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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Angelica L.

Ce texte est un poème dédié à Angelica Liddell pour son spectacle « La casa de la fuerza » qui a bouleversé tant de festivaliers. Il est à mettre en lien avec la critique de Pascal Bély. Ce texte est un cadeau. Au théâtre, à Angelica. A nous.

Angelica, on a envie de l’appeler Angelica L, comme on dit de Marguerite D. ou de toute héroïne.
Angelica L. est héroïque.
Elle incarne la Douleur, et la Douleur l’incarne.
Sa douleur rejoint celle de toutes les femmes.
Elle est corps décharné, bras ouvert jusqu’à la souffrance du Christ.
Par son sang elle se souvient de Gina Pane des années 1968;
 
Son sang coule des genoux de son Christ.
De sa douleur, elle a les clous de sa scarification, elle saigne de sa douleur, on lui prend son sang avec un tel plaisir qu’elle l’offre ensuite avec un grand sourire.
Elle déverse sur la blancheur de son linceul, le rouge de ses veines.
 
L’avion passe avec un enfant, le voyage ainsi commence.
Cinq heures à les voir chanter, danser, parler, c’est cinq heures comme cinq minutes, c’est cinquante  années de cris, c’est ainsi,  le long voyage de sa vie.
 
Aimer à ce point pour mourir toute seule, faire sa toilette de son corps avec des citrons, se mutiler jusqu’au plaisir de la douleur, elle se sent comme une merde, sa solitude est un scandale.
Elle continue, néanmoins à manger du Tiramisu…
 
Être pute ou mourir, on installe les canapés d’une manière inversement logique, on fait la course jusqu’à l’étouffement, on enterre l’autre sous le charbon, on l’étale, on l’enlève…
Angelica éclate de douleur, se déchire et nous attache. Elle  est  regardée, on la respire, elle nous attache encore plus et on devient son intérieur.
On se sent liquéfié puis  absorbé par son corps et par ce qu’elle dégueule.
Son histoire devient une histoire immense….ses soeurs-femmes l’accompagnent et vivent la douleur des autres.
On est fatigué, le corps a du mal à suivre, on est avec elles toutes, ces femmes, ces soeurs, ses frères de déchirement.
On est dans la stupeur, on veut que cela continue encore jusqu’à demain, encore, toujours, le temps ne  compte pas, il passe et on ne s’en doute pas.
Jan Fabre  nie l’histoire individuelle, Angelica L nous impose le contraire. Elle passe avant  tout le monde. Elle est l’exemple.
 
Des musiques pop aux paroles effrayantes, un violoncelle et des fleurs, un moment inouï comme posé là, hors du temps. Avec des fleurs, Brel et Elvis, des images à la Pina (encore-toujours), la lenteur de l’amour, je te cajole, je t’aime, calme et volupté, les petits canapés de Gulliver, la force du Culturiste, tiens je renverse la voiture, je suis un mec moi !!!!
 
Comment sortir de là, épuisé, éreinté dans un bonheur inouï de grâce et de suspension.
 
L’autre soir, l’Espagne a gagné…Elle l’a appris, elle a hurlé de bonheur, sautillant comme une enfant, tellement heureuse.
La douleur d’Angelica était cicatrisée, et nous, nous étions meurtris de bonheur.

Francis Braun – www.festivalier.net. 

A lire la critique de Pascal Bély en Français et en Espagnol.

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

Para Angélica Liddel.

Las 3h30 de la mañana. Los espectadores ya no tienen mucha fuerza después cinco horas de esta obra de arte pictural, de un teatro coreográfico, agotados por tantas solicitaciones  visuales, auditivas e incluso olfactivas. « La casa de la fuerza » de la española AngélicaLiddel es un puñetazo, que nos precipita dentro de la crisis, la que habíamos olividado demasiado pronto.

Salvo que el teatro está aquí para reavivar las heridas porque todos somos hechos de esta materia. Esta noche, en el Cloître des Carmes, actores y espectadores están infínamente, intímamente ligados a todas estas « pequeñas historias » de cuyas hicimos todos grandes : el desamor, el malestar, el abandono, la renuncia de sí mismo? Llamemos esto como queramos. Es nuestro infierno común. La verdadera crisis es esta. La económica? solo es económica? ya está bien, ya basta. ¡Basta de discursos ! Demos paso a la verdad. Al cuerpo.

Son tres mujeres, seís destinos. Busquemos el error en la suma. A diferencia de algunos hombres que están siempre listos para defender causas humanitarias pero que maltratan a sus parejas, éstas tres mujeres depresivas en el primer acto invitan a otras tres en el último, para evocar la situación de la condición feminina en México. Todo está relacionado. Nuestros desamores se inscriben también dentro de un contexto social.

Pero tambíen porque ser una mujer pegada, violada y matada en otro lugar es una pena de amor para toda la humanidad.

Tres actos par (re)vivir  desde dentro lo que hemos querido todos gritar fuera. Porque el mal de amor, la separación alcanzan su paroxismo en el sufrimiento del cuerpo. ¿Cómo presentar en el teatro lo que suele estar meta por las óperas, los bailes, los cuentos para no dormir ? Aquí todo está convocado.

El texto, poderoso, porque está hecho de palabras de una ternura desnuda ;

la música, omnipresente, repetida (de Bach y de la pop), porque sin ella, quizás no noshubiéramos sobrevivido al náufrago del alma y que tumbados, Bach, Brel y Barbara fueran nuestros analistas punto por punto ;

el líquido, porque desborda y que el amor siempre termina tomando el agua ;

la sangre, porque sangramos de nuestras venas par sacarnos de este follón ;

sofás, mucho sofás, un ejército de sofás porque son nuestras camas de niños con o sin barrotes, depende? ;

flores, en ramos para estrellar lo que queda de bonito ; en macetas para adornar los cementeros ; en capullos, para volver a nacer ;

un inmenso cubo de pasta de modelar para esculpir, dar a luz a un ejército de muñecos fabricado de ternura y de pereza, todo para resistir a la estúpidez machista ;

el tiramisú? porque con Angélica Liddel es el único pastel que nos pone en pie cantando ;

el carbón, sí el carbón, para cavar la tumba, agotar el cuerpo, caer en el fondo del hoyo y provocar el efecto teatral más magistral que hemos podido ver, un golpe de grisú a la cabeza a que siguen hartándonos con sus clasificaciones (teatro, baile y companía).

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Todas estas materias modelan la dirección y « La casa de la fuerza » trastorna una parte del público : los cuerpos se funden dentro de los objetos y les dan un alma, la música se adapta a las materias y acabamos pasmodos, inmovilizados, por tanta orgía de tolerencia y de belleza. Porque aquí, el cuerpo no está manipulado, como un objeto para crear un propósito, sino que está atravesado para que nos acordemos, como una exigencia de verdad. El cuerpo del actor es una donación al público, un vínculo de amor comprometido y que compromete donde se convoca una enfermera sobre en escenario para extraer su propria sangre y manchar su camisa. « Soy sangre ». « La casa de la fuerza » será uno de los momentos más grandes de la historia del festival de Avignon. Porque Angélica Liddel no se conforma con mirar caer a los hombres. Les ofrece la fuerza de su dirección para que « Ne me quitte pas » sea un himno a la alegría.

Pascal Bély – www.festivalier.net. Gracias por la traduction Elsa Gomis.  

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival Off d’Avignon, aux pères et caetera.

Le nom du père, avec une rare constance depuis des lustres, se transmet de père en fils. Le fils lui-même, dans une égale logique de tragédie, devenant père.
Le tout s’orchestrant en fautes majeures et chacun fera, c’est dit, mieux que le précédent lorsqu’il endossera le costume. Que les fratries s’en mêlent et le drame prend de l’ampleur. La mère, de sa noble et malheureuse double place, regardant la scène en attendant la fin…inéluctablement…
Tout ça vous dit quelque chose?
Deux pièces du off vous proposent d’aller vous délecter du goût d’hier, ou d’aujourd’hui, à voir avec nos histoires de famille.

« Les langues paternelles » par le collectif De Facto vous démarre la visite au moment de la mort du père. Le registre, même s’il est là de famille juive, explore toute la gamme des émotions traversantes où chacun aura une occasion de se retrouver, voire de se rencontrer. Une très belle scénographie inscrivant le déroulement de la pièce et le poids des mots portés avec intelligence et justesse par les acteurs. Le jeu, bien habité prend parfois un rythme qui s’emballe…un peu trop? Quoique… si je me souviens de mes histoires familiales, ça devait s’emballer tout autant pour bien peser sa livre? Le texte est beau, bien vu et on est touchés de se rencontrer souvent au coin des mots.

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« Récits de table » de Marielle Rémy et Guillaume Servelly vous invite à la version repas. Celui du dimanche ou des grands jours avec entrée, deuxième entrée, plat et dessert. Celui du quotidien avec le plat mitonné, la conserve ou la soupe? Bref, tous ces repas en famille où la table est le lieu de tous les découpages de chairs. Là encore, la scénographie est belle, les scénaristes comédiens sont très bons comme dans les deux premières pièces de la trilogie. Leur inventivité à dessiner les espaces avec trois fois rien est ici encore parfaite. Le fait de donner vie aux hommes et femmes de trois générations marque joliment l’idée que tout un chacun, dans le jeu des transmissions, navigue et se débrouille avec avoir été, être et devenir. La question de qui ouvre ou coupe le chemin, restant le n?ud de vipère.
On croise dans ces deux créations bien des moments connus ou reconnus, ceux là amenés avec subtilité et espace pour le sourire, le rire, la tendresse ou l’émotion. Le plaisir de réentendre que nous ne sommes pas uniques dans nos histoires de familles dédramatisant les flashs, parfois amers, de nos mémoires.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

« Les langues paternelles » par le collectif De Facto au Théâtre des Doms à Avignon du 7 au 27 juillet.
« Récits de table » de Marielle Rémy et Guillaume Servelly au Théâtre Girasole jusqu’au 31 juillet.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Aux Hivernales d’Avignon, la carte géopolitique de Frank Micheletti

Ils sont trois sur un plateau dépourvu d’effets. Deux danseurs et un guitariste. Deux âmes et un politique. Tels des énoncés de discours politiques, les accords joués par le guitariste résonnent dans les corps dansant leur état, leur passé et leur avenir. Lui, Idio Chichava, le noir, et son double, Frank Micheletti,  le blanc. Deux corps qui oscillent de manière différente, mais avec un but commun, nous raconter.

Tout commence dans la pénombre. Il bouge au centre du plateau. La faible lumière nous laisse l’entrevoir. Il est le berceau de l’humanité. Ses gestes lents marquent la difficulté de son être. L’acte de naissance est beau. Le tissu de ses muscles dessine son territoire.

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Scandée par les riffles, la danse d’Idio Chichava est lourde de sens. La couleur de sa peau nous immerge dans un pays lointain, meurtri, où le corps est torturé. À le voir s’enrouler autour de la ficelle raccordée à la guitare, je pense à la prison et à ses sévices. Un corps déchiré qui s’agite et nous emmène dans un ailleurs. Il faut partir vite, se dégager, aller vers, trouver asile dans un lieu plus serein, empreint de liberté. L’entrée de Frank Micheletti apaise la tension corporelle. L’un contrebalançant la force de l’autre, le duo se forme. Les corps se mélangent faisant disparaître la couleur de peau. Il est noir, il est blanc, il est un tout.
Ce tout libère les corps. Ils dansent à perdre haleine. La musique accélère le rythme, le regard s’immerge dans cet espace que les corps dessinent. Je suis ici, ailleurs, à l’intérieur, à l’extérieur.
Je m’accroche aux interprètes. Ils sont ma bouée de sauvetage. Je suis pris dans un naufrage. Un naufrage humain.
Puis, tout se calme. Frank Micheletti est seul en scène. Il nous offre une danse sensible dans laquelle le corps a toute sa place. Il suspend le temps, je reprends mon souffle. Je pense au duo passé. Je me sens tout à coup seul, comme si la perte de l’un amputait mon autre.
Je repense alors au spectacle d’Ayse Orhon, vu il y a un mois au Festival d’Uzès Danse. Elle dansait le silence, eux dansent le rythme. Elle m’offrait la peur du vide, ils m’offrent la peur du plein.

Ressurgit alors le double, pour une tombée en abîme, racontant les corps de l’apartheid, la peur de mourir ici. Une sombre histoire qui n’a de cesse de se répéter. Le langage du corps prend toute sa mesure. Il est politique, économique, porteur d’une histoire sociétale, et appartient à nos identités culturelles avant de nous appartenir. Idio Chichava danse jusqu’au noir. Il s’accroche au plateau, pour nous dire son combat, et libère son corps avec le dernier souffle de sa vie.

Je quitte la salle abasourdi, regagne la lumière crue du dehors et le monde bourdonnant autour de moi. Je viens d’assister à une leçon géopolitique, très lointaine de l’effervescence avignonnaise. Depuis, le corps d’Idio Chichava m’habite. Cette danse est un acte politique nous dépassant.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Espaço contratempo, de la compagnie Kubilai Khan Investigations, au Théâtre des Hivernales, tous les jours à 19h00. Rela^che le 17 juillet 2010

Crédit photo: Eric Boudet

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FESTIVAL D'AVIGNON

Aux Hivernales d’Avignon, Fabrice Ramalingom singe l’homme et réinvente la sensualité.

Animal presque, Homnimal, Homme dans tous ses états quoi qu’il en soit. Bien joli costume beige doublé rouge, chemise rouge en accord, le garçon s’est habillé pour la parade. Il va nous la jouer quarante cinq minutes durant et nous séduire avec force de talent et d’humour.

Fabrice Ramalingom a bien observé ses semblables et s’est bien observé, il a semble t-il atteint une distance suffisante pour  ouvrir la voie de nos traces mnésiques avec une belle tendresse. Il visite dans une gestuelle magnifique une foule d’attitudes que mâle déploie pour imposer sa « virilité » ; il distord avec malice et finesse l’attitude, le genre et le corps imposés. Il moque avec un bel aplomb l’usage du non que l’on acquiert en grandissant et qui égare le oui dans l’ombre des sentiers de nuit.

L’homme est un loup pour l’homme car il oubli le singe, c’est bien pourtant de l’arbre qu’il est descendu avant de courir l’asphalte. Avec une douce poésie Fabrice Ramalingom nous le prouve en image. L’homme peut alors être tendre et inviter à lâcher les armes quand il sait s’habiller de lui-même, le corps à nu et s’habiter assez fort de ses traces pour mieux se reconnaître et être reconnu.

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Donc, n’ayons crainte d’être vu à un spectacle estampillé jeune public, il y a toujours un enfant qui sommeille en nous et qui lui n’a pas oublié le singe. Et puis m’est avis que certains passages risquent de donner de drôles d’idées aux petits…

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

« Comment se Ment  » de Fabrice Ramalingom -Théâtre du CDC- Les Hivernales d’Avignon –  13H00 du 11 au 23 juillet

Une vidéo en ligne ici.

Crédit photo: Eric Boudet

 

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FESTIVAL D'AVIGNON HIVERNALES D'AVIGNON

Aux Hivernales d’Avignon, panique à tous les étages.

Il est le musicien, elle est la chanteuse. Ils sont M. Loyal, le gardien de cet immeuble. Ils sont italiens, ça se voit. Comme une marque de fabrique: lui, le bel italien, elle, la mode incarnée. La lumière s’étiole, la musique commence et la voix envoûtante de la chanteuse me berce et permet l’accès aux autres. Ils sont le pont qui nous relie au plateau. Ils sont les passeurs. Un balai de portes débute. Elles tombent, se relèvent, s’ouvrent. Juste le temps d’apercevoir les hommes et femmes qui vivent de l’autre côté.
Ils sont cinq. Cinq, comme les doigts de la main. Unis, désunis, incarnant le vivre ensemble. L’espace scénique nous invite dans leur lieu d’habitation, dans leurs chassés-croisés. Tous sont célibataires (le mal du siècle), cherchant des moyens de communication, d’échanges. Le mouvement lie, délie les rencontres, les corps, nos corps, et souligne l’importance de l’humain qu’Internet a si facilement occulté.
Leur danse fluide a un aura tout particulier: elle est d’une sincérité déconcertante. J’imagine les accompagnant, sonnant à leur porte, dans leur danse empreinte de multiples références (Pina est toujours avec nous).
Leurs histoires s’inspirent du quotidien et l’influence de la Cinecittà est reconnaissable. Visconti, Rosseline, Fellini soufflent sur leurs échanges. Les images de Vespa, de la Mama, de la vie d’immeubles dépeintes dans les vieux films italiens, de l’animation des ruelles, prennent vie sur le plateau. On se sent comme chez soi est c’est ici que la légèreté apparente de la proposition laisse entrevoir l’acte politique et sociétal de la danse. La fragilité des relations humaines mise à nu par le jeu des portes, la beauté des corps se découvrant et la fête pour mieux enivrer les pantins du monde, sont les ingrédients de cette réussite chorégraphique, et invitent le public à l’empathie. C’est une décharge contre le politique, car transposer les personnages dans un immeuble fantasmé, c’est évoquer la dureté de la vie, les privations auxquelles nous, citoyens européens, sommes prêts à affronter (l’image de la rose entre les dents est remplacée par celle du céleri, contexte économique oblige!). Leur monde est le nôtre et toute ressemblance est fortuite.
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J’ai aimé me perdre dans les étages de cet immeuble avec cette bande d’amis, trouvant refuge dans notre cercle, à fredonner des chansons pour endormir les banbini et nous faire supporter le réel.
Je ressors heureux, bercé par la légèreté ambiante qui se dégage de cette proposition, comme si je venais d’écouter un discours politique où tout irait bien.
Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Canzoni del secondo piano, de la compagnie Tecnologia filosofica, au Théâtre des Hivernales, à 10h00, juqu’au 23 juillet.

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Thomas Lebrun et ses contes à découvert.

Au festival Off d’Avignon, le solo de danse se fait discret dans l’affichage orgiaque de la ville. Difficilement «vendable», c’est le bouche à oreille et la notoriété du lieu qui fait office de promotion. Thomas Lebrun jouit d’une excellente réputation. Remarqué dans le « in » avec «Parfois, le corps n’a pas de coeur», il présente au Off trois solis rassemblés dans le programme «Allone#3» qui permettent d’appréhender un propos chorégraphique complexe. En jouant sur les mots (Allone, alone, seul), le solo pour exprimer la solitude, le corps, la marchandisation de notre époque et approcher cette danse aux multiples facettes.

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Pour débuter, un solo épuré. « Gwiazda » est époustouflant. Interprété par Anne-Emmanuelle Deroo, votre coeur ne cesse de battre à la mesure de ce corps pris de légers spasmes à l’origine du  mouvement. Métaphore de la chrysalide, vous ne la quittez pas, car la limpidité du propos accueille votre sensibilité. L’hyperbole de l’énigme du Sphynx donnée à résoudre à Ulysse plane. De la naissance à la vieillesse, couchée, puis debout, Anne-Emmanuelle Derro s’envole comme un oiseau de nuit qui aurait peur de la lumière. Magistral !

L’arrivée de Lora Juodkaité dans « to do this, don’t do that » est plus tonitruante. Tailleur classique, perruque noire, lunettes bling-bling, elle arpente la scène d’un pas assuré, entre défilé de mode et parade de séduction dans une boîte de nuit. Le personnage déroute. Il faut attendre qu’elle crée le ralenti, pour qu’une fragilité émerge. La carapace tombe. Dépourvu de ses artifices, notre danseuse a du mal à nous regarder droit dans les yeux et seul un juste au corps doré la protège de la  nudité. Torche vivante, elle se consume à chercher sa place, à assumer un rôle, prise dans de multiples contradictions. Elle nous promène, nous perd parfois, nous récupère parce que le corps enfermé dans certains codes de la danse classique, s’affranchit par la recherche d’un langage où l’émotion transperce sa peau dorée. Elle est l’humain polymorphe préférant s’égarer dans les méandres de  la représentation sociale quitte à se perdre elle-même. Touché mais pas coulé.

À peine remis, le voilà qui arrive. Thomas Lebrun en personne ! Claquettes au pied, comportement nonchalant. Il interpelle l’administrateur – régisseur- technicien (on est au off !), prêt à insulter le public de le déranger dans la torpeur de l’été. Il dit nous proposer une pièce non terminée, présentée en son temps à Lyon. Clin d’oeil au Off qui autorise tous les recyclages, mais aussi au système de diffusion qui ne permet plus aux oeuvres de se déployer dans le temps et l’espace. Notre inquiétude de spectateur d’être largué en rase campagne se déplace peu à peu! Pris dans la tourmente d’une valse de Vienne, la lumière devient plus inquiétante et le voilà affublé d’un masque de banquier en queue de pie puis d’une créature « féminine »  cauchemardesque. Leur danse bat la mesure d’un mix composé de musiques  publicitaires. Apportant une charge contre notre système marchand (tout se vend, pas de perte, que du profit), les recycleurs des musiques classiques, tel André Rieu remplissant des stades avec ses Valses de Vienne, n’ont qu’à bien se tenir. Thomas Lebrun explore et démonte les mécanismes de notre société qui a oublié tout sens premier jusqu’à se perdre dans le mauvais goût. Le découragement initial du chorégraphe devient (notre) son cauchemar : il noie sa danse dans le brouhaha marchand où la banque, coproducteur, le poursuit.

Mais l’homme a des ressources. Il tombe le masque, nous offre sa danse virtuose qui vous soulève le coeur de tant de grâce. Le final gourmand signe l’exigence d’un chorégraphe prêt à métamorphoser son angoisse en mouvement généreux. Rare et précieux.

Pascal Bély-Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

« Allone#3 »de Thomas LEbrun à Présence Pasteur jusqu’au 14 juillet 2010. A suivre, “La constellation consternée” du 15 au 26 juillet à Présence Pasteur.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

Avalanches en Avignon, un roi sous la neige.

Drôle de nom pour un gymnase : Gérard Philippe. La tête et les jambes ? Devant cette bâtisse de tôle, le Festival d’Avignon y a apposé une rangée de canisses : l’été contre l’hiver ? Étrange et agréable impression de ressentir la foule des spectateurs pour «un nid pour quoi faire» d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde dans ce quartier résidentiel de la cité papale. Acte de résistance alors que la société française ne voit plus très bien où elle va…Je sais ce soir, ce que j’ai besoin d’un nid. Ce que je ne sais pas encore, c’est que le rire fera trembler la tôle de ce théâtre éphémère.

Il faut d’abord s’échapper de la fournaise avignonnaise. La vidéo en fond de décor projette une montée féerique vers la montagne. Le narrateur (appelons le Robinson…) décrit l’ascension. Il y a la musique de Rodolphe Burger, il y a la voix magique, envoûtante, tellement paisible, qui nous embarque, on voudrait être dans la voiture, dans ce paysage si blanc, la neige est partout, les sapins, et toujours ce rythme parole et musique….Je décolle parce que je pressens que je vais prendre de la hauteur. Les mots d’Olivier Cadiot sont autant de mètres gagnés sur la bassesse du vocabulaire politique et médiatique ambiant. Je jubile. Le narrateur aussi, fier de sa Toyota fantastique.

Sa voix est étrange, mais ses mots sont si bien pesés.  Il n’en dira que quelques-uns pendant la pièce qui emballeront le roi qu’il est censé conseiller. Robinson, c’est l’éternel personnage d’Olivier Cadiot qui pense et il pense que l’exil du Roi n’est pas dynamique, enfermé dans attitude régressive. À tel point que Sire va en mourir.

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Laurent Poitrenaux en personne incarne ce roi « bling bling », isolé dans ce chalet, au sous-sol, en exil pour longtemps et qui se pavane devant son écran géant et tactile (l’Ipad est déjà démodé !) dès qu’on lui diffuse un film sur sa splendeur passée. Ah ce roi et sa cour d’incultes et d’incompétents où même le poète en chef vous sert de la poésie en pâté ! Ah ce roi qui s’englue dans une stratégie de reconstruction de son image ! Mais reconnaissons-lui sa belle équipe, métaphore de toutes les névroses de la société française. Au commencement de la journée, il y a ce conseiller en médecine douce qui dit n’importe quoi, mais que l’on croit sur parole tant il sait manier les combinaisons chimiques et fait de l’alerte orange son principe absolu de précaution. Puis il y a un fidèle qui lui lit les nouvelles et Sire voudrait que l’on écoute Brahms dans les étables ! Il y a des recettes de cuisine prodiguées, on écrase les désirs de la société dans des mixers, on met la main à la pâte, on plante nos idées dans le champ du voisin. Robinson  finit par douter de l’existence du Roi…Il assiste a une séance de brainstorming ou l’on imagine logos et images de marque, on étudie des blasons top-modernes, on “blasonne” à tout va…Les mythes sont  détruits (« le Vietnam, Dylan, 68 et Marcuse aux chiottes ! »). « À force de faire l’autruche, on ira droit dans le mur », dit alors Laurent Poitreneaux-parfois cabotin qui pourrait rejoindre sans le vouloir Jean-Quentin Chatelain.

Tous bons à servir la médiacratie la plus lourde quitte à  réduire le statut d’artiste en bouffon sans paroles. « Ce nid pour quoi faire » est une allégorie du système sarkozyste et berlusconien. Chaque tirade nous rapproche un peu plus du vide sidéral d’un pouvoir sans peur et sans reproche. Je ris beaucoup, sans discrétion, mais mon rire est une libération, un cri après trois ans où je peine à trouver les mots pour décrire le processus de déliquescence dans lequel ce pouvoir corrompu et inculte nous conduit. L’écriture d’Olivier Cadiot et la mise en scène de Ludovic Lagarde crée le rythme effréné que nous impose cette pensée politique qui sait si bien manier le paradoxe et les contre sens. Entre tempo inspiré du théâtre de boulevard (mais qu’est devenue la France si ce n’est le pays où l’on met en scène les infidélités, les trahisons, les complots), et des pauses poétiques où la voix du conseiller nous invite à regarder de haut ce que l’on aimerait bien nous faire voir du bas, je suis accueilli, respecté. D’autant plus que dans ce lieu où l’on rentre par le haut, la mise en scène ouvre par les côtés.

Ce nid est une pièce formidable. Rythme accéléré, des moments tendres-vidéo, un récit off tellement sensible, une oeuvre moderne sans être à la mode. L’humour et la rêverie se relaient, Rodolphe Burger nous emmène dans la Neige. C’est une pièce très réaliste, mais moins optimiste que ce qu’elle en a l’air.

Désabusée, pessimiste peut-être…On se sent encore plus manipulé par les autres, on est soumis, on nous organise…on subit, mais on continue toujours même si le Roi meurt.

Lorsque la nuit retombe sur le paysage enneigé, après la gymnastique, la cuisine et le Sauna, la Cour  s’endort, inquieté,  pas tout a fait rassurée, mais bon le Roi se meurt.

Tout d’un coup, après notre endormissement, on se dit que : “Dormir en rond, avec le temps ça donne des plumes!

Pascal Bély – Francis Braun – www.festivalier.net 

“Un nid pour quoi faire” d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde au Festival d’Avignon du 8 au 18 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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Le Festival d’Avignon éliminé du concours de l’Eurovision.

1973…aucun souvenir précis de cette année, sauf le Prix de l’Eurovision, Pierre Tchernia ou Cliff Richard.…Je m’en souviens encore. Le souvenir de Gérard Philipe, Vilar, Wilson, Terzieff et Maria Casarès en Avignon cette même année, est plus flou. La représentation des textes de Maïakovski dits entre autres, par Jean-Marie Winling dans son filet tel un acrobate qui hurlait son amour au Palais des Papes, me semble lointain tant l’incroyable charisme que dégageait à l’époque Patrick Juvet et sa tignasse peroxydée a marqué ma mémoire. Tout ces souvenirs  d’Avignon 1973 sont d’une importance  minime par rapport à Pierre Tchernia qui commentait la  plus ringarde des retransmissions télévisuelles en direct d’un pays dont on a oublié le nom….mais qui semble avoir bouleversé Massimo Furlan, « metteur en scène » et «acteur» du spectacle «1973» présenté dans le cadre du festival «in » d’Avignon 2010.

Il nous offre entre deux bouquets de fleurs,  sur un plateau doré et kitschissime une copie conforme de ce Concours International. Il se déguise successivement et reprend en play-back les chansons des différents interprètes. Un chanteur, ça va, deux ça passe, trois on commence à bailler, quatre c’est irritant, cinq, on a envie de partir. On constate  avec une certaine pointe d’étonnement que les spectateurs applaudissent à tout va à la fin de chaque chanson…..c’est tout juste s’ils ne reprennent pas, en coeur, les refrains en tapant dans les mains. Ça y est, on est chez Michou, avec Madame Arthur qui s’invite chez Pierre Tchernia qui se croit très drôle en  comparant la chanson espagnole à « une corrida psychologique ».

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Aux sons ringards de ces interprètes sans aucun talent, on se prend à s’ennuyer fortement lorsqu’arrivent sur la scène trois ou quatre personnages clonés qui entourent Cliff Richard, l’idole de Massimo Furlan : Michel Polak, Raphaël Enthoven, Philippe Manoeuvre intellectualisent le Rituel de l’événement en échangeant platitudes et lieux communs.

Ils nous imposent “une idéologie bateau” du chanteur, de showbiz…du rapport de la vedette, tout sur les  icônes…un catalogue raisonné des poncifs éculés. On a l’impression d’une joute verbale d’étudiants attardés…

On se demande la raison de ce spectacle : sa place est-elle justifiée dans ce festival ? On reste complètement sidéré, voir anéanti  et on ose espérer  une seule chose…une suite avec Patrick Sébastien, Guy Lux, quelques philosophes dans la série “La Philo pour les Nuls“…le tout pourquoi pas au Théâtre Municipal.

The show must go on…

À l’année prochaine pour un autre concours.

Francis Braun – www.festivalier.net

“1973” de Massimo Furlan au Festival d’Avignon du 10 au 14 juillet 2010.

 Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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Au Festival d’Avignon, Vanessa Paradis.

C’est l’un des grands moments du début de ce Festival d’Avignon 2010. Bouleversant à plus d’un titre. « Gardenia » du chorégraphe Alain Platel et du metteur en scène Frank Van Laecke prouve, une fois de plus, que le Théâtre flamand sait décaler notre regard vers les “angles morts” de notre société. Vanessa Van Durme que nous avions tant aimée ici lors de son dernier spectacle, leur a soufflé une idée de départ: réunir sur scène de « vieux travestis qui dansent gaiement sur une musique triste ! ». Quelque temps plus tard, ils sont sept sur scène autour de Vanessa et d’un jeune danseur pour faire revivre ce cabaret éphémère, pour que le rideau se lève enfin et dévoile un pan entier de l’histoire du spectacle vivant.

Autant enlever le masque. L’émotion ne m’a pas quitté tout au long de la représentation. De la première minute (si politique, tant attendu) à la dernière (si respectueuse de la part du public), j’ai baissé la garde pour (re) vivre mon histoire. Car ces hommes et ces femmes ont été sur la route de jeunes adultes perdus, apeurés par le sid’amour, pour leur donner la force de s’affranchir des habits sur pièce confectionnés par des familles oppressantes et une société autoritaire. Alors qu’ils s’avancent vers nous, dans leurs vêtements de ville, sur ce sol en pente, je sens que les lumières et la scène vont les libérer de cette atmosphère de maison de retraite dans laquelle nous les avions oubliés. Mais Alain Platel et Franck Van Laecke n’éludent en rien notre responsabilité d’avoir fait basculer cette pente afin que  disparaissent peu à peu ces corps qui nous ont pourtant tant donnés. Pas plus qu’ils n’épargnent le milieu de la nuit sur la violence de ses rapports sociaux et amoureux.

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Mais ce soir, il est temps de nous rapprocher, de créer l’équilibre entre notre gradin en pente et leur scène verticale. C’est ainsi que « Gardenia » multiplie les points de rencontre pour que le «genre» ne soit plus une question, mais un corps en mouvement. Le résultat est magnifique, généreux, car la mise en scène épouse le processus du travestissement en évitant de tomber dans la gaudriole et la moquerie. La musique joue une fois de plus dans ce festival sa fonction mémorielle et pacificatrice : «Gigi», «comme ils disent», nous est revenu « d’Alexandrie, Alexandra » tandis que la longue dame brune veille sur le destin de chacun. La présence de ce jeune danseur majestueux au milieu de ces vieux travestis amplifie la tragédie, rend poreuse la frontière entre masculin et féminin, symbolise le commencement là où approche la fin et incarne pour toujours «l’objet de tous nos tourments». Les tableaux se succèdent et la scène bascule vers le conte, l’enfer pour n’être qu’à la fin qu’un pacte respectueux entre nous et ces artistes de l’âme. On prend ainsi conscience du rôle déterminant des acteurs travestis pour que le mouvement du corps incarne le désir refoulé (il est d’ailleurs troublant de constater le poids du travestissement dans certaines créations actuelles).

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« Gardenia » est situé sur la frontière poreuse entre la danse, le théâtre, le cabaret, la musique. Dans une explosion de joie, le public du Festival d’Avignon signifie une fois de plus qu’il est grand temps d’ouvrir les codes de la représentation. Il en va de notre désir d’être encore uni, divers et fraternel.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Poursuivons avec Bernard Gaurier…

« Gardenia », troubles fleurs des riantes années

Sur un plateau en pente douce (parquet usé des vieux dancings et chaises sans âge pour le repos des danseurs fatigués) ils sont neuf à nous regarder dans leurs costumes gris impeccables. Doucement l’un d’entre eux s’avance et se place face au micro pour lancer en l’air les mots qui ouvrent la danse.
Du Shanghai au Piano, des virées au creux du Marseille de la nuit à celles en bus au bois. Une pluie de souvenirs et de visages remontent alors à mémoire, la force politique et humaine de cette invitation me colore les yeux de brume. Il était une fois, un hier… et, aujourd’hui, ces quelques un/une là devant nous vont en porter la force et l’accrocher très haut dans le ciel de l’humanitude. Très vite nous sommes amenés à lâcher la barre de nos retenues et invités à entrer dans l’émergence du monde de nos souvenirs les plus « secrets ».
Après que les masques soient tombés c’est aux costumes de glisser à terre et aux corps qui se dévoilent de se révéler/revêtir d’apparats plus troubles et vaporeux. Pour souligner une singularité encore bien singulière aux yeux de beaucoup, une « vraie femme » et un jeune homme accompagne ce bel attelage. Les dieux de la nuit sont ici convoqués pour ouvrir les regards tendres et généreux de qui les observe. Elles, ils, ilelles sont magnifiques de leur chair offerte et de leur force à être.
Qui est qui ? Le genre ici importe peut, le corps et le c?ur s’affirmant bien au-delà. La tendresse, quand bien même elle soit vache, cruelle  ou « vulgaire » (soulignant ici la violence et la désespérance qu’on croise parfois au milieu de la nuit) porte haut la douceur humaine de ces différences qui ici viennent à notre rencontre. La dignité qui se dégage invite à ouvrir l&apos
;histoire vers la singularité de chaque être humain, à se percevoir soit même singulier, même si notre différence ne nous porte pas là où sont ces beaux oiseaux de nuit.
En cela le pari d’Alain Platel, Franck Van Laecke et Vanessa Van Durne est gagné, ils offrent ici à chacun l’espace où intimement se rencontrer avec tendresse et respect. Fleurs de pavots, du mal ou du souvenir, ces gardénias sont une gerbe de baisers. Le public ne s’y trompe pas en leur offrant un bouquet de bravos, debout comme il se doit lorsqu’on reconnait la justesse et la générosité.

« Gardenia » d’Alain Platel et Frank Van Laecke, au festival d’Avignon du 9 au 12 juillet 2010.

 Credit photo: Christophe Raynaud de Lage