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Bilan 2008 (1/4) : les dix chefs d’?uvre débordants du spectacle vivant.

1) Le bilan du Tadorne.

En 2008, l’art du « débordement » a inspiré de nombreux artistes pour qui le spectateur, loin d’être un consommateur, fut considéré comme un « acteur » au « travail », au sens psychanalytique du terme. Rarement, mes capacités à m’émouvoir, à penser, ont été à ce point stimulées. Ces dix artistes ont fait de moi, de vous, de nous, de beaux « Homo Spectator », titre du dernier ouvrage de la philosophe Marie-José Mondzain.


1- Pippo Delbono, « Questo Buio Feroce », Théâtre du Merlan, Marseille.

2- William Forsythe, « Hétérotopia », Montpellier Danse.

3- Ivo Van Hove, « Tragédies Romaines », Festival d’Avignon.

4- Raimund Hoghe, « Boléro Variations », Montpellier Danse.

5- Christophe Haleb, « Résidence secondaire », Uzès Danse.

6- Wajdi Mouawad, « Seuls », Théâtre d’Arles

7- Oriza Hirata, « Tokyo Notes », Théâtre2Genevilliers, Festival d’Automne, Paris.

8- Philippe Quesne, « La mélancolie des dragons », Festival d’Avignon.

9- Heiner Goebbels, « Stiffers Dingue », KunstenfestivaldesArts, Bruxelles.

10- Emma Dante, « Vita mia », “Mishelle di Sant’Oliva“, Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence.


On n’oubliera pas de si tôt, la force du théâtre de Pippo Delbono qui guida le spectateur aux frontières de l’amour à mort. On reste encore habité par l’immense travail déambulatoire de William Forsythe où notre errance sur le plateau du Corum de Montpellier structurait la relation avec le danseur. A quelques kilomètres de là, le chorégraphe Christophe Haleb nous guidait dans les allées de l’Hôpital psychiatrique d’Uzès pour danser et nous faire danser dans les entrailles d’une société française complètement folle. Le metteur en scène néerlandais Ivo Van Hove a osé lui aussi nous bousculer pour que nos corps se déplacent sur scène, au c?ur de la tragédie shakespearienne.

Le débordement n’est pas vain quand je repense à Wadji Mouawad se métamorphosant par la peinture pour nous accompagner lors de notre voyage dans l’invisible. C’est en voyant l’invisible, que Raimund Hoghe m’a bouleversé avec son « Boléro » de Ravel.

La famille, espace de l’invisible, fut habité par le metteur en scène japonais Oriza Hirata et la sicilienne Emma Dante avec les corps et les mots jusqu’à tisser la toile de mes résonances.

De cet invisible, je n’en avais pas vu grand-chose, un soir de mistral, au Cloître des Célestins d’Avignon, lors de « La mélancolie des dragons » de Philippe Quesne. Acte de résistance au « travailler plus pour gagner plus », cette mélancolie a fait son travail, bien des jours après.

A l’image de la mécanique poétique d’Heiner Goebbels qui, alors qu’aucun comédien n’était sur scène, vous envahissait du dedans pour vous plonger au dehors.


Pascal Bély

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A lire aussi,

Bilan 2008 (2/5) : Le top de la danse contemporaine !

Bilan 2008 (3/5): le théâtre fait sa crise.

Bilan 2008 (4/5) : mon Facebook démasqué.

Pour se souvenir, le bilan culturel de l’année 2007, 2006.

2) Le bilan de Laurent Bourbousson, contributeur du Tadorne.


L’année 2008 aura fait place au théâtre de l’humain, comme pour mieux souligner l’importance d’être, de l’être. Ce théâtre nous illustre, nous attaque, nous fait vivre. Des ?uvres politiques aux ?uvres sentimentales, de l’engagement au militantisme, l’urgence de l’art vivant est de montrer le monde dans lequel nous vivons, un monde fait de questions, de cruauté et d’amour. Tel serait l’antagonisme humain…

“La Rabbia” et « Questo Buio Feroce », de Pippo Delbono, font parti de ces ?uvres qui continuent d’évoluer au fil du temps. Indispensable et incontournable, Pippo illustre l’homme du XXIème siècle tout comme Wadji Mouawad, avec « Seuls ». La parabole du cadre identitaire et l’appartenance à un monde nous laissaient alors entrevoir que nous sommes tous semblables, donc seuls. Formidable.

La découverte des écrits de Louis Calaferte s’est faite par l’intermédiaire de Je veux qu’on me parle, mise en scène d’Alain Timar et de Tu as bien fait de venir Paul ” mis en scène de Didier Moine.  Véritable voyage au centre des relations humaines, l’auteur livre ses visions sans concessions, avec une parole toujours juste. Auteur voué au démon de son vivant, il serait de bon ton de le redécouvrir pour mieux nous connaître.

Parce que l’enfant que l’on était s’est construit pour devenir ce que nous sommes, Joël Pommerat et son Pinocchio” contemporain nous content la difficulté de grandir dans ce monde en perpétuel mouvement qui ne laisse plus de place au souffle.

A contrario de Claire Le Michel et de son “Homme Approximatif”  offrant une vision intimiste de l’être humain, plus sereine et pleine d’amour.  L’amour, ce sentiment si compliqué ! Dostoïevski avec Les nuits blanches, mis en scène par Xavier Gallais et Florient Azoulay, laissent le charme du sentiment amoureux se développer, avec des mots purs, issus d’un autre temps.

La seconde surprise de l’amour de Marivaux couplé à “Douleur Exquise” de Sophie Calle nous démontre que l’amour est bel et bien encore et toujours un sentiment existant.

Je suis donc un homme amoureux, dont le cadre identitaire défini vole en éclat lorsque je m’assois dans une salle de spectacle. Continuons à nous interroger et à nous regarder en 2009…

Laurent Bourbousson.

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Avec Bruno Meyssat, le spect’auteur malmené.

Marseille, samedi 20 décembre. 15h. Dans les rues, la crise de la consommation fait un vacarme d’enfer. Comme je l’avais prévu, j’entre au Théâtre des Bernardines, dans la continuité de mon engagement de spectateur. En préface au spectacle « Séance » de Bruno Meyssat, la philosophe Marie-José Mondzain écrit : « L’image ne produit aucune évidence, aucune vérité et ne peut montrer que ce que produit le regard que l’on porte sur elle. Voir ensemble, ce n’est pas partager une vision, car jamais personne ne verra ce que l’autre voit. On ne partage que ce que l’on ne voit pas. C’est cela l’invisible ». Magnifique.

À partir de ce postulat, Bruno Meyssat nous convie à un théâtre qui « encourage des apparitions » où les événements sont appropriés par celui qui les regarde. Plus d’histoire, mais des « situations ouvertes » qu’il nous invite à restituer le temps d’un dialogue avec lui, pour revoir ensuite un extrait du spectacle enrichi de nos échanges. Beau, magnifique programme pour le spectateur – blogueur qui s’est engagé en 2005 à former son regard pour devenir un spect’acteur. Je ne connais pas le travail de Bruno Meyssat mais j’entends le titre de son spectacle comme un « travail » qui pourrait se poursuivre au-delà de cette journée.

Nous sommes peu dans la salle, essentiellement composée de jeunes. Étrange. « Séance » débute. Quatre comédiens apparaissent dans un décor qui n’est pas sans me rappeler l’atmosphère de François Tanguy ou celle plus récente de Philippe Eustachon et Jambenoix Mollet où j’étais resté au dehors. Je le ressens : si l’espace n’est pas résonant, je ne franchirais pas la porte.

Cela ne tarde pas. Des objets, des rituels, des déplacements, des lumières, des enfermements, des ouvertures : tout me semble codé, échappé d’un scénario improvisé, où le sens a dû émerger d’une étincelle, à un instant précis, dans un contexte donné. L’?uvre a bien du mal à m’atteindre comme si ce théâtre-là m’intimidait, réservé à ceux qui comprennent au-delà du miroir tout en préservant leurs barrières de défense. Ce n’est pas un théâtre fait pour la parole, car il communique peu : il apparaît, disparaît sans que les liens s’opèrent. Espace de la sidération factuelle, il consolide des visions sans pour autant les mettre en mouvement. À mesure que les séquences se révèlent puis s’effacent, j’entends le bruit du dehors et le vacarme des embouteillages. Les lampes du plafond entrent alors dans la danse ; je les suis du regard. Je pars. C’est terminé.

La lumière s’allume. Bruno Meyssat s’assoit sur les marches du gradin, derrière moi, tel un psychanalyste. Les comédiens sont sur scène, face à nous, objets du rêve, du cauchemar. Les questions fusent…sur la technique du spectacle! Je suis entouré d’élèves acteurs qui n’ont strictement rien à dire sur ce qu’ils viennent de voir.  La prof prend des notes. Je bouillonne face à ce dialogue aussi pauvre. Pas un mot sur leur ressenti. Je lance un provocant : « vos questions sont chiantes ». J’ose le tout pour le tout : « je quitte le rituel de Noël pour les vôtres qui m’ont profondément ennuyé ».  J’évoque Pippo Delbono, Joël Pommerat et la dernière scène, plus poétique. « Ce n’est pas la plus intéressante » me rétorque Bruno Meyssat. Fermez le ban !  Une dame m’agresse et me balance ses références picturales et cinématographiques. Cela ne décolle pas. L’escalade se met en place. Meyssat observe et laisse filer. Les acteurs semblent emmurés, à se demander ce qu’ils font là. J’aurais envie de les entendre, hors la présence pesante du metteur en scène. Une jeune femme ose la question : « qu’attendez-vous de nous ? ». Bruno Meyssat s’emmêle, dit trois banalités sur l’importance de la parole du spectateur. Les acteurs se lèvent, installent le décor et rejouent un extrait.

Bruno Meyssat lit Marie-José Mondzain. Il a raison. Cette philosophe est passionnante. Elle conceptualise la place du spectateur, pensé comme un auteur dans sa relation à l’auteur. Mais comment envisager une parole dans un groupe dont je ne connais aucun des membres, dans un contexte où l’?uvre ne « parle » justement pas ? Comment être « auteur » dans un espace où je ne peux « relationner » convenablement (comme à l’école, les uns derrière les autres, cernés de toute part) ? Une parole singulière s’entend dans un collectif contenant, où l’on ne sent pas en danger, où l’on s’éloigne du jugement binaire, « je n’aime, je n’aime pas ». Être « auteur », c’est pouvoir aller au-delà des mots (on aurait pu me demander ce que représentait « l’ennui » pour moi). Marie-José Mondzain ignore-t-elle que la parole, ce n’est pas simplement « dire » ?

Cette « séance » ne change rien : elle est à l’image des « après spectacles », si peu circulaires, organisés par les théâtres en présence des auteurs et du management. On aurait pu imaginer qu’acteurs et metteur en scène inventent un espace, se positionnent dans un « dedans dehors » contenant plutôt que de nous laisser déborder, ici par la recherche de la réponse technique, là par l’étalement du savoir, ailleurs par un ressenti brut. J’y étais sincérement prêt pour pouvoir « approcher » autrement cette ?uvre à partir de mes émotions et des réflexions du collectif. 

La parole, sans espace démocratique, sans positionnement de l’écoutant, n’est qu’une « matière » volatile au service d’un concept, rarement d’une créativité.

 

Pascal Bély – www.festivalier.net

?????? “Séance” de Bruno Meyssat a été joué le 20 décembre 2008 au Théâtre des Bernardines de Marseille.

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La douce Tunisie d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou.

Pour m’éloigner de la pesanteur des leitmotivs journalistiques de fin d’année, je prends mon envol pour le Théâtre d’Arles avec la Compagnie Chatha et leurs « Khaddem Hazem » (« hazem » signifiant bassin, jeu de mots pour traduire « ouvrier du bassin »). C’est mon dernier spectacle de l’année 2008, autant dire que la pression est assez forte, après une rentrée théâtrale assez molle.

Les lumières baissent et le son d’une radio tunisienne déverse son flot de paroles. Je revois les rues d’un petit village de Tunisie et des images oubliées refont surface : les champs, les hommes, les enfants, les femmes, la médina… Je voyage tout en étant assis. Puis, la lumière éclaire les corps. Ces fameux « Khaddem Hazem » sont ici. Ils s’ouvrent au son, comme l’on s’éveille à la lumière du jour. Tout doucement. Ils entreprennent leur travail, leur tâche journalière, s’échangent leurs identités en s’habillant des vêtements posés à même le sol. Les Khaddem Hazem sont eux, moi, vous, nous. Ils nous prennent par la main, instaurent une confiance, un dialogue. On se sent bercé par un ronronnement, par le déroulement d’une journée classique de travail. Une certaine lassitude s’installe. Cela m’effraie. Leurs roulements de bassin ne visent-ils pas à nous endormir pour laisser filer notre destin entre nos doigts ?

Comme un électrochoc,  la tendance se renverse et des petits Brésiliens jouent au foot avec les canettes en aluminium pour croire en leur futur, j’imagine Kaboul sous les bombes avec  l’envie de vivre, je regarde les corps dérivés des clandestins dans la mer salée s’échouant sur les rives de la méditerranée à la recherche d’un eldorado. Autant de destinées bousculées par un effet papillon ou provoqués par un soubresaut intime.  La force se puise au fond des êtres. Avec les Khaddem Hazem, il faut croire en son destin, le saisir à même le corps, le tordre, le faire sien, sans pour autant le subir.

La danse de Aïcha M’Barek et de Hafiz Dhaou est impressionniste où le corps, sans artifice, sans surenchère, prend toute sa place, sans concept pour vampiriser un propos. Certes, leur danse n’invente rien, mais elle est généreuse.

De la danse dansée. Ouf, il était temps.

Laurent Bourbousson- www.festivalier.net


?????? “Khaddem Hazem” par Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou a été joué le 16 décembre 2008 au Théâtre d’Arles.

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« Les Talents Danse » de l’ADAMI : la force (trop) tranquille de la jeunesse ?

En novembre dernier, je participais au jury régional « Talents danse » à Marseille organisé par l’ADAMI. Deux danseuses interprètes furent sélectionnées et invitées pour l’audition finale du 13 décembre à Paris.

Ils sont dix, lauréats des régions, à entrer en compétition pour cette troisième édition. Un jury de « débatteurs » est convoqué pour la circonstance. Une vidéo d’une minute présente les candidates avant chaque prestation, pour poser le contexte. C’est souvent drôle et osé. Le propos bouscule avec humour l’ordre établi, replace l’audition dans un environnement plus large. La vidéo ouvre, là où le concours réduit (ils ne seront que quatre à être choisis pour passer une année avec deux chorégraphes). Présent comme spectateur, je soutiens Mélodie Gonzales, l’une des candidates qui  nous avaient tant époustouflés à Marseille.

Au final, les dix propositions de cinq minutes chacune reflètent un paysage chorégraphique assez uniforme et consensuel (absence du hip-hop, du bûto, de la non-danse, un seul homme et des peaux toutes blanches) comme si la diversité des auditions régionales s’était uniformisée pour concourir à Paris. Ils sont quelques-uns à s’emparer sans complexe de tous les codes possibles (influence évidente du théâtre et des arts plastiques) pour jeter un regard parfois amusé, souvent distant ou désabusé sur la place du danseur, tandis que d’autres semblent fusionner avec le propos du chorégraphe. Masqué, affublé de tenues improbables, d’objets insensés et d’attitudes pour le moins désarticulées, le danseur perd souvent de sa superbe pour épouser les maux de notre société (la peur hante bien des propositions) où la technique dansée cède la place à un jeu où le corps habite plus qu’il ne se prolonge dans un mouvement. Il est fréquemment question d’identité, de sa perte, où la folie côtoie la dissonance, les désarticulations. Ainsi donc, cette jeunesse concours avec ses malaises, la fragilité de son statut (doit-on rappeler ici le sort des intermittents), occupe la scène avec une énergie fragile. On en voudrait presque à ce concours de ne pas former une compagnie ad’ hoc pour l’ouvrir sur l’Europe et le monde !

Le jury a donc voté. Il se dégage un savant équilibre (peut-il en être autrement), là où j’aurais préféré un parti pris. Il aurait fallu inclure Mélodie Gonzales, l’une des rares à habiter un personnage avec une force étonnante. Vivant à  Londres, elle fait preuve d’une insouciance revigorante alors que notre pays semble s’enfoncer dans la dépression.

Saluons deux gagnantes : Mélanie Chartreux sur une chorégraphie de Pierre Rigal avec « Que serai-je, serai-je », solo éblouissant sur la vulnérabilité en ces temps de maîtrise et  Pauline Simon avec « Pays sage » de Laurent Falguieras, danse où l’embryon scénarise, pendant que le spectateur voit cette belle danseuse éclore.

« Talents Danse » est un projet intéressant qui mériterait de s’ouvrir au transdisciplinaire (n’est-il pas là le défi du danseur interprète dans les années qui viennent ?), de varier ses prix et ses récompenses en s’appuyant sur les régions pour créer des maillages plus fins (est-il possible de quitter ce lien vertical entre province et Paris ?). Il pourrait inclure des spectateurs à tous niveaux pour diversifier les regards dans une finalité démocratique, et élargir le cadre strict des cinq minutes réglementaires !

N’est-il pas là le projet pour notre jeunesse ?


Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire le compte-rendu de l’audition régionale à Marseille: L'ADAMI conjuguerait-elle les talents ?

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Latifa Laâbissi, bête de scène.

A l’entrée de la salle, on préfère nous avertir : « certaines scènes seront jouées dans l’obscurité la plus totale ». Le principe de précaution s’immisce décidément partout. Aurions-nous peur, même du noir ? C’est fort possible.

Avec la chorégrapheLatifa Laâbissi, nous y voilà immergés dès les vingt premières minutes. « Histoire par celui qui la raconte » remonte le temps, celui où plongés dans l’obscurité des cavernes, nous éructions, nous chassions sans ménagement, à la recherche de la proie facile, mais résistante. Je ne vois rien ou plutôt je ressens tout. Le noir sculpte les corps, les cris les dessinent. Je me sens en totale sécurité, protégé du dehors où bruissent les consommateurs, vraies bêtes de la consommation, affolées par la période des fêtes.  

Soudain, la lumière s’allume. Sur la scène, trône deux micros, une enceinte, dans un décor de  studio d’enregistrement de musique contemporaine, caverne efficace pour étouffer le son. Pris par surprise,  le public rit comme si nous étions les proies d’une  “chasse”  au c?ur d’un théâtre ! Une, puis deux bêtes de scène arrivent (surprenantes Jessica Batut et Latifa Laâbissi) : habillées de peaux d’animaux, en bottes blanches, l’une se la joue contemporaine avec son accent belge incompréhensible (très tendance dans le monde de la danse !), mélange de langage global et d’intonations locales. L’animal est en nous, le poil est de retour et les humeurs sociales avec ! Et lorsqu’un homme apparaît, le manège de nos comportements contemporains se met à danser, à se statufier, à s’écrire symboliquement sur les parois de nos cavernes imaginaires.

Latifa Laâbissi sculpte notre présent à partir d’un récit jubilatoire, entre poésie et théâtralité ! Telle une sociologue, elle redessine le corps social contemporain, mais à partir de notre imaginaire sur la préhistoire. Elle créée le chaos en fredonnant une Marseillaise déconstruite avec l’accent maghrébin, où s’immisce la chronique de nos peurs contemporaines. Notre société reproduirait-elle des cavernes pour y enfermer les « non civilisés » ? D’autres personnages s’invitent, toujours par surprise, mais avec respect et humilité. Elle introduit notre responsabilité collective envers « l’espèce » humaine tout en célébrant le retour d’une sauvagerie ritualisée. Je me sens totalement envahi par l’énergie profondément positive de ce spectacle comme immergé dans un humanisme intégral.

À sa manière, elle pose le changement de civilisation que la crise annonce. Des bêtes sont prêtes à se jeter sur nous. Arrêtons l’angélisme, rouvrons les cavernes et faisons du vacarme.

Pascal Bély – www.festivalier.net


A lire  la chronique de Guy Degeorges sur Un soir ou un Autre.

?????? ” Histoire par celui qui la raconte” de Latifa laâbissi  a été joué le 13 décembre 2008 au Centre Georges Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.


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La crise. Encore ?

Nos théâtres provençaux vont-ils bientôt se réveiller et arrêter de nous endormir avec leurs numéros de cirque et de foire dont la performance pour le spectateur consiste à bailler pour ne pas sombrer ? Ce soir, dans un Théâtre des Salins congelé, je m’interroge : pourquoi « ça »? En nous proposant trois moments (deux solos, un duo), on pouvait légitimement s’attendre à une diversité vivifiante en lieu et place de ces numéros qui nous enfoncent dans le vide par les bons sentiments et des formes esthétisantes qui courent après le sens.

Le premier solo de Chloé Moglia aurait pu suffire. « Nimbus » fragilise notre regard sur la performance où la force s’éclipse pour le doute, l’égarement, l’imaginaire. Elle arrive avec son échelle pour atteindre son trapèze. Je plonge dans un ailleurs fait d’équilibres, de fragilité, où la lumière suspend le corps. C’est un espace immatériel ouvert alors que le vide l’entoure. Elle déploie son corps pour se mouvoir dans des ouvertures symboliques qui font référence à la créativité en temps d’enfermement. J’aurais aimé une descente moins brutale alors qu’elle rejoint la scène. Je ressens un propos épuisé, là où les danseurs auraient exploré bien d’autres pistes.

Le duo qui suit, « Ali » avec Mathurin Bolze et Hedi Thabet, propose une performance entre deux hommes dont l’un est unijambiste. Vingt-cinq minutes d’escalades, de liens conflictuels et amoureux, de recherches d’articulations entre le 1 et le 2. C’est le handicap qui fait le spectacle et Mathurin Bolze s’appuie sur lui pour parler d’eux. La bête de foire ne tarde pas à émerger et faire rire le public tandis que les applaudissements ponctuent les performances. Face au chahut, les voilà contraints de faire un signe pour réclamer le silence. Je décroche rapidement dans ce zapping de numéros où l’autre différent n’est finalement réduit qu’à ce qui le handicape. Tout est effleuré avec pudibonderie et finit par produire un consensus mou. Il aurait fallu toute la poésie d’un Pippo Delbono pour oser faire du handicap, un travail du regard et non ce jeu de béquilles trop voyant qui masque cruellement le processus d’exclusion. Le “corps social” n’existerait-il donc pas? Le public, point dérangé dans ses certitudes, peut applaudir la paresse du propos.

Le dernier solo s’enlise dans le vide sidéral. « Croc » par la Compagnie Moglice, interprété par Mélissa Von Vépy consterne. Imaginez un énorme crochet industriel sur scène. La dame se l’empare, tourne autour, fait joujou et finit par totalement me faire sombrer. La forme phallique de l’objet réduit cette petite performance à un exercice de contritions. On en viendrait presque à regretter les godemichés de « Pâquerette » vus à Berlin. A Martigues, pays de Total, on se contentera du crochet. Pour le symbole, j’imagine.

Pascal Bély – www.festivalier.net

??????« Nimbus » par la compagnie Moglice – Von Verx

?????? « Ali » par la compagnie MPTA.

?????? « Croc » par la compagnie Moglice – Von Verx

Trois spectacles joués au Théâtre des Salins de Martigues le 12 décembre 2008.

Crédits photo: Arnaud Sardoy, Florence Delaye, Arnaud Sardoy.

A lire sur TELERAMA, la critique positive de Mathieu Braunstein.

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Lisbeth Gruwez-Voetvolk danse l’égérie renouvelable.

L’ennui s’invite à la Comédie de Valence. Je lutte contre le sommeil.
Avec efficacité.
J’ai toute une panoplie de stratégies pour ne pas perdre la face : battements des orteils, n?uds dans les cheveux, mouvement du corps vers la rangée de devant. Pourtant, la danseuse et chorégraphe flamande Lisbeth Gruwez- Voetvolk sait y faire pour réveiller nos sens. L’ouïe est stimulée par deux rockers de part et d’autre  de la scène qui nous envoie leur dose de décibels à l’image d’une éjaculation musicale. La vue est cadrée par un éclairage centré, genre music-hall, pour chanteuse rock sur le déclin. Notre peau frisonne dès les premières minutes alors qu’elle danse de dos. On ne voit que lui, masse dansante, surface de divagation. Je revois la danseuse portugaise Sofia Fitas appréciée  l’an dernier à Marseille. Ce rapprochement jette le trouble et sème le doute.
Malgré tout, je m’égare agréablement dans les mouvements de son territoire qui se fait relief. Elle se sculpte, mais où va-t-elle ainsi ? Le temps la rattrape. C’est long. Comme dans un long striptease, elle finit par se montrer, mi-animale, mi-femme. Son corps se déploie comme il peut, se débat comme si la danseuse cherchait la chorégraphe. Elle semble s’abandonner et je me perds dans mes songes. Je me lasse vite d’une danse qui recycle les clichés où la femme hystérique trouve son salut dans un « I Wanna be loved by you » attachant et puéril.
Les deux rockers finissent par lui tourner le dos comme pour conjurer le mauvais sort que pourrait lui réserver le public. Mais sa bienveillance aura raison de ma somnolence. Lisbeth Gruwez- Voetvolk, égérie de Jan Fabre, fait dans le même consensus mou que son maître lors du dernier Festival d’Avignon.
Si l’époque est au recyclage, je refuse d’être un spectateur cloné.


Pascal Bély – www.festivalier.net

 
?????? “Birth of Prey” de Lisbeth Gruwez-Voetvolk a été joué le 5 décembre 2008 à la Comédie de Valence.


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La belle dérive de Russell Maliphant.


C’était le 19 juillet 2008. Des fillettes Roms sont retrouvées mortes, noyées puis allongées sur le sable. Nous étions près d’une plage de Naples. Recouvertes d’une couverture de survie à côté de baigneurs occupés à leur bronzage, l’image a fait le tour du monde. Ce fut un scandaleux enchevêtrement des corps qui glaça le nôtre. Cet événement m’est brutalement revenu lors de « Small Boats », chorégraphie du Britannique Russell Maliphant, créée en 2007 et présentée au Théâtre des Salins de Martigues, un samedi orageux de novembre dernier.

Ils sont six danseurs sur scène, séparés du public par un écran vidéo, à l’image d’un suaire où est projeté un long traveling de carcasses de bateaux dont l’amoncellement finit par créer un mur, une frontière entre pays riches et pauvres. Alors que la caméra introspecte les entrailles de ces navires du désespoir, nos danseurs apparaissent en fond de scène, tels des mirages d’un cauchemar éveillé, cherchant leur territoire. Ils sont les réfugiés, corps chavirés, expulsés, entassés. À mesure qu’ils s’approchent de nous, le vivant fait irruption derrière la toile : on aurait presque envie de les toucher. L’image reprend ses droits et nous voilà propulsés dans le contexte religieux de l’Italie : les corps des danseurs sont filmés dévalant les marches des églises, ou portés à plusieurs, comme crucifiés. La symbolique religieuse se projette sur la réalité dansée des naufragés sans-papiers, où le mat du bateau remplace la croix du Christ.

Russel Maliphant met donc en résonance les corps religieux et les immigrés à la dérive. La danse fusionne avec une symbolique usée jusqu’à la corde, mais ne la transcende pas. À travers ce dispositif scénique sophistiqué, Maliphant esthétise le malheur tel un peintre de la Renaissance italienne,  à l’image du pouvoir actuel qui encourage la visée « humanitaire » faute de vision politique globale et coordonnée. Si la danse s’articule à une vidéo projetée verticalement, elle peine à lui donner de la profondeur en l’absence de propos politique. « Small boats » promeut une danse épurée, belle, qui joue avec les symboles, les bons sentiments, mais positionne le spectateur en dehors, ne l’engage plus. On applaudit le tableau et le désir de ce chorégraphe de nous parler de ce monde. Mais on quitte le théâtre un peu vide. En cale sèche.

Pascal Bély
www.festivalier.net

 ?????? « Small boats» de Russell Maliphant a été joué au Théâtre des Salins de Martigues le 29 novembre 2008.


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Russell Maliphant sur le Tadorne:

Russell Maliphant, chorégraphe lumineux.


Crédit photo: Johan Persson.

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La « belle » seconde surprise de l’amour d’Alexandra Tobelaim.

La Compagnie Tandaim m’avait délecté avec ses « Pièces de cuisine » (ensemble de 12 textes courts écrits pour l’occasion par des auteurs contemporains d’après une recette) puis avec « Ça me laisse sans voix », merveilleuse métaphore sur l’être humain. Raison de plus, pour faire le long chemin qui me sépare d’Avignon jusqu’au « Théâtre Durance » de Château Arnoux pour assister à « La seconde surprise de l’amour » de Marivaux où la metteuse en scène Alexandra Tobelaim décrit cette pièce comme «un jeu ouvert. Marivaux s’efforçait de rendre la nature même du langage, le ton de la conversation en général. L’amour est aussi une histoire de corps. J’aimerais que le public puisse voir ce spectacle sans le son, sans la parole, et le comprenne, uniquement en regardant les acteurs se déplacer sur le plateau, simplement être ensemble. »

En ouvrant sa mise en scène sur des extraits de « Douleur exquise » de Sophie Calle, mis en son par Christophe Perruchi, Alexandra Tobelaim donne un souffle nouveau à Marivaux. Elle le veut contemporain. Elle l’arrache à nos représentations imaginaires et le transpose dans notre siècle où l’amour semble avoir fuit. Le sentiment amoureux et le sens du dialogue ne sont effectivement plus au centre de nos préoccupations. Comme pour entrer en résonance avec cette désertion, le plateau se présente comme un parterre de terre, représentation de ce que le corps est : un champ de bataille.

Les corps s’animent aux paroles de « Douleur exquise ». Enfermés dans un ensemble de boîtes représentant leur « moi », les protagonistes de cette joute verbale offrent les prémices de leur jeu au public. Il y sera évidemment question de corps : corps en souffrance, corps en joie, corps amoureux, corps esseulé…

La scénographie d’Olivier Thomas souligne l’enfermement physique que la parole peut avoir sur l’être. Bien plus forte que l’oralité, l’affliction est palpable sur le corps, elle est le résultat de cette ouverture : la perte de l’être aimé. N’en oublions pas pour autant l’intrigue divertissante de « La seconde surprise de l’amour » : la Marquise, veuve inconsolable, se lie d’amitié avec le Chavalier, malheureux comme elle. Au c?ur de ces deux douleurs, renaît le désir, inattendu, insoupçonné même par les intéressés.

Des dommages collatéraux vont être engendrés par cette situation, autrement visibles que dans le dialogue, puisque l’après-dialogue est représenté. Les corps en souffrance trouvent leur place dans ces magnifiques boîtes, sorte de compartiments humains, pour renvoyer le corps à ce que nous sommes destinés : la mort. Les corps heureux, eux, finissent par fouler cette terre où l’affrontement verbal et physique a eu lieu, et offrent une irrépressible démonstration de la nécessité de vivre.

La scénographie maîtrisée permet une conduite des comédiens frisant la perfection. Même s’il s’agissait de la première, le ton juste a été trouvé et la relation entre les six personnages ?uvre dans le bon sens. Le noyau même de la compagnie Tandaim (Alexandra Tobelaim, Olivier Thomas et Christophe Perruchi), sorte de trio gagnant, offre un Marivaux résolument contemporain.

Encore aujourd’hui,  les images défilent devant mes yeux, sans le son, sans la parole.

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

?????? « La seconde surprise de l’amour» de Marivaux par la Compagnie Tandaim a été joué au Théâtre Durance de Chateau-Arnoux (04) le 15 novembre 2008.


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