, malgré la fatigue accumulée à 22h30 à l’issue du premier épisode, je reviens pour le deuxième à minuit ? N’est-ce pas là un réflexe d’adolescent, celui de retrouver la bande, sa seconde famille ? N’est-ce pas là un geste narcissique au moment où cette troupe magnifique fait de moi un spectateur performeur capable d’écouter sur cette durée une histoire aussi  banale ? Mais au-delà, «Life and Times» est une chronique au croisement de l’intime et du social où la danse et le chant s’enchevêtrent pour placer le spectateur au centre d’une histoire qui n’est pas la sienne. Et si ces Américains nous donnaient la plus belle définition du théâtre pluridisciplinaire au-delà des concepts dans lesquels bon nombre d’artistes français et leurs programmateurs se perdent («transdisciplinaire», «indisciplinaire»).

Il nous arrive des États-Unis. Le public d’Avignon leur a fait une ovation?hum?genre?hum…une ovation grave.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Life and Times (chronique dune vie) » du Nature Theater of Oklahoma. Épisodes 1 et 2. Au Festival d ?Avignon du 9 au 16 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Au Festival Off d’Avignon, les tissages fraternels de la Condition des Soies.

Dans la cadre du programme proposé par Micadanses – Paris,la compagnie CFB 451 présente «Ô mon frère!» et «Valse en trois temps, Solo». Deux propositions diamétralement opposées quidemandent à y revenir.

«Ô mon frère !» est un moment de vie. Trois hommes partagent le plateau. Nul ne sait d’où ils viennent. Ils ont la justesse des corps éprouvés d’où se dégage une indicible mélancolie. De leur histoire, nous ne saurons rien. Comme échappés des photographies de Josef Koudelka, ils vivent par-delà les clichés. Tout en clair-obscur, les corps en mouvement se rappellent à leurs souvenirs.   Ils sont tour à tour chef de file, pour mieux trouver une
issue à l’aridité de leur «vivre». Comme dans une course athlétique, ils se passent le témoin qui devient béquille pour avancer, arme pour survivre. Les liens fraternels oscillent entre l’amour, l’entre-aide, la haine, la jalousie. Par le biais de différentes photographies chorégraphiques, les gestes inventent les histoires et guident
nos ressentis. La rudesse gestuelle se fait tendre avec la voix de Leonard Cohen. Elle habille le plateau de son décor et englobe les corps des danseurs et du public à l’unisson. La danse des frères Ben Aïm est une offrande à
l’union, à ce lien indéfectible qui unit des êtres entre eux.

Changement de registre pour «Valse en trois temps, sol ». Une danseuse descend des gradins, se poste devant nous et fait la moue comme font les enfants quand on leur intime l’ordre de faire. Ici, ce n’est qu’une audition. Sera-t-elle retenue pour ce rôle? Vingt minutes de légèreté, de pureté dans les gestes, d’une parfaite maîtrise du corps en mouvement. Aurélie Berland affronte la bande-son patchwork d’airs classiques. Elle est talentueuse. Elle est la danseuse rêvée. L’écriture chorégraphique des frères Ben Aïm nous laisse la possibilité d’imaginer en train de danser, de l’accompagner dans ses gestes et dans son appréhension à maintenir le cap, jusqu’au “Olé” final.  Une invitation à questionner le corps en mouvement.
Laurent Bourbousson , www.festivalier.net
Valse en trois temps , Solo, Ô mon frère.  Compagnie CFB 451. Jusqu’au 13 juillet. 10h00. Théâtre de la condition des soies.
Valse en trois temps (intégralité) à la caserne des Pompiers. Jusqu’au 26 juillet. 17h00.